Oiseaux et jardins musicaux de France
Peut-être cette musique traduit-elle la mouvance d'une nouvelle France où l'on fait de valeureux combats en faveur du terroir, où l'on résiste à l'envahissement des OGM (souhaité par les États-Unis… et le Canada), où l'on vote des lois sur le paysage et crée de nouveaux parcs urbains intégrant à nouveau des œuvres d'art et où l'on promeut avec audace (peut-être même avec témérité?) des alternatives à la guerre ? Ce serait un revirement important. Car dans un passé bien récent encore, le gouvernement français n'avait pas eu de scrupules à faire saboter un bateau du mouvement écologiste Greenpeace en territoire étranger pour se livrer librement à des essais nucléaires en plein océan Pacifique. Ou encore, les guides touristiques s'extasiaient de ce qu'un dinosaure monstrueux comme la Tour Montparnasse de Paris ait «une consommation en électricité équivalente à celle d'une ville de 30 000 habitants»! (Guide Michelin, 1994). Bref, une France «moderne» que le réalisateur Jacques Tati railla avec brio avant de mourir incompris!
Ce fut dans ce contexte de «modernisme spoutnik» que le compositeur Olivier Messiaen (1908-1992) se signala par son utilisation (sur)abondante de chants d'oiseaux. Messiaen se désolait toutefois de ce que même ses admirateurs ne connaissent ni la nature ni les oiseaux. Cette apparente nostalgie était en fait une position critique. Messiaen avait connu les affres de la Seconde Guerre (il fut alors prisonnier des Allemands au camp de Görlitz en Silésie); il n'avait pas d'estime pour le monde urbain («J'ai absolument horreur des villes, horreur de celle que j'habite — Paris — malgré toutes ses beautés et horreur de tout ce mauvais goût que l'homme a accumulé autour de lui») ou pour la modernité en général (quoiqu'il aimait à revendiquer la modernité de sa musique!).
Tôt dans sa vie, Messiaen prend en dictée dans la nature les chants de nombreuses espèces d'oiseaux. Puis il les adapte pour les instruments dans ses compositions d'une façon réaliste, cela au moment où justement la nature était devenue un champ d'études scientifiques intense. De façon presque prophétique, la musique de Messiaen a ainsi certainement contribué au développement d'une véritable conscience écologique. Lui-même a consacré une partie de ses revenus à acquérir des parcelles de milieux naturels pour les soustraire au «développement».
À partir de 1950, Messiaen les explore systématiquement : Le Merle noir (1951), Réveil des oiseaux (1953), Oiseaux exotiques (1956) et Catalogue d'oiseaux (1956-58) sont des œuvres presque exclusivement basées sur des chants d'oiseaux. Après 1960, Messiaen reste fidèle à la nature en délaissant cependant tout radicalisme : les chants d'oiseaux deviennent dès lors un élément de son langage parmi beaucoup d'autres.
Mais avant 1950, Messiaen avait une toute autre attitude. Plusieurs œuvres de jeunesse ignorent complètement les chants d'oiseaux, tel le cycle pour orgue La Nativité (1935). Si les chants d'oiseaux deviennent davantage présents dans ses œuvres des années 1940 (peut-être ses plus célèbres comme le Quatuor pour la fin du Temps de 1941 dont le troisième mouvement est intitulé Abîme des oiseaux), ce sont des chants d'oiseaux stylisés sans aucune prétention d'exactitude. L'option ultérieure de «fidélité à la nature» répond à un besoin personnel de renouvellement. Mais quelle qu'en soit l'importance, les chants d'oiseaux ne sont finalement pas un élément absolu de la musique de Messiaen.
