Cinq défis et leur solutions

Hunter Lovins
Cinq défis et leurs solutions
1) Transformer les économies mondiales destructrices en économies durables
2) Une quasi certitude concernant les problèmes climatiques et les pénuries d’eau
3) Une propagation des maladies, des épidémies chez les humains et les animaux et autres problèmes de santé causés par l’environnement
4) La technologie génétique
5) La population





1) Transformer les économies mondiales destructrices en économies durables

Les réalisations mentionnées plus haut sont une source d’espoir, mais elles ne sont pourtant que des étapes préliminaires vers la création d’un monde durable. La dure vérité est que la plupart des systèmes économiques du monde éloignent l’humanité de la durabilité. Même les entreprises les plus engagées en faveur du développement durable continuent de polluer et luttent pour faire un profit dans un système économique qui repose sur une logique qui rend le système actuel destructeur. À bien des points de vue, le concept de responsabilité sociale relève encore de l’utopie.

Et le temps commence à manquer. Il est indispensable que le Sommet de la Terre aille au-delà des débats et prenne des actions concrètes pour conduire le monde vers un avenir réellement durable. Au niveau le plus fondamental, tout le système dans lequel les décisions sont prises doit être restructuré de telle sorte que la logique inévitable du système conduise vers la durabilité écologique et non le contraire. Actuellement, les règles du monde ne sont pas conçues pour produire la durabilité écologique, et par conséquent elles ne le font pas. Mais ce sont des règles et des pratiques que les humains ont créées et mises en place, elles peuvent donc être changées.

Cependant, de tels changements, même si nous devions nous entendre sur leur nature, sont très difficiles à mettre en oeuvre. Même s’il est socialement indésirable, le système actuel possède sa propre logique. Chaque système humain est influencé par d’innombrables intérêts individuels et institutionnels qui seront bouleversés par le processus de changement. Et chaque système tend vers sa propre conservation. Cela ne gêne pas seulement le changement mais aussi la reconnaissance des problèmes et des possibilités de solutions. Il est logique qu’une entreprise ou une industrie dont les produits contribuent au réchauffement du climat soit peu encline à reconnaître l’existence du réchauffement planétaire. Il est également peu probable qu’un gouvernement redevable à ce type d’industries prenne le problème au sérieux. De même, il est peu probable que les individus, les entreprises et les gouvernements acceptent les problèmes ou leurs solutions si ces solutions les rendent fautifs ou vont à l’encontre de leurs intérêts. De toutes les difficultés, cette dernière peut être le plus grand défi à relever. Le monde sait presque tout ce qu’il y a à savoir en ce qui concerne la technologie et les systèmes permettant d’atteindre la durabilité écologique. Mais pourquoi ces connaissances ne sont-elles pas mises en pratique?

Les actions suivantes seront nécessaires pour relever ces redoutables défis:

a) Les leaders du monde devraient déclarer clairement que nous sommes en situation de crise, que la résolution de cette crise demandera une action concertée et que les réponses existent. Mais les leaders mondiaux ont fait une telle déclaration il y a dix ans. Elle porte le nom d’Action 21. Cependant, la situation actuelle est si possible encore plus grave. La différence c’est qu’il existe maintenant des approches globales pour appliquer la durabilité écologique. Elles comprennent The Natural Step et le Capitalisme naturel (Natural Capitalism). Le Sommet de la Terre devrait faire en sorte que les leaders les comprennent et s’engagent à les mettre en oeuvre.

b) Les gouvernements mondiaux doivent alors franchir les étapes vers la durabilité écologique (comme si nous avions le choix!). Les gouvernements doivent créer un nouvel environnement réglementaire à tous les niveaux pour favoriser la durabilité écologique et donc réorienter les débits naturels des sociétés et des économies de telle sorte que le développement durable soit un résultat inhérent au nouveau système. Aussi longtemps qu’on comptera sur les individus et les entreprises pour s’approcher de la durabilité tout en restant dans le système actuel, qui nous entraîne dans le sens contraire, le changement ne se produira pas assez vite.

Tous les acteurs de la société ont un rôle à jouer pour réorienter le système vers la durabilité écologique. Mais en général, le public, les entreprises et les ONG sont au premier rang quand il s’agit de relever le défi. Cependant, les gouvernements ne devraient pas décliner leur responsabilité de dirigeants. Ils ont avec les organismes multilatéraux la responsabilité d’établir les règles du jeu. Ils doivent amorcer un dialogue sérieux, continu et pragmatique entre la société civile, le monde des affaires, les syndicats, les autres institutions importantes et les gouvernements du monde pour définir les règles et préparer le terrain.

Les marchés et leurs mécanismes font un bon serviteur mais un piètre maître. Rien ne nous permet de croire que la foi aveugle dans des marchés non contrôlés va nous conduire à la durabilité écologique, mais il y a beaucoup de raisons de croire que le marché, quand il est contrôlé et stimulé de la bonne façon, est un mécanisme très efficace pour mettre en oeuvre ce vers quoi on l’oriente. Les gouvernements, la société civile et le monde des affaires doivent s’unir pour régler la boussole et dresser l’itinéraire. Alors les marchés pourront faire ce pour quoi ils sont si efficaces. Mais sans cet aplanissement du terrain de jeu, sans ces règles légitimes pour fixer les objectifs du marché, un appel à la bonne volonté seule ne peut pas mener et ne conduira pas à la durabilité.

c) Il faut approcher les problèmes et leurs solutions dans une perspective systémique. Une grande partie du problème de l’environnement provient du fait qu’on le divise en «problèmes environnementaux» - une catégorie en soi, isolée des causes profondes et des interconnexions. Ce modèle mental est trompeur. Le fonctionnement du monde naturel reflète 3,8 milliards d’années d’expérimentation biologique et de mise à l’épreuve rigoureuse pendant lesquelles ce qui ne fonctionnait pas a été rappelé par le Manufacturier. Le tissu complexe des causes interreliées commence à s’effilocher dès que les habitudes mécanistes et réductionnistes incitent les gens à ne tenter qu’une intervention ciblée.

