De l'importance de la beauté du corps chez les Grecs

Johann Winckelmann

Extrait des Réflexions sur l'imitation des artistes grecs en sculpture et en peinture, publié en 1755.

La forme humaine, la plus belle et la mieux proportionnée que l’on puisse trouver chez les peuples modernes, ne ressemblerait peut-être pas davantage aux plus beaux corps de l’ancienne Grèce, qu’Iphiclès ne ressemblait à son frère Hercule. La température d’une atmosphère douce, pure et sereine, avait sans doute une grande influence sur la constitution physique des Grecs; et les exercices mâles auxquels ils étaient accoutumés dans leur jeunesse, achevaient de leur donner une forme noble et élégante.
Prenons un jeune Spartiate, descendu d’une race de héros, dont les mouvements, pendant son enfance, n’ont jamais été contraints par ces misérables entraves dont nous gênons et opprimons aujourd’hui la nature dans ses premiers développements; qui, dès l’âge de sept ans, s’est habitué à coucher sur la terre, qui s’est de bonne heure endurci aux travaux et à la fatigue, et dont les amusements même, tels que la lutte, la nage, etc. ont contribué à fortifier son corps, à donner de la souplesse et de l’énergie à tous ses membres; prenons, dis-je cette figure mâle et vigoureuse; plaçons-la en idée à côté d’un jeune Sybarite de nos jours, et jugeons lequel de ces deux modèles un habile artiste choisirait, s’il avait à représenter un Thésée, un Achille, ou même un Bacchus. Le premier, pour nous servir de l’expression d’un peintre grec (Euphranor), serait un Thésée, nourri de chair, et l’autre un Thésée nourri de roses.

Les jeux de la Grèce étaient un objet perpétuel d’émulation; qui excitait les jeunes gens à cultiver les exercices du corps; les lois obligeaient ceux qui prétendaient disputer le prix à ces jeux solennels, à s’y préparer pendant l’espace de dix mois, et cela à Elis même, où se célébraient ces jeux. Les principaux prix n’étaient pas toujours remportés par ceux qui avaient atteint l’âge de virilité; nous voyons par les odes de Pindare, que quelques-uns des vainqueurs étaient encore dans le printemps de leur âge. Le plus grand désir de la jeunesse était de pouvoir égaler le divin Diagoras (Pindare, Olymp, Od. VII, arg. & schol.).

Voyez l’Indien léger et actif, qui poursuit un cerf à la chasse: avec quelle vélocité et quelle liberté les esprits animaux coulent dans les nerfs élastiques et bien tenus! que de flexibilité dans les muscles! que de souplesse dans ses mouvements! que de vigueur dans son corps! C’est ainsi qu’Homère nous peint ses héros; et c’est par la vitesse des pieds et l’agilité à la course, qu’il caractérise principalement Achille.

C’est dans ces exercices que le corps acquérait ce contour mâle et élégant que les artistes grecs ont donné à leurs statues, et qui n’a jamais rien de gratuit ni de superflu. Les jeunes Spartiates étaient obligés, tous les dix jours, de paraître tout nus devant les Éphores, qui prescrivaient la plus austère diète à ceux qui paraissaient disposés à un excès d’embonpoint incompatible également avec les belles proportions et avec la vigueur du corps. Il existe encore une loi de Pythagore relative au même objet : c’est là sans doute la raison qui engageait les jeunes gens à faire usage de laitage pendant tout le temps qu’ils se préparaient à disputer le prix dans les jeux publics.

Les Grecs évitaient avec le plus grand soin tout ce qui pouvait tendre à altérer les traits du visage ou les proportions du corps; Alcibiade ne voulut pas apprendre à jouer de la flûte, parce que cet instrument faisait faire une grimace à la bouche : son exemple fut suivi par tous les jeunes Athéniens.

L’habillement des Grecs était formé de manière qu’il laissait à la nature toute la liberté de donner au corps ses justes proportions; les développements réguliers et naturels de chaque partie n’étaient jamais gênés ou altérés par ces ajustements, qui déforment nos cols, nos hanches et nos cuisses; ces inventions modernes qu’une fausse modestie a imaginées, pour déguiser la beauté, étaient absolument inconnues aux dames de la Grèce; et l’habillement des jeunes filles de Sparte était si léger et si court, qu’on leur donna le nom de montre-hanches.

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