Ce compositeur n'en a d'ailleurs pas l'exclusivité et sa manière de les utiliser n'en a aucunement épuisé les possibilités! Parallèlement, beaucoup d'autres compositeurs se sont référés aux oiseaux depuis le Finlandais Einojuhani Rautavaara (Cantus Arcticus, sous-titré «Concerto pour oiseaux et orchestre» avec des chants d'oiseaux migrateurs nordiques sur bande) au jazzman Paul Winter (l'éloquent Prayer for the Wild Things exploite l'écho naturel des Montagnes Rocheuses en y faisant dialoguer les instruments de musique avec des oiseaux et des animaux réels!). Au Canada, ce mariage de la musique avec la nature est particulièrement bien accompli par R. Murray Schafer (né en 1933), tant dans une série d'œuvres (comme Miniwanka) que dans ses écrits théoriques (The Tuning of the World, 1977, traduit en français sous le titre Le paysage sonore). La démarche particulière de Messiaen, unissant musique, nature et théologie a tout de même été poursuivie par le Québécois Gilles Tremblay, né en 1932 et auteur d'œuvres telles Solstices (1971), Fleuves (1976) et les Vêpres de la Vierge (1986). Tout cela témoignant des préoccupations grandissantes envers l'environnement depuis la seconde moitié du XXe siècle.
Au tournant des XIXe et XXe siècles
À cette époque, les avancées conquérantes de la Révolution industrielle avaient transformé la vision de la nature en Europe. En crachant leur fumée, les usines rétrécissent l'espace et les trains raccourcissent le temps. Déracinant impitoyablement les gens, cette vague provoque une rupture avec la terre. Les mieux nantis privatisent la nature en créant des espaces verts pour leur usage dans les villes et les nouvelles banlieues. Mais aussi, plusieurs de ces agglomérations aménagent des jardins et parcs publics qui deviennent de véritables poumons. Même les cimetières se modèlent sur le jardin, tel celui du Père-Lachaise de Paris dont les premiers plans datent de 1812. Paradoxalement, jamais la nature n'a paru si belle. Pour les Européens et les Français en particulier, seule l'Amérique, jeune, peu peuplée encore est perçue comme un Éden.3 C'est de tout ce mouvement que témoigne la peinture impressionniste où jardins et parcs prennent la place de la nature sauvage.
D'ailleurs, Messiaen fut un héritier direct des compositeurs impressionnistes qui, à la fin du XIXe siècle, s'étaient laissés séduire par les rythmes et les sons de la nature. Curieusement, c'est un Britannique, Frederick Delius (1862-1934), qui incarna le mieux ces idéaux, vivant à partir des années 1890 au milieu de jardins dignes de ceux du peintre Monet qu'il avait aménagés sur sa propriété de Grez-sur-Loing, en France. C'est dans ce cadre enchanteur que Delius donna le plus beau Coucou en musique : On hearing the first Cuckoo in Spring (1912), qu'il évoqua le vol des alouettes à l'automne (Late Swallows, deuxième mouvement de son Quatuor à cordes, 1916, pour lequel existe aussi un arrangement pour orchestre à cordes) et qu'il fit naître quelques autres miniatures (Summernight on the River, 1911) ou fresques musicales (A Song of the High Hills, 1911-12) inspirées de sa contemplation de la nature.
Si Claude Debussy (1862-1918) renouvelle profondément la pensée musicale en prenant la nature comme modèle («En musique, n'écoutez les conseils de personne sinon du vent qui passe et nous raconte l'histoire du monde»), aucune de ses nombreuses pièces pour piano ou pour orchestre n'est intitulée en référence aux oiseaux. Par contre, dans une production totale modeste, Maurice Ravel (1865-1937) célèbre les oiseaux à de nombreuses reprises et selon des significations diverses. On les retrouve ainsi dans: Miroirs (cinq pièces pour piano, 1905 : «Le premier en date de ces morceaux – et le plus typique de tous, écrivait Ravel, est à mon sens le second, les Oiseaux tristes. J'y évoque des oiseaux perdus dans la torpeur d'une forêt très sombre aux heures les plus chaudes de l'été»), Histoires naturelles, Ma Mère l'Oye (dans la version originale pour piano quatre mains et plus encore dans la version ballet avec ses interludes ornithologiques!), Daphnis et Chloéqui y chantent le lever du jour, L'heure espagnole (avec ses ironiques horloges à coucous!), Trois beaux oiseaux du paradis (des Trois Chansons pour chœur sur un poème de Ravel lui-même), L'enfant et les sortilègesoù est évoqué le mystère de la nuit dans l'extraordinaire Musique nocturne). Sans parler de son projet d'opéra ou oratorio sur saint François d'Assise et dont la seule section commencée fut justement Le Sermon aux Oiseaux.