Ainsi, les gaz d’échappement des automobiles polluent l’air, créant en apparence un «problème environnemental». Mais y répondre par des moteurs plus propres et par de l’essence sans plomb à basse teneur en soufre crée plutôt un problème climatique. De même, si le nombre de véhicules continue d’augmenter, les automobiles propulsées par des piles à combustible remplaceront les dangers pour le climat par des embouteillages. Plutôt que de manquer d’air ou de pétrole, ou de subir des changements climatiques, nous manquerons de terre, de temps et de patience ­ la tendance du jour. D’habitude, quand on vient à bout d’un problème on se heurte au suivant, à moins qu’on ne s’attaque aux causes profondes. Par exemple, l’utilisation excessive de l’automobile est causée surtout par (a) une profusion de voies urbaines et d’espaces de stationnement apparemment gratuits et (b) un laxisme dans l’utilisation des terres et des coûts de développement assumés par la collectivité, ce qui encourage l’étalement urbain. Par ailleurs, ces mêmes causes contribuent à d’autres problèmes non reliés à l’environnement mais tout aussi importants comme l’effritement de la vie de famille et du tissu social, l’impartition du rôle parental, les faillites de magasins dans les artères principales, le crime, l’aliénation et le déclin des cultures rurales, de la faune et de la flore.

En résumé, tout est relié à tout. Reconnaître et maîtriser ces liens invisibles, voilà le secret pour éviter ou pour résoudre les problèmes écologiques et beaucoup d’autres problèmes, et en tirer généralement un profit économique et politique. S’attaquer aux problèmes en ne tenant pas compte de leurs interrelations et en n’adoptant pas une perspective systémique mène à un monde de problèmes cumulatifs, à de coûteuses mauvaises solutions et à une polarisation politique.

Sans la compréhension des connexions invisibles, les solutions engendrent d’autres problèmes. Au contraire, les politiques qui maîtrisent ces interrelations peuvent résoudre (ou encore mieux empêcher) un problème d’une façon qui contribue à résoudre (ou éviter) également plusieurs autres problèmes, et elles n’en créent pas de nouveaux. Un «problème environnemental» est le symptôme d’un manque de vision holistique, d’une vision par-delà les frontières, ou de ce que Gregory Bateson appelait «solving for pattern» (solutions systémiques).

d) Il faut s’engager sérieusement à identifier et abolir les barrières. Comme nous l’avons dit plus haut, les changements nécessaires ne seront ni faciles ni simples. Le présent système souffre d’inertie et de résistance au changement. Les gouvernements doivent s’engager sérieusement à impliquer tous les secteurs de la société dans des dialogues visant à encourager la communauté des affaires à se comporter de façon responsable pour assurer la durabilité écologique. Les gouvernements doivent renforcer la société civile pour qu’elle puisse exercer une pression efficace sur le marché. Pour cela, ils doivent s’assurer que les citoyens et les électeurs sont bien informés.

Malgré plusieurs affirmations contraires, le monde d’aujourd’hui est trop divisé pour réaliser un projet commun. Les intérêts du Sud sont perçus comme étant opposés à ceux du Nord. On met les intérêts économiques en compétition avec les préoccupations environnementales. Même les partis politiques des pays démocratiques s’occupent davantage à défendre leur position à droite, à gauche ou au centre qu’à résoudre les problèmes. Le débat entre la société civile et les institutions qui ne s’intéressent pas suffisamment aux enjeux sociaux et environnementaux, comme l’OMC, est devenu tellement polarisé que la recherche rationnelle de solutions se perd en querelles. L’humanité ne peut se payer ce luxe. Nous devons retrouver le genre d’unité qui, lors de la seconde guerre mondiale, a permis la victoire des forces alliées qui ont défendu la démocratie, la paix et, par conséquent, la durabilité. Dans le contexte de la crise actuelle, nous ne devons pas nous dresser les uns contre les autres, mais nous devons plutôt trouver le moyen de comprendre nos préoccupations légitimes respectives et collaborer à la mise en oeuvre de solutions acceptables pour tous. Sommes-nous capables de le faire maintenant ou le monde devra-t-il faire face à une crise qui pourrait s’avérer irréparable? La menace d’un avenir non durable est certainement déjà très sérieuse.

Le développement durable ne sera pas atteint dans la prochaine décennie, mais si on laisse passer ce temps sans s’engager dans la bonne direction, les gouvernements mondiaux se seront montrés inutiles. La tâche du Sommet de la Terre est de franchir les premiers pas pour amorcer la restructuration du système. Avant de commencer un voyage, il est nécessaire de faire un plan et de convenir des moyens de mesurer nos progrès. Les mesures alternatives dont il a été question plus haut peuvent permettre aux gouvernements et aux équipes de gestion de s’engager sur la bonne voie.

