Qu'est-ce qui vaut le mieux: l'action ou l'inaction? La
Baghavad-Gîta et les
Upanishads posaient déjà la question et y répondaient: l'action accomplie avec détachement vaut mieux que l'inaction.
«Un poème est la plus belle aventure» et l'artiste joue le roi des jeux, mais d'autres jeux méritent le respect et l'aventureux génie «qui est en tout homme s'envole comme il peut» (Alain). Il semble inutile d'escalader les plus hautes montagnes, d'y risquer la mort et le gel, ou de descendre au fond des gouffres. Inutile sauf au bonheur. Ceux qui peuvent, grimpent; ceux qui ne grimpent pas applaudissent. Et les riches ne sont à peu près heureux que s'ils se servent de leur fortune pour travailler davantage. Après avoir vaincu ses rivaux, le financier continue de risquer pour se dépasser lui-même. Il a plus d'affaires qu'il n'en peut administrer? Il en crée de nouvelles. Pour un homme qui a gouverné et joué le grand jeu, la retraite est presque insupportable. Il ne peut se désintoxiquer de sa drogue favorite: l'action. Il lui reste la ressource d'écrire ses mémoires et de revivre ainsi ses rudes actions.
Une société qui permettrait un nouvel Âge d'Or et l'abondance sans travail montrerait qu'elle ne comprend rien à la nature humaine. Il n'y a de bonheur que celui que l'on fait soi-même. Le plaisir de l'écrivain, ce n'est pas le succès, c'est d'écrire. «J'ai parfois entrevu, disait Flaubert, un état supérieur à la vie, pour qui la gloire n'est rien, et le bonheur même inutile...» Inutile, oui, parce que déjà prodigué par l'action de créer. L'ouvrier esclave d'une machine qui lui impose un rythme et des actions monotones subit plus qu'il n'agit. C'est pourquoi il est mécontent. Il retrouvera le bonheur lorsque des robots seront chargés des travaux sans liberté et que l'ouvrier dirigera les robots. L'homme n'aura jamais fini de transformer le monde, de faire des plans, de les éprouver et de les refaire. «Au commencement était l'action.»