On sait que Ravel notait des chants d'oiseaux, tel celui d'un merle dans la forêt de Fontainebleau, et qu'il pouvait les imiter avec sa voix aussi bien qu'il «parlait chat»! Bien qu'il n'ait jamais mentionné cette filiation, c'est dans la lignée de Ravel que Messiaen a utilisé des chants d'oiseaux, les stylisant tout d'abord exactement de la même façon et réalisant plus tard le rêve de Ravel : un opéra sur saint François d'Assise. Significativement, Debussy fut un homme de la ville, Ravel un banlieusard et Delius un homme de jardin!
Cette esthétique picturale tenant du jardin a trouvé peu d'écho au Canada qui, lui, découvrait plutôt alors ses vastes étendues nordiques, puissamment représentées dans les toiles d'Emily Carr, de Tom Thompson et du Groupe des Sept. En musique aussi, peu d'échos de l'impressionnisme et, malheureusement, aucun équivalent du nordisme pictural qui aurait pourtant pu se réaliser en une musique proche par l'esprit de celle du Finlandais Jean Sibelius (1865-1957). Peut-être que dans un contexte de fortes préoccupations environnementales, l'engouement récent pour l'horticulture et les jardins publics et privés, doublé de celui pour la randonnée pédestre avec l'ouverture de nombreux sentiers en pleine nature, inspirera prochainement des musiques fortes et originales (à moins qu'il ne soit tout simplement déjà trop tard et que de telles voix ne puissent percer l'épais carcan corporatiste et académique mis en place depuis quelques décennies en création musicale…).
Fin XVIIIe et XIXe siècles
Avant les Impressionnistes, le Romantisme avait développé une vision mystérique de la nature, les sons de celle-ci traduisant les mystères de la vie: la sensibilité romantique avait rapproché la musique de la nature. Mais en France, et contrairement aux pays germaniques, par exemple, où le thème de la nature sauvage fut abondamment exploité, les oiseaux ont été étonnamment silencieux durant le Romantisme musical. À quelques exceptions près (Hector Berlioz, 1803-1869), le Romantisme ne fut d'ailleurs pas une période créatrice forte de la musique française : la France se signale alors cependant comme une terre d'accueil pour de nombreux musiciens étrangers qui, tels Chopin, Liszt ou Franck, s'y établissent et la dynamisent. Les rares oiseaux chantant dans la musique française sont ceux de quelques pièces pour orgue de Lefébure-Wely (1817-1869) qui, réécoutées aujourd'hui sont d'un effet plutôt (et involontairement!) comique… Que s'était-il donc passé?
Aux côtés d'une nature sauvage, le modèle dominant du jardin de cette période est le jardin à l'anglaise. Inspiré par les idées de Locke sur la psychologie humaine, ce type de jardin cherche à imiter la nature et à recréer l'effet produit par celle-ci. Fondé sur les contrastes et les surprises, ce jardin inclut des boisés, des fourrés et des ruines décoratives qui en accentuent les traits irréguliers. La promenade n'y est pas balisée par des allées bien démarquées : elle est plutôt un cheminement aléatoire, une sorte d'errance poétique. Or le jardin à la française procédait d'une toute autre esthétique, rattachée à un univers socio-politique que la Révolution française avait rendu désuet. En France, le choc révolutionnaire bouleversa si profondément les sensibilités et les préoccupations qu'il fallut quelques décennies avant de reformuler un lien original à la nature avec le mouvement impressionniste.
Le XVIIe et le début du XVIIIe siècle.
Les irrégularités des nouveaux jardins à l'anglaise allaient bientôt évoquer les nouvelles libertés alors que des commentateurs soutenaient que la ligne droite fondamentale dans le jardin à la française représentait le despotisme uniformisant d'un régime politique déchu. Inspiré en réalité de modèles italiens, le jardin à la française, dit aussi jardin formel ou jardin régulier, marque effectivement cette époque précédente. Basé sur des lignes géométriques épurées et symétriques, il donne la vedette aux perspectives grandioses définies par de vastes terrasses et de grandes allées; il se sert abondamment de la taille (notamment pour les arbustes) afin de créer des formes régulières introuvables en nature; il formalise de même l'eau dans des fontaines, des canaux et des bassins : bref, il force la nature, lui impose des formes qui ne sont pas les siennes pour bien montrer, selon le mot de Descartes, que le «Roi est devenu son maître et possesseur».