Le défi de passer d’une économie destructrice à une économie durable exige évidemment de revoir toutes les façons dont l’humanité vit au-delà des limites, mais les quatre sous-ensembles de comportements non durables ci-dessous méritent une attention particulière.


2) Une quasi certitude concernant les problèmes climatiques et les pénuries d’eau

Il y a maintenant des preuves incontestables du réchauffement de la planète (de la fonte des glaciers et des calottes polaires à la correspondance presque parfaite entre la situation observée et les modèles informatiques décrivant les perturbations climatiques dues à l’activité humaine) mais les pays semblent atteints d’une paralysie qui les empêche d’adopter des solutions significatives. Le climat deviendra moins stable durant au moins les quinze prochaines années, probablement à une allure croissante23. On peut s’attendre à des inondations sans précédent, des orages plus fréquents et plus violents, des sinistres importants, des famines locales et régionales, la dissémination de graves maladies dans de nouvelles régions et à plus d’instabilité politique et de réfugiés. Certains changements climatiques pourraient même être dramatiques et difficiles à inverser. Ainsi, le climat européen pourrait brusquement ressembler à celui du Labrador si les grands courants convoyeurs de l’Atlantique Nord déviaient de leur cours normal, une possibilité qui à l’état actuel des connaissances ne peut être exclue. Une modification majeure du climat de tout l’hémisphère Nord pourrait même se produire, parce qu’un océan arctique libre de glaces, scénario qu’on observe plus tôt que la plupart des scientifiques l’avaient prévu, est un phénomène auto-amplificateur24 qui peut affaiblir ou même éliminer l’anti-cyclone polaire presque permanent qui détermine les conditions atmosphériques de l’hémisphère. Si l’un ou l’autre de ces scénarios se réalise, un programme d’urgence pour améliorer la déplorable inefficacité énergétique du parc automobile et du parc immobilier pourrait devenir non seulement une mesure d’économie mais une question de survie.

Les changements climatiques se produisent principalement à cause de notre utilisation coûteuse et inefficace de l’énergie. Nous ne devrions pas avoir ce problème parce qu’économiser les combustibles coûte moins cher que de les acheter. Particulièrement en Amérique du Nord, où les blocages politiques ont retardé une action gouvernementale prudente à cet effet, le secteur privé a pris le leadership de la protection profitable du climat. Des entreprises intelligentes sont en train de transformer les obstacles en occasions d’affaires. Ces initiatives du secteur privé peuvent être encouragées par des politiques gouvernementales qui s’efforceraient d’éliminer les barrières - élément essentiel dans la stratégie climatique du Président Clinton. Cette approche fonctionne. De 1996 à 1999 l’accroissement du PIB américain a été plus de six fois supérieur à celui des émissions de CO2 et pourtant l’énergie totale utilisée par dollar de PIB a diminué de 3,2% par année - presque un record de tous les temps - et ce malgré la chute du coût de l’énergie et des bas prix records25. Le leadership du secteur privé est motivé autant par un souci de rentabilité directe que par des inquiétudes à l’égard du climat. Ainsi, d’ici 2010, le sixième plus grand producteur mondial de puces électroniques vise à émettre une quantité nette nulle de carbone et de gaz équivalents, tandis que DuPont a l’intention de réduire ses émissions de 65% par rapport à 1990 - tout ceci dans le but d’augmenter la valeur de leurs actions. Avec les récentes stratégies de soutien mises de l’avant par l’Union européenne, l’énergie renouvelable est devenue la ressource qui connaît la croissance la plus rapide au monde. À l’échelle planétaire, l’énergie éolienne double à tous les deux ou trois ans et dépasse maintenant 15 000 mégawatts, l’équivalent du cinquième de la production du réseau national d’énergie de la Grande-Bretagne. Les ventes annuelles de générateurs solaires grimpent de 26 à 42% par année26.

En combinant l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables présentement sur le marché, les besoins énergétiques mondiaux pourraient être comblés sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’énergie nucléaire. En plus d’être extrêmement coûteux, ce type d’énergie présente un danger de prolifération des armes nucléaires et n’obtient pas le soutien de la population. L’énergie nucléaire contribue aussi à retarder la transition vers un monde moins dépendant du carbone à cause des immenses capitaux qu’elle accapare. Chaque dollar investi dans le nucléaire est un empêchement à développer une capacité énergétique supérieure par l’éco-efficacité. L’énergie nucléaire a été victime d’une incurable attaque des forces du marché, provoquant le plus grand effondrement de toute l’histoire industrielle. Aux États-Unis elle a absorbé plus d’un billion de dollars ; elle produit pourtant moins d’énergie que la biomasse et seulement 1/120e de ce qu’on a pu récupérer par l’efficacité énergétique. C’est la technologie énergétique qui croît le plus lentement dans le monde, tandis que l’éco-efficacité et les énergies renouvelables connaissent les croissances les plus rapides. Les efforts actuels pour ressusciter l’énergie nucléaire sont à courte vue ; ils supposent un énorme gaspillage des impôts des contribuables tout en étant peu susceptibles d’améliorer l’efficacité énergétique.

