Il paraît que le journalisme s'enseigne...

Pol Vandromme
Avant-propos de Journal de lecture, Lausanne, L'Àge d'homme, 1991
Il paraît que le journalisme s'enseigne. On le dit, et il faut le croire, même si cette croyance offense le sens commun. Allez à l'école, faites vos classes, couvrez-vous de votre peau d'âne. Quand vous serez licencié (licencié avant même d'être engagé, ce qui est le comble du rêve et de l'absurde), soutenez donc votre thèse de doctorat.

Surtout, ne croyez pas que je me moque du monde. Ça existe vraiment des docteurs en journalisme, ça existe j'en ai même rencontré. Emparez-vous de ces bipèdes savantissimes, ramenez-les à la maison, obligez-les à dégoiser leur charabia, coiffez-les du bonnet carré, ça amusera les enfants mieux que le répertoire des grimaces du gendarme de Saint-Tropez.

Depuis qu'on le bavarde ainsi dans des cours magistraux, enflés de la nullité de leur inimportance, le journalisme souffre le martyre et périt d'ennui. C'est devenu une discipline. Autant dire une punition, mais qu'on inflige au lecteur avec un plaisir de masochiste. Les envoyés spéciaux au service de la documentation composent leur dossier, éditorialisent en archivistes, accouchent aux forceps des monstres exsangues, cadavérisent une langue morte. Communicateurs, médiateurs, radoteurs de balivernes guindées dans leur foutoir de sociologue, tout ce que vous voudrez, et pire encore, mais pour la pratique du journalisme, c'est que dalle.

L'essentiel se sait d'instinct depuis toujours, et le voici: le journalisme, c'est l'humeur, l'air salubre du temps, le clin d'oeil, le coup de sonde, le défi, l'enthousiasme et le dégoût, le rire qui soulage, le trait qui venge, le mot que l'on accroche comme une casserole à la queue des chiens domestiqués, le sel, le poivre, le feu, les flammes, la conviction et le dandysme, la désinvolture d'un art seigneurial et l'humilité sans didactisme d'un art populaire. Cette profession s'exerce en amateur avec du goût et avec du style, en écrivain qui écrit vite, d'une seule venue, selon la technique stendhalienne des petits faits vrais qui éclairent de leurs brusqueries ce que les analyses prétendues embrouillent, hors des règles codifiées, dans l'intuition perpétuelle. Imposer un sujet en choisissant un angle d'attaque et des mots qui font balle, voilà le travail à accomplir. C'est un travail d'orfèvre qui burine le plomb en alchimiste. Professeurs sur le trépied, vous vous prétendez dépositaires de recettes, alors que le journalisme, comme tout ce qui met la vie en fête - l'amour, le cognac, le canular, le bonheur des syllabes heureusement associées - est un secret, le sursaut de ce qui ne se laisse pas prévoir.

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