Évidemment, la musique n'échappe pas à cet esprit. En écho au triomphe du jardin à la française, la musique du pays donne alors beaucoup plus souvent la parole aux oiseaux qu'elle ne le fera subséquemment. Ainsi, en 1722, François Couperin (1668-1733) publie son Troisième Livre de Pièces pour Clavecin contenant plusieurs pièces d'oiseaux : Le rossignol en amour, La linote éfarouchée, Les fauvètes plaintives, Le rossignol vainqueur. Cette esthétique traduit, elle aussi, une nature stylisée et organisée de façon très formelle. Aucun rossignol et aucune fauvette ne chante ainsi! Couperin n'a visiblement pas étudié les chants réels, pas plus qu'il n'a cherché à les traduire avec exactitude. Tout de même, les «motifs oiseaux» du Rossignol en amour sont évocateurs et «efficaces». Et puis quelle tendresse! Notons que Couperin a consacré 17 pièces à la «nature pure» : la forêt (Les sylvains), la flore (La fleurie, La Flore, Les lis naissans, Les rozeaux, Les vergers fleüris, Les pavots), les insectes (Les abeilles, Les papillons, Le moucheron), le monde aquatique (Les ondes, L'anguille), et Le point du jour. Elles parlent toutes de la vision de la nature de l'époque : on les imagine sans peine nous accompagnant lors d'une promenade dans les jardins de Versailles.
Successeur de Couperin, Jean-Philippe Rameau (1683-1764) ne composera que deux seules pièces d'oiseaux pour clavecin mais d'une grande originalité : Le rappel des Oiseaux et La poule. Dans son opéra Platée, il fera aussi appel aux «motifs oiseaux», cette fois dans un esprit parodique!
Dans la même lignée, Jean-Féry Rebel (1666-1747) donne sa suite pour orchestre Les élémens en 1737. Le premier mouvement, Le Cahos, représente les forces élémentaires de la nature par des dissonances inouïes, encore très impressionnantes aujourd'hui. Mais la vision galante reprend ses droits dès le mouvement suivant pour montrer l'action civilisatrice de l'Homme «plus noble que les animaux et plus apte qu'eux à s'élever par la pensée et à régner sur toute chose». Deux mouvements de l'œuvre sont censés dépeindre les oiseaux : Ramage et Rossignols. À part quelques modestes gazouillis de flûtes, il faut beaucoup d'imagination pour entendre là des chants d'oiseaux! La description du Chaos par Rebel est beaucoup plus forte : une certaine méfiance préconçue face à la nature l'aurait-il davantage inspiré que sa connaissance réelle?
Renaissance
C'est vraiment la Renaissance et particulièrement la Renaissance italienne qui invente le jardin et le considère déjà comme un art véritable. Stimulé et soutenu par la richesse des villes telle Florence et un nouvel esprit humaniste, l'art du jardin est né de la rencontre de nombreux artistes qui, se regroupant en équipes multidisciplinaires avant la lettre!, collaborent ensemble pour créer des jardins autour de somptueuses villas. Ces jardins sont basés sur la géométrisation des formes (tant des aménagements que des arbres et arbustes), la présence de l'eau (notamment sous la forme de fontaines), l'idée d'une vaste perspective donnant sur la campagne environnante, l'intégration de nombreuses sculptures ainsi que la création de grottes. Ce modèle inspire directement les jardins français de la Renaissance et sera la base de ceux de l'époque suivante. Toutefois, certains traits français se dessinent déjà : géométrisation accrue, arbres relégués en bordure pour marquer la limite entre l'art et la nature, utilisation des canaux de drainage à des fins décoratives.