En 1998, quand l’économie mondiale s’est accrue de 2,5%, les émissions mondiales de CO2 ont diminué d’environ 0,5%. Les données de 1999, qui n’étaient pas disponibles au moment de la rédaction de ce texte, sont probablement encore meilleures, en grande partie grâce au revirement de la politique énergétique chinoise. Un passage rapide du charbon au gaz, à l’éco-efficacité et aux énergies renouvelables est maintenant à l’œuvre dans la République du Peuple, non pas pour contrer les changements climatiques, mais dans le but d’accroître le développement économique et de lutter de toute urgence contre des effets dangereux pour la santé publique. En 1996, la Chine a exploité 1,4 gigatonnes de charbon et la plupart des experts s’attendaient alors à voir doubler cette quantité au tout début de l’an deux mille. Mais cette année, l’extraction charbonnière chinoise a retrouvé son niveau de 1986 - 0,9 gigatonne - et se dirige vers une production de 0,7 gigatonne d’ici quelques années. Cinq villes chinoises importantes sont à construire une infrastructure de gaz naturel moderne. La Mongolie installe des aérogénérateurs danois modernes (aujourd’hui une des principales industries exportatrices). La Chine qui avait coupé de moitié les exigences énergétiques de sa croissance économique dans les années 1980, les a encore diminuées de près de la moitié et prévoit faire encore mieux. L’intérêt de la Chine dans les voitures hybrides, dans les piles à combustible et dans l’hydrogène croît rapidement. À Taiwan, les nouveaux scooters munis de piles à combustible, qui remplacent les moteurs à gaz à deux temps, prendront une part importante du marché sur le continent également. Ces innovations alliées à d’autres signes encourageants d’une transition vers des sources d’énergie sans danger pour le climat méritent un renforcement vigoureux et un encouragement mondial.

Alors qu’il ne devrait y avoir aucun délai dans la mise en oeuvre de telles mesures profitables, il est probable que les changements climatiques inévitables vont accroître des situations déjà précaires comme les pénuries d’eau. Un récent rapport de la CIA déclare: «...l’allocation de l’eau et ses pénuries poseront des défis considérables aux gouvernements du Moyen-Orient, de l’Afrique subsaharienne et du Nord de la Chine. Les tensions régionales à propos de l’eau vont s’accentuer d’ici 2015... Les accords concernant le partage de l’eau sont susceptibles de devenir plus litigieux... Les pénuries d’eau qui se produiront en même temps que d’autres sources de tension - comme au Moyen-Orient - seront les plus inquiétantes... En 2015, on fera davantage appel aux accords internationaux et multilatéraux pour faire face aux problèmes transnationaux croissants... comme celui de l’eau...».

De graves pénuries d’eau vont sans doute compromettre le niveau de vie et la santé publique de plusieurs peuples dans le monde. Elles conduiront à des pénuries de nourriture à cause d’une diminution de la production agricole, ainsi qu’à la dégradation des écosystèmes aquatiques et à la disparition des estuaires. Non seulement la paix régionale est-elle menacée par la construction de moyens supplémentaires pour emmagasiner l’eau, mais cette dernière représente un énorme prélèvement sur le capital naturel et financier de plusieurs pays. Un accroissement de la construction de barrages et du puisage de l’eau des rivières a pour effet de déplacer les gens et les habitats, de causer de graves perturbations dans les communautés et les écosystèmes qui se trouvent en aval et éventuellement de provoquer l’inondation des terres agricoles basses en amont. Comme les conditions dans les régions rurales se dégradent, la migration vers les villes augmentera encore la pression sur les approvisionnements en eau et sur les systèmes d’élimination des déchets27.

À travers l’histoire, la plupart des civilisations disparues se sont effondrées à cause d’une mauvaise gestion de la terre ou de l’eau ou des deux à la fois. Les mêmes mauvais usages qui ont fait de l’eau une source de conflit et de misère au cours des millénaires subsistent encore aujourd’hui. L’eau est gaspillée ; elle est d’une quantité et d’une qualité excessive pour la plupart des tâches et elle est souvent fournie par des moyens non durables. Par exemple, elle est beaucoup trop précieuse pour être utilisée comme véhicule pour l’élimination des déchets. Ces erreurs ont de graves coûts écologiques, économiques et sociaux. Mais ces problèmes ne sont pas irréversibles. Les meilleures techniques économiques, équitables, durables et écologiquement restauratrices d’approvisionnement et d’utilisation de l’eau sont facilement disponibles; il suffit de les appliquer de façon réfléchie. Cela exige cependant de repenser l’une des inventions britanniques les moins utiles du XIXe siècle - les toilettes à l’eau - qui, d’après les conclusions de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ne peut satisfaire aux principaux critères de coût abordable, d’équité et de durabilité écologique. De meilleures alternatives sont maintenant disponibles en Europe mais elles sont peu connues et pas encore parfaitement au point. Il faut revoir complètement la politique en cette matière.


3) Une propagation des maladies, des épidémies chez les humains et les animaux et autres problèmes de santé causés par l’environnement

Une combinaison de facteurs, depuis les changements climatiques et la progression de la mondialisation, jusqu’à l’agriculture moderne et aux pratiques industrielles, a rendu essentiellement inévitable une série ininterrompue d’épidémies et de menaces contre la santé publique. Par exemple, les changements climatiques permettent à des maladies et des parasites, qu’on a crus longtemps confinés au Sud, de migrer vers le Nord28.

