Mon chien
La bête me fait face et me regarde droit dans les yeux.
Et moi je la fixe de même.
Elle a l'air de vouloir me dire quelque chose. Elle est muette. Elle ne parle point et ne se comprend pas elle-même. Mais moi je la comprends.
Je sais que la même émotion nous habite et qu'il n'y a point de différence entre nous. Nous sommes faits de la même matière, et la petite flamme qui palpite en moi vacille également en elle.
La mort va venir et secouer son aile énorme et glacée.
« C'est fini. ».
Et plus jamais personne ne saura quelle était la petite flamme qui brûlait en nous.
Ce ne sont pas un homme et une bête qui s'entre-regardent.
Mais deux paires d'yeux tout pareils qui s'interrogent.
Et dans chacune d'elles la même vie se blottit frileusement contre l'autre.
Février 1878
Source : Ivan Sergueïevitch Tourgueniev, Poèmes en prose
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