Traité de la peinture: de la perspective et du dessin
233. — La perspective est cette méthode démonstrative où l'expérience affirme que tout objet envoie à l'œil son reflet par lignes pyramidales, c'est-à-dire par les ligues qui partent des extrémités superficielles des objets et aboutissent à un seul point, lequel est placé dans l'œil, juge universel de tous les corps. Ce point étant si petit qu'on peut le dire indivisible, aucun objet ne sera perçu par l'œil qui ne soit plus grand que ce point. Il faut donc que les lignes qui partent de l'objet finissent en pyramides.
234. — On a à considérer, en peinture, l'œil, la position de l'objet et la lumière.
235. — La perspective picturale a trois parties: la diminution quantitative des corps à diverses distances; l'atténuation de leurs couleurs, la diminution des figures et des contours à diverses distances.
La perspective opère à distance deux pyramides contraires; l'une à l'angle dans l'œil et la base éloignée jusqu'à l'horizon; la seconde à la base du côté de l'œil et l'angle à l'horizon.
La première s'applique à l'universalité, embrassant les quantités des corps comme serait un grand paysage vu par un étroit soupirail. La seconde s'applique à une particularité qui se montre d'autant moindre qu'elle s'éloigne de l'œil.
La surface d'un corps participe à la couleur du corps qui l'éclaire.
Et aussi à la couleur de l'air qui s'interpose entre l'œil et ce corps, c'est-à-dire à la couleur du milieu transparent interposé entre la chose et l'œil.
Entre les couleurs de même qualité, la seconde ne sera pas de la même valeur. Ceci vient de la multiplication de la couleur propre au milieu interposé.
236. — Que l'on considère avec un soin extrême les contours d'un corps, la manière dont ils serpentent, qu'on juge si ces tournants participent de leurs serpentements, en courbure circulaire ou concavité angulaire.
239. — Considère avec la plus grande application les contours d'un corps et le mode d'en saisir le rythme; juge de ses ondulations, vois si le visage participe à la curvité circulaire ou à la concavité angulaire.
240. — Le contour est une surface qui n'est ni partie du corps, ni partie de l'air, mais un milieu interposé entre l'air et le corps.
Le contour latéral est le terme de la surface, ligne d'une épaisseur invisible; toi donc, peintre, n'entoure pas les corps de ligues surtout pour les choses plus petites que le naturel, qui non seulement ne peuvent pas montrer de contours latéraux, mais ont, à distance, leurs membres invisibles.
Pour dessiner du relief, il faut que l'œil du modèle soit à la hauteur de l'artiste.
Tu feras cela, pour la tête d'après nature, car les passants que tu rencontres ont tous les yeux à la hauteur des tiens, et si tu les faisais ou plus haut ou plus bas, ton portrait ne serait pas ressemblant.
250. — Copie d'abord d'après les dessins des bons maîtres faits , selon l'art d'après nature et non de pratique, puis d'après le relief (la bosse), avec l'aide d'un dessin fait d'après ce même relief; ensuite dessine d'après un bon modèle, celui qui doit le servir à l'œuvre.
Pour dessiner d'après nature, place-toi à la distance de trois hauteurs de ton modèle.
254. — Du choix de la lumière pour dessiner les corps.
Toute figure t'oblige à prendre l'éclairage dans lequel tu veux l'exécuter: c'est-à-dire que si tu fais des figures en plein air, elles seront entourées d'une grande clarté, si le soleil n'est pas couvert; et si le soleil regarde tes figures, leurs ombres seront très fortes par rapport aux parties éclairées, et les extrémités de ces ombres seront nettes, aussi bien les primitives que les dérivées, mais ces ombres comporteront un peu de lumière parce que d'un côté brille l'azur de l'air qui teinte la partie qu'il regarde, ce qui se constate dans les objets bleus où cette partie éclairée par le soleil participe à la couleur solaire. On le voit quand le soleil se couche à l'horizon dans la rougeur des nuages, qui se teintent de la couleur de l'astre; et cette rougeur des nuages avec celle du soleil rougissent tout ce que leurs rayons atteignent; et la partie des corps qui n'est pas tournée de ce côté, reste de la couleur de l'air.
272. — Quand tu sauras la perspective et les membres par cœur, considère le mouvement des hommes qui parlent, se disputent ou se battent, et ceux des spectateurs; et note brièvement sur un petit carnet que tu auras toujours sur toi, de papier teinté, afin que tu n'aies pas à effacer, mais à conserver; tu garderas ces carnets comme tes auteurs et maîtres.
273. — Dessine lentement, en voyant d'abord quelles sont la plus forte lumière et l'ombre la plus forte, et comment elles se mêlent.
Que les ombres et les lumières s'unissent sans traits ou marques, en façon de fumée.
Quand tu te seras fait la main et le jugement
Si tu as une cour, prête à être couverte de toile ou bien fais poser, à l'approche du soir, ton modèle appuyé à un mur.
Observe, dans la rue, comme à l'approche du soir, quand le temps est mauvais, les visage ont de grâce et de douceur.
Donc, peintre, tu auras une cour avec des murs noirs et une saillie de toit sur le mur, et quand il y aura le soleil, tu la couvriras avec la toile, ou tu feras le portrait à l'heure du soir, quand il y aura des nuages ou du brouillard: cet air-là est parfait.
274. — Tu noteras en dessinant comment, parmi les ombres, il y en a d'insensibles d'obscurité et de figure.
La surface de tout corps opaque participe à la couleur de son objet.
Note la variation de l'épaule dans tous les mouvements du bras, et fais de même pour le cou, les mains et les pieds, la poitrine au-dessus des flancs.