Les perturbateurs du système endocrinien, ces toxines qui imitent l’oestrogène et d’autres hormones, ne sont que les dernières parmi les nombreuses mauvaises surprises d’une chimie imprudente. Il va sans doute y en avoir d’autres à long terme, surtout quand l’exposition chronique et de faible intensité à des centaines de milliers de substances synthétiques, dont les humains et les écosystèmes n’ont aucune expérience évolutive, commencera à avoir des effets inattendus et possiblement synergétiques. Cela pourrait inclure la dégradation de la fertilité et de la compétence immunitaire de la population en général. Ces dernières font l’objet d’une inquiétude particulière, surtout que les agents pathogènes, qui coévoluent sous la pression sélective des antibiotiques omniprésents, accroissent leur prédation dans les abondantes monocultures humaines.

Des phénomènes comme ceux-là feront probablement de la santé publique une question politique de plus en plus chaude. Heureusement, il y a peu d’exemples de situations où un produit toxique persistant s’avère vraiment nécessaire. Dans la plupart des cas, des produits de substitution ne présentant pas de danger pourraient être utilisés et seraient alors supérieurs ou comparables au point de vue du coût et de la performance. Les chimistes et les designers ont tout le talent qu’il faut pour mettre au point ces produits ; il s’agit de leur donner cette commande mais on s’est abstenu de le faire parce que, contrevenant ainsi au Principe de Précaution, les nouveaux produits chimiques synthétiques ont généralement été jugés inoffensifs avant preuve du contraire, plutôt que potentiellement dangereux jusqu’à preuve du contraire. Les gouvernements sages devront donc visiblement pécher par excès de prudence, encourager l’innovation dans le développement et le déploiement des produits substituts non toxiques et éviter toute apparence de complaisance et tout compromis dans les organismes publics de contrôle.

L’industrialisation de l’agriculture – son choix d’un processus de production abiotique plutôt que celui d’une participation respectueuse d’un écosystème fertile – accroîtra les problèmes d’agents pathogènes, de contamination, d’animaux nuisibles, de dégradation des écosystèmes et de déclin de la fertilité. De plus, tous ces symptômes de non durabilité imposent des coûts énormes. À la longue, les institutions ou les coutumes qui encourageront de tels résultats ou fermeront les yeux sur leurs conséquences seront rejetées. Le revirement rapide du marché européen vers l’agriculture biologique reflète la crainte de plus en plus répandue chez les consommateurs que la nourriture produite de façon industrielle puisse être dangereuse pour certaines raisons qui ne sont pas reconnues officiellement et peuvent même être encore ignorées de la science. Sous cette crainte se cache l’intuition profondément prudente (et biologiquement justifiée) qu’il y a avantage à s’appuyer sur la sagesse de la nature plutôt que sur l’ingéniosité des hommes – à traiter la nature comme un modèle, un mentor et une mesure, non comme une nuisance à laquelle il faut échapper. Heureusement, l’agriculture biologique, en traitant le sol comme une communauté biotique et non comme un déchet, tire profit des services écosystémiques gratuits et hautement évolués qu’il rend et qui, à long terme, la rendent aussi productive et rentable que l’agriculture basée sur les produits chimiques. Ce revirement nous enseigne une chose importante : à savoir qu’un contrôle démocratique assuré dans la transparence par toutes les parties intéressées tend à produire de meilleurs résultats que les décisions à huis clos prises par des élites techniques. Par exemple, la Suède, avec sa longue tradition d’accès à l’information et de participation du public, n’a jamais eu de cas d’encéphalopathie bovine spongiforme parce qu’il y a longtemps qu’en se basant sur des fondements éthiques largement partagés par leurs clients et faisant presque consensus dans la société, les fermiers suédois ont refusé de nourrir leur bétail avec des résidus animaux.

En étendant l’utilisation préventive des antibiotiques, on produit des souches de bactéries résistantes aux antibiotiques. Non seulement la ferme d’élevage moderne permet-elle l’explosion des maladies, mais elle lui ouvre la voie. Des milliers d’animaux génétiquement uniformes sont entassés dans des entrepôts insalubres, milieu parfait pour la prolifération des microbes. Le fumier animal et les déchets d’abattoirs sont utilisés comme nourriture. La viande est rapidement traitée en présence de sang, de fèces et autres contaminants. Le transport de la nourriture sur de longues distances fournit à l’infini des occasions de contamination29. Il est probable que la majeure partie de l’agriculture moderne devra être restructurée. Des pays comme l’Allemagne sont déjà en train de considérer sérieusement la façon de le faire.

L’ironie est que le modèle industriel de production des aliments – conçu pour faire passer le gain économique avant la bonne santé des animaux – n’a aucun sens sur le plan économique à long terme. L’encéphalopathie bovine spongiforme a déjà coûté plus d’un milliard de dollars à la Grande-Bretagne seulement. Le coût de la maladie aphteuse pourrait être aussi accablant. La crise de la maladie de la vache folle est en train de ruiner le budget des fermes de l’Union européenne et de susciter une réaction populaire contre la politique agricole commune. Franz Fischler, le commissaire de l’agriculture, fait remarquer que les coûts de l’encéphalopathie bovine spongiforme montent en flèche dès que de nouveaux cas sèment la panique chez les consommateurs. Selon lui: «La crise du marché du bœuf va plus loin que tout ce qu’on pourrait imaginer. Les dernières évaluations commerciales sont alarmantes». Les coûts de l’achat et de la crémation des deux millions de bovins potentiellement infectés ont atteint 4 milliards de dollars en 2001 seulement.