La nature étant alors considérée comme inquiétante sinon hostile, il est possible que sa version «domestiquée», les jardins, ait constitué pour plusieurs personnes l'occasion d'un premier pas vers elle, d'une première communion avec elle. C'est dans ce contexte qu'apparaissent au XVIe siècle les premières descriptions vraiment précises de chants d'oiseaux : on était peut-être mieux disposé à les écouter dans la sécurité des jardins qu'en pleine nature. En 1555, Pierre Belon s'émerveille ainsi devant le Rossignol :
- Nous n'avons cognaissance d'aucun oyseau qui soit de la nature d'un rossignol, c'est à sçavoir, qui chante incessamment toute la nuict sans dormir : car lorsque les forêts et les taillis se couvrent de feuilles, il est long temps sans cesser de chanter jour et nuict. Mais pourroit-il estre homme tant privé de jugement, qui ne prenne admiration d'ouïr telle mélodie sortant de la gorge d'un si petit corps d'oyseau sauvage? A-t-il point eu de maistre, qui luy a enseigné la science de musique si parfaite? Non : et toutefois il ne fault jamais à bien accentuer les syllabes, et mieux observer tous les tons, et les conduire d'une même haleinée si parfaite, qu'il n'y a celuy qui ne désire l'entendre. Encor redirons-nous qu'il ne fault point à bien observer les tons, et les conduire d'une même haleinée, les une en longueur, et aspirer les autres : tantost courber les notes entières, et soudain les mener par feinctes, et puis les distinguer, et découper par pièces, comme en minimes crochues : tantost les assembler, puis les demeurer leur baillant des entrelassures : et de là les allongeant, soudain il les délaisse, et puis les reprenant, il obscurcit sa voix au dépourvu, quasi comme en tremblant : tantost après murmurant en soy-mesme, ne chante que le plain chant, l'une fois si pesant, qu'il semble prononcer les notes par semi-brèves (doubles-croches) : tantost il les déprime, menant sa voix en bas ton, et de prin sault, il fait l'accent aigu comme chantant en faulcet; l'autre fois fréquente les tons, l'autre fois les estend, et là où il lui plaist, les darde haultains, moyens ou bas : tantost il contrefait son chant muant sa voix en diverses façons : voulant quasi qu'on pense que c'est un autre oyseau. Par quoy il fault nous accorder qu'il surpasse l'artifice humain en ceste science.
À la Renaissance, c'est la France qui donne les plus belles pièces musicales inspirées des oiseaux. Au 16e siècle, les chants d'oiseaux constituent d'ailleurs un aspect essentiel du courant d'imitation de la nature qui traverse l'esthétique musicale de l'âge humaniste. L'œuvre maîtresse en ce domaine est certainement la chanson polyphonique Le Chant des Oyseaulx de Clément Janequin, pièce qui n'a pris aucune ride depuis! Une partie importante de son texte est carrément faite d'onomatopées. Voici un extrait du troisième couplet :
- Frian, frian, frian, frian, frian, frian…
Tar tar tar tar tar tar tu,
Velecy, velecy,
Ticun, ticun, ticun,
Tu, tu… coqui, coqui, coqui, coqui…,
Fiti, fiti, quilara, quilara, quilara,
Teo coqui coqui, si ti si ti,
Turry, turry, turry, qui lara,
Huit, huit, huit…
Oy ty, oy ti, oy ti, teo teo teo teo,
Trrr,
Et huit, huit,
Tar, tar… Fouquet quibi quibi,
Trrr,
Turi turi, Frr,
Turi turi, Vrr,
Fi ti Fi ti, Frrr, …
Publiée à Paris en 1528, la chanson remporte un vif succès : son éditeur doit en faire plusieurs réimpressions pour répondre à la demande et quelques compositeurs en réalisent divers arrangements, tels Nicolas Gombert (version à trois voix, 1545) et Francesco da Milano (adaptation pour luth, évidemment sans les paroles!, 1536). Avant ce coup de maître, Janequin s'était fait la main avec Le Chant de l'Alouette : une première version fut publiée en 1520, puis une nouvelle en 1528 avec une voix supplémentaire, suivie d'une troisième, par les soins de Claude LeJeune ajoutant une cinquième voix. En 1537, Janequin tenta de rééditer l'exploit avec cette fois Le Chant du Rossignol.