Les ventes de bœuf ont chuté de 27% dans l’Union européenne depuis que la peur a éclaté en novembre 2000. (Les coûts d’entreposage du bœuf invendu pourraient atteindre 6 milliards de dollars). En Allemagne, les ventes ont chuté de 50%, déclenchant automatiquement un plan de compensation pour les fermiers, financé par les payeurs de taxes de l’Union européenne (garantir le prix du bœuf dans toute l’Union européenne coûterait un autre 2,8 milliards de dollars). Mais le plus gros problème est la perte de crédibilité du système agro-industriel européen et, avec lui, de la politique de l’Union européenne pour canaliser des milliards de livres en subventions vers les usines de production de masse qui endommagent l’environnement.

Toujours selon Franz Fischler: «Les répercussions de la crise de la vache folle vont bien au-delà de la perte de confiance des consommateurs et des sévères perturbations du marché. Elle a, pour la première fois, éveillé dans la société en général le sentiment que nous devons arrêter ces pratiques. Des millions de citoyens inquiets prennent conscience que la façon dont leur société traite les animaux ne correspond pas à leurs valeurs ».

Le paysage politique n’est plus reconnaissable. L’alliance franco-germanique est sous tension à la suite du sommet de Nice, et la nouvelle ministre de l’agriculture allemande, Renate Kunast, qui est issue du Parti Vert, a reçu carte blanche du chancelier Schröder pour affronter le lobby agro-industriel.

Heureusement, tel que décrit dans le chapitre 10 de Natural Capitalism, il existe des moyens pour mettre sur pied une agriculture qui peut mieux satisfaire aux besoins de la population mondiale et éviter les problèmes du système actuel. Mais même ces changements ne peuvent pas inverser la probabilité de graves épidémies.


4) La technologie génétique

Avec la capacité de cartographier et de manipuler le génome, l’humanité est entrée dans une réalité qui offre de grandes promesses et présente de grands défis. Notre espèce devra prendre certaines des décisions les plus difficiles de son histoire. Comme la technologie nucléaire, la manipulation génétique a la capacité de modifier la vie telle qu’on la connaît. Comme le note Dana Meadows, elle est en train de changer la vitesse de l’évolution de la nature en la faisant passer d’un pas calme et modéré à une allure beaucoup plus rapide que ne le sont la découverte et la correction des erreurs induites par ces manipulations. Pis encore, la pression évolutionniste est déplacée de la nature vers le marché. Les compagnies font fortune, mais les politiques gouvernementales suivent loin derrière ; quant au public, y compris les citoyens les plus instruits, il suit encore plus loin ! Les entreprises occidentales qui achètent et font breveter l’ADN d'organismes appartenant à des territoires habités par les groupes ethniques se livrent à un «biopiratage» déchaîné.

Puisque l’évolution est un processus fondamental, elle doit se produire à toutes les échelles où elle est physiquement possible, jusque dans le nano-écosystème du génome. L’introduction aléatoire de gènes étrangers dans le génome est analogue à l’introduction d’une espèce exotique dans un écosystème. Ignorer ou détruire les 90% et plus du génome dont la fonction inconnue est communément appelée «déchet» ou «bruit» équivaut à pratiquer la monoculture qui tue la biodiversité à coup d’herbicides, sans comprendre ce qu’elle est et à quoi elle sert. La diversité dans la nature et dans un gène est nécessaire au bon fonctionnement et à la résilience de l’écosystème. Ceux qui l’ignorent et n’en tiennent pas compte peuvent s’en tirer pendant un certain temps, mais la nature les rattrape. Avec la transgenèse, les organismes se multiplient, les gènes se dispersent et les erreurs peuvent échapper à toute possibilité de contrôle. La division en plusieurs espèces semble être le moyen privilégié par la nature pour circonscrire les agents pathogènes et leur apprendre à bien se comporter, en évitant, par exemple, la mauvaise stratégie qui consisterait à tuer leur hôte. Les organismes transgéniques peuvent permettre aux agents pathogènes de sauter la barrière de l’espèce et d’envahir de nouveaux espaces où ils n’ont aucune idée comment se comporter.

À l’exemple de la fission nucléaire, les cultures transgéniques nous mettent face à des choix importants. Mais ces choix ne sont pas que des options extrêmes qui nous rebutent, comme développer des ogives nucléaires ou être dominé, adopter l’énergie nucléaire ou mourir de froid dans l’obscurité. Il existe des solutions de remplacement positives bien que non orthodoxes : par exemple, la sécurité à moindre coût et les énergies douces dans le cas de la fission nucléaire, l’agriculture éclairée par la biologie doublée d’une distribution équitable de la nourriture dans celui des cultures transgéniques. Toutefois, ces bons choix n’auront tendance à émerger et être adoptés que si nous prenons au sérieux la discipline du marché et la sagesse d’une démocratie bien informée.

Le fossé entre la biotechnologie et la biologie ­ entre la manipulation des gènes de systèmes biologiques complexes et la compréhension des principes qui gouvernent réellement ces systèmes biologiques ­ pourrait bientôt devenir aussi profond que l’abîme théologique de la Réforme. Il est donc important de se rappeler que les technologies introduites pour résoudre un problème ne devraient pas en créer elles-mêmes de pires30.


5) La population[</a>]
Pour atteindre la durabilité écologique, le «capital naturel per capita» doit suivre l’accroissement constant de la population. Ce n’est pas ce qui se produit actuellement. La croissance de la population de l’Europe et de l’Amérique du Nord, bien qu’elle ralentisse, est encore suffisante pour causer des problèmes de durabilité parce que l’empreinte écologique de chaque famille continue d’augmenter. À l’évidence, les programmes qui encouragent la planification des naissances et qui offrent des choix à toutes les femmes du monde sont une composante essentielle de la transition vers un monde qui peut soutenir tous les êtres vivants.

Cependant, il est important de se rappeler que la population n’est qu’un des termes de la formule généralement peu connue de Holdren et Erlich:
IPAT, qui signifie: Impact = Population x Affluence x Technology. L’impact d’une population croissante peut être compensé par une réduction de la quantité de ressources que cette population demande et par une meilleure technologie qui permet à plus de gens de profiter d’un standard de vie supérieur en utilisant moins de ressources.



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Cinq étapes vers le développement durable

1) Mise en oeuvre du capitalisme naturel
Les concepts du capitalisme naturel devraient être intégrés dans le système onusien, les diverses organisations multilatérales et les gouvernements mondiaux, comme garants de toutes les formes de vie sur terre. Si elles ne parviennent pas à le faire, ces institutions vont d’abord perdre leur crédibilité, puis leur légitimité.

2) Réinvention de la gouvernance
On doit développer un système de gouvernance qui reconnaît et utilise tout ce qui fonctionne présentement: les ONG, les entreprises et les gouvernements. Il faut également renforcer le rôle des organisations décrites précédemment. La plupart des ONG qui ont développé le capital intellectuel du développement durable opèrent avec trois fois rien. Il faudrait tout au moins donner aux principales ONG les moyens de libérer leurs plus brillants cerveaux du cirque du financement et leur permettre de consacrer toute leur attention à créer un monde durable. C’est particulièrement le cas des ONG qui oeuvrent dans les pays (comme le Mexique) où l’exonération fiscale est difficile à obtenir.

3) Microfinancement
Une bien maigre portion de l’énorme flux mondial de capitaux atteint ceux qui en ont le plus besoin. Les différents systèmes de bienfaisance et d’aide au développement, bien que leur objectif soit très noble, ne se sont pas vraiment attaqués à la structure de la pauvreté et l’ont même empirée dans plusieurs cas en créant une culture de dépendance. Par ailleurs, le travail de la Grameen Bank et d’autres sources de microcrédit31 a démontré comment la force créatrice de l’esprit d’entreprise, moteur de l’économie de marché, peut aussi être utilisée avec succès pour créer un réel développement économique à une fraction du coût. Les pays doivent simplement s’assurer que le microcrédit est disponible pour quiconque peut l’utiliser de façon productive. Toutes les sociétés du monde seraient bien avisées d’encourager l’entrepreneurship social comme le fait le réseau Ashoka de Bill Drayton. Ce type d’encouragement et le microfinancement sont seulement deux exemples de l’entrepreneurship social qui est au cœur de beaucoup d’inventions qui favorisent le développement durable.

4) Éducation et communication
L’éducation doit s’intéresser à tous les aspects de la vie humaine plutôt que de seulement donner de la formation professionnelle. Une bonne éducation rend les gens capables de s’apprécier et de se respecter les uns les autres, de s’ouvrir à une riche diversité d’opinions et de trouver et mettre en oeuvre ensemble des solutions pour protéger l’environnement qui soutient leur vie et celle de leurs descendants. Elle permet aux enfants de grandir en gardiens concrets de la création plutôt qu’en exploiteurs qui tentent «de satisfaire des besoins immatériels en achetant du matériel», pour reprendre l’expression de Dana Meadows qui souligne aussi que cette tendance est au cœur du mode de vie consumériste qui domine le monde d’aujourd’hui.

5) Adoption du principe de précaution
Le Principe de Précaution, énoncé par le philosophe Hans Jonas, est simplement une saine stratégie pour toute espèce qui souhaite occuper la planète pendant longtemps. Déjà inclus dans le Protocole de Montréal, il devrait faire partie de toutes les politiques nationales à travers le monde et constituer le fondement de toutes les déclarations concernant le développement durable.

Conclusion
En annonçant la création du nouveau Earth Policy Institute, Lester Brown, fondateur du World Watch Institute, a déclaré: «Nous sommes en train de perdre la guerre pour sauver la planète. Nous avons gagné plusieurs batailles, mais le fossé qui sépare ce que nous devons faire pour stopper la détérioration écologique de la Terre et ce que nous faisons réellement continue de s’élargir. Nous devons faire tourner la chance en notre faveur d’une manière ou d’une autre. Nous avons besoin d’une vision d’une économie écologiquement durable, ­ une éco-économie ­, d’une boussole pour nous guider jusque là et d’une évaluation continue du résultat de nos efforts».

La mise en oeuvre de la myriade de mesures qui ont été évoquées plus haut serait le prélude d’une incroyable nouvelle révolution industrielle. Elle transformerait nos systèmes et notre pensée. Elle remonterait aussi le moral des industries et des sociétés du monde entier, en offrant l’extraordinaire occasion de créer les produits et les services nécessaires pour assurer la durabilité. Cette révolution ne résoudrait pas seulement la crise de la durabilité, mais enrayerait aussi le chômage qui afflige la plupart des pays. Elle démontrerait encore une fois que la soi-disant dichotomie entre la protection de l’environnement et l’emploi n’a cours que dans un système non durable et peut être résolue si on se tourne vers le développement durable.