Moyen Âge
Au Moyen Âge, la nature étant omniprésente (quoique souvent objet de méfiance), les jardins sont plutôt sommaires. Dans les monastères, ce sont en fait des potagers où l'on cultive des plantes utiles : arbres fruitiers, légumes, plantes médicinales. Mais cette nature omniprésente irradie partout dans les réalisations humaines. Vues comme des microcosmes, les églises et, par extension, la liturgie mettent en valeur la lumière, la pierre, l'eau (dans les fonts baptismaux), l'air (avec l'encens). Des décorations s'inspirent des formes végétales réinterprétées avec grande fantaisie.
C'est de France que semble bien provenir le chant dit grégorien, croisement probable entre le chant liturgique de Rome et le chant gallican, réalisé dans la ville de Metz. Art musical par excellence du Moyen âge, jamais ce chant ne s'arrête à illustrer la nature. C'est qu'il n'en avait pas besoin : comme pour la société du temps, la nature est profondément enracinée en lui. Outre le fait qu'à travers les offices durant lesquels il est chanté, il rythme les moments de la journée et les sanctifie, le chant grégorien est une musique géologique, tributaire de la pierre pour atteindre sa plénitude sonore. Sous sa forme écrite, cette musique possède des allures florales où s'enchevêtrent tiges et fleurs. Sous sa forme sonore, chantée, elle se fait proche parente des chants d'oiseaux avec ses vocalises. Plus profondément encore, la mélodie grégorienne, comme la vie, est en elle-même basée sur une continuelle alternance d'élans et de repos (les arsis et thésis des théoriciens).
Du côté de l'art musical profane, souvent proche du grégorien en sa technique, se trouvent d'autres allusions aux oiseaux : par exemple, dans le répertoire des Troubadours (XIIe siècle), chez Bernard de Ventadour ou Jaufré Rudel. Les premières pièces occidentales imitant ouvertement des chants d'oiseaux datent du XIIIe ou XIVe siècle, telles ces chansons polyphoniques du compositeur français d'Ars Nova dénommé Borlet se référant au Rossignol.
Fermer le cercle… ou le rompre?
Notre promenade débouche finalement sur une clairière où Moyen âge et époque présente peuvent se rencontrer, dans la société et dans la musique, sur l'idée d'une nature partenaire de l'humanité. Patiemment développée par de nombreux artistes, jardiniers et chercheurs de ce pays,4 cette idée pourrait être une des caractéristiques du nouvel humanisme semblant émerger d'une nouvelle France.
Audacieuse et visionnaire, cette idée heurte cependant de front une conception ancienne, bien ancrée en nous, faisant de la nature une rivale menaçante sinon une ennemie. Les profondes divergences entre les États-Unis et la France au sujet de l'Irak illustrent un conflit similaire, les premiers prônant la vieille méthode militariste (mais n'est-il pas un adage français selon lequel «la raison du plus fort est toujours la meilleure»?), la seconde préconisant des voies non-violentes inédites (porteuses d'avenir mais encore peu éprouvées). À vrai dire, ces conflits entre ouverture et méfiance, entre violence et discussion n'opposent pas tant des pays et des personnes : elles s'opposent en chaque personne même.
Un oiseau se pose dans un bosquet. Apporte-t-il la guerre ou la paix? Il chante… Il me semble cher ami que le non est de trop. Mais bien sûr, à vous de juger !
Notes
1. Publié par la maison 38e Rugissants, ce disque est disponible au centre d'interprétation du Mont-Saint-Hilaire.
2. Une démarche similaire se retrouve chez d'autres compositeurs électroacousticiens français, tel François-Bernard Mâche qui effectue aussi depuis quelques années des recherches théoriques sur les «oiseaux musiciens». Un de ses articles est paru dans l'excellent numéro hors-série de juin-juillet 2002 de la revue Sciences et avenir intitulé Paroles animales.
3. Les informations sur les jardins contenues dans cet article sont principalement tirées du livre de Michel Baridon, Les jardins. Paysagistes – Jardiniers – Poètes, publié chez Robert Laffont dans la collection Bouquins.
4. De nombreux français ont grandement contribué à l'élaboration de l'histoire naturelle et de l'écologie qui en est l'héritière : Tournefort, Buffon, Lamarck, de Jussieu, Michelet (l'historien de la Révolution qui a aussi consacré pas moins de quatre livres à l'histoire naturelle), etc. Pour ce sujet, voir L'écologie et son histoire, de Jean-Marc Drouin, Flammarion, collection Champs.