Pour terminer, écoutons Dana Meadows, peut-être la plus perspicace de tous ceux qui ont écrit sur l’environnement: «Nous croyons que la transition vers un monde durable est techniquement et économiquement possible, mais nous savons que cette transition est psychologiquement et politiquement intimidante... La révolution de la durabilité, si elle se produit, sera organique et évolutionniste. Elle surgira des visions, des intuitions, des expériences et des actions de milliards de gens. Elle nécessitera toutes les qualités et les savoir-faire humains, l’ingéniosité technique, l’esprit d’entreprise et le leadership politique, mais aussi l’honnêteté, la compassion et l’amour.

«Est-ce que tous les changements nécessaires, depuis l’utilisation efficace des ressources jusqu’à la compassion humaine, sont réellement possibles? Le monde actuel peut-il accepter de ne pas dépasser les limites pour éviter l’effondrement? En a-t-il le temps? A-t-il assez d’argent, de technologies, de liberté, de vision, de sens communautaire, de prévoyance, de sens des responsabilités, de discipline et d’amour?

«Le monde est confronté non pas à un avenir prédestiné, mais à un choix. Un choix entre des modèles mentaux. Un de ces modèles prétend que ce monde fini est illimité pour tous les usages pratiques. Choisir ce modèle nous amènera encore plus loin au-delà des limites et, nous le croyons, causera un effondrement mondial au cours du prochain demi-siècle.

«Un autre modèle reconnaît que les limites existent, qu’elles se rapprochent, qu’il n’y a plus assez de temps et que les humains ne peuvent pas agir avec modération, de façon responsable ou avec compassion. Ce modèle est une prophétie défaitiste qui se réalisera d’elle-même, si nous choisissons de la croire…

«Un troisième modèle reconnaît que les limites existent, qu’elles se rapprochent et que nous avons tout juste assez de temps, mais que nous ne devons pas le perdre. Il y a exactement juste assez d’énergie, assez de matériaux, assez d’argent, assez de résilience écologique et assez de vertus humaines pour provoquer une révolution vers un monde meilleur.

«Ce modèle pourrait être erroné. Cependant, tous les témoignages que nous avons lus, depuis les données sur le monde jusqu’aux modèles informatiques planétaires, suggèrent qu’il pourrait être juste. On ne pourra s’en assurer qu’en l’appliquant»32.

C’est le défi de Johannesbourg.

Remerciements

Les auteurs sont profondément reconnaissants à l’égard de Joanie Henderson, assistante de recherche, pour les heures qu’elle a inlassablement passées à retracer les faits et les données. Nos remerciements à Christopher Juniper, Chris Page et Kate Parrot, attachés de recherche, pour leur importante contribution et à Martin Hagen, notre magicien de l’informatique.

Auteurs
L. Hunter Lovins
Walter Link


Notes

23. C’est parce que le climat ne répond pas instantanément, et certains facteurs importants, comme la température des océans, prennent des années, voire des décennies, à se modifier. Autant les trous dans la couche d’ozone de la stratosphère ont continué à se détériorer durant des années après qu’on eut réduit radicalement les émissions de CFC, autant le plein effet des gaz à effet de serre déjà émis va commencer à se faire sentir au fur et à mesure que les délais à l’intérieur du système vont s’écouler et que les mécanismes modifiant le climat vont entrer en interaction. Alors, même s’il y a des signes encourageants que le taux d’émission des gaz à effet de serre commence à baisser, les changements climatiques vont néanmoins continuer à empirer pendant un certain temps avant de s’améliorer.
24. C’est parce que l’eau exposée, étant plus foncée que la glace qui y était auparavant, absorbe mieux la lumière du soleil et que le vent peut mélanger l’eau douce en surface avec l’eau salée située plus en profondeur, réduisant le point de congélation. Ces deux effets empêchent la recongélation.
25. Une part significative des économies semble être attribuable aux changements structurels reliées au commerce électronique, tel que le décrit le docteur Joe Romm sur le site www.cool-companies.org/energy/
26. Lovins et Lovins, Climate, Making Sense and Making Money, 1999.
27. Global Trends 2015: A Dialogue About the Future With Non-government Experts. Ce document a été préparé sous la direction du National Intelligence Council en décembre 2000.
28. La seule bonne nouvelle dans ce scénario est que le Nord riche en ressources va peut-être sérieusement tenter de trouver des solutions à de tels problèmes.
29. Brian Halweil et Dani Nieremberg, Ecologue, Worldwatch Institute, Mars 2001.
30. Amory et Hunter Lovins, A Tale of Two Botanies, St. Louis Post Dispatch, July 1999
31. De nombreuses institutions prêteuses offrant du micro-financement aux entreprises ont été créées à travers le monde. Certaines d’entre elles sont des organismes à but non lucratif. D’autres, comme la Panimanian Mi Banco, ont choisi de devenir des banques totalement réglementées. En général, leurs opérations ont été très fructueuses malgré leur petite taille qui accroît leur coût d’opération. En plus de permettre aux plus pauvres parmi les pauvres d’accéder à la classe moyenne inférieure en devenant des entrepreneurs, le micro-financement encourage l’alphabétisation, l’éducation et les soins de santé, et il augmente le pouvoir des femmes, notamment en les aidant à réclamer leur juste place dans la société. L’Université Naropa (Colorado) offre chaque année un programme de formation sur le micro-financement (Annual Microfinance Training Program, ou MFT). Le MFT se concentre sur les meilleures pratiques dans la conception et la gestion des programmes. Les participants développent des réseaux avec d’autres techniciens et professionnels de l’industrie du micro-crédit à travers le monde.
32. Donella Meadows et al, Beyond the Limits, 1992, Chelsea Green Publishing

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