Ce catholicisme qui nous a faits

Jacques Larochelle
Avocat de renom. Il a présenté récemment une conférence sur l'« éloquence de Cicéron » à la Fondation Humanitas.

Le catholicisme a le mérite de placer les hommes de ce temps comme de tout temps dans un contact étroit avec l’Ineffable, avec le Transcendant et le Divin. Ce sont là des choses qui ne se peuvent oublier tout à fait dans la suite, quand bien même on le voudrait.

Je parle d’abord au nom de ceux qui, ayant grandi dans cette province avant la Révolution tranquille, ont vécu dans une société imprégnée de catholicisme.

Ils pourront bien dans la suite s’émanciper tant qu’ils voudront, perdre la foi si cela leur chante, devenir athées, embrasser l’idéologie communiste, ils sont marqués d’un signe indélébile qui les fera toujours reconnaître sous tous leurs déguisements.

Un heureux hasard de leur naissance leur a épargné le dégoût le plus grand qui se puisse concevoir, et qui est celui de vivre dans un monde où l’homme serait la réalité la plus haute, produit par le plus grand des hasards dans le plus petit des cosmos, sans qu’aucun Amour ou qu’aucune Intelligence ait un tant soit peu disposé favorablement les éléments de départ dans l’univers ou guidé leur évolution. Il est impossible de décider ce qui l’emporte dans cette conception, de son infinie sottise, si grande qu’elle n’a même pas pu convaincre tous les esprits scientifiques, ou de son infinie tristesse, puisque l’on ne peut sans quelque déception constater que tant et de si grands moyens n’aboutissent, après un si long temps, à rien de plus qu’un singe un peu moins laid et un peu plus malin que les autres.

Ne valait-il pas mieux penser, en s’inspirant librement d’Aristote et de saint Thomas, que le monde matériel où nous sommes placés, au moins corporellement, étant essentiellement changeant, instable et imparfait, ne peut être cause de lui-même, que les causes du changement qui s’y observe ne peuvent remonter à l’infini, que ce changement tire donc son origine d’une cause non sujette au changement, qui est Dieu, que l’ordre incroyablement précis et fin que l’on retrouve dans la nature et dans les lois mathématiques simples qui en expriment les régularités s’expliquent beaucoup plus naturellement par l’action de causes finales rattachées à un Être d’une puissance et d’une intelligence qui ne nous sont pas concevables ?

Faisant un pas de plus, les hommes de cette époque se souvenaient encore d’un certain Juif de Galilée crucifié par un préfet romain qui ignorait le sens du mot vérité, comme bien d’autres juges ou puissants dont l’histoire nous a conservé le triste souvenir. Ils se souvenaient aussi de cette troupe résolue d’hommes simples qui l’avaient suivi pendant ses quelques années de prédication, et qui ont rendu témoignage de ses miracles, de la sublimité de sa doctrine, de son infinie compassion pour toutes les misères inséparables de la condition humaine, de ses promesses, de sa filiation divine et enfin de sa résurrection.

Et ils ont payé de leur sang leur persistance indéfectible dans ce témoignage, nous forçant ainsi à croire, soit que ce témoignage est véridique, soit que tous ces hommes normaux, qui avaient jusque-là gagné leur vie dans la peine, ont été d’un seul coup emportés par une folie collective qui les poussait inexplicablement à soutenir sans aucun profit pour eux des mensonges qui leur valaient les supplices le plus cruels, devant lesquels ils ne reculaient jamais.

Comment oublier aussi l’atmosphère spirituelle et liturgique si suave et si pénétrante dont le catholicisme enveloppait l’existence des hommes et des femmes de ce temps, par sa somptueuse liturgie, par le rythme enchanteur de son calendrier qui soulignait l’écoulement du temps et l’enchaînement des saisons par ses propres fêtes...

Comment oublier aussi l’atmosphère spirituelle et liturgique si suave et si pénétrante dont le catholicisme enveloppait l’existence des hommes et des femmes de ce temps, par sa somptueuse liturgie, par le rythme enchanteur de son calendrier qui soulignait l’écoulement du temps et l’enchaînement des saisons par ses propres fêtes et par la succession ininterrompue de ses saints et de ses mystères ? Et que dire de la langue mélodieuse et profonde qui augmentait encore la solennité de son culte et de son chant, ce latin lui aussi descendu au tombeau sous les coups des barbares, et puis ressuscité par des clercs qui en assuraient inlassablement et amoureusement la survie.

En un mot comme en mille, au lieu de l’homme pitoyable qui se prend pour centre en rejetant avec impatience et même avec horreur tout ce qui le limite, lui pourtant si imparfait qu’il inspire plus de pitié que de haine, l’homme du catholicisme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, racheté par le sang d’un Dieu, aimé par le cœur d’un Dieu, appelé sans relâche par la voix d’un Dieu, voyait au-delà de la mort les bras que son Dieu lui ouvrait pour l’accueillir dans l’éternité.

Le catholicisme a donc l’immense mérite de placer les hommes de ce temps comme de tout temps dans un contact étroit avec l’Ineffable, avec le Transcendant et le Divin. Ce sont là des choses qui ne se peuvent oublier tout à fait dans la suite, quand bien même on le voudrait.

Est-il si difficile de préférer cet homme si chargé de sens, de dignité et de grandeur, et dont la vie venait de Dieu pour retourner à Dieu à ce singe savant centré sur lui-même et sur ces conceptions dérisoires que nous présente trop souvent le spectacle amer et navrant de notre époque ?

Et que dire maintenant de ceux qui nous ont suivis, qui n’ont pas grandi dans une société religieuse, mais qui ont été formés par ceux qui l’avaient connue, et qui à leur tour formeront la génération suivante ? Le flambeau qui les éclaire n’étant plus renouvelé au contact d’une flamme vive va s’affaiblissant, peut-être, mais la chaîne ininterrompue qui unit les générations successives d’hommes assurera la transmission assez longue des qualités et des attitudes dues à la contemplation permanente d’un idéal plein de mystère et de majesté.

Il ne tient qu’à nous de veiller à ce que cette transmission soit la plus parfaite possible, en rendant à notre tour témoignage, contre Pilate et contre l’indifférence de ce temps, que la Vérité existe, que ce monde a une cause et un sens, qu’il n’est pas le fruit du hasard, que l’homme et la femme, chacun dans son rôle, ont une destinée spirituelle, et que ce n’en est pas fait pour jamais quand la main du fossoyeur a jeté quelques poignées de sable dans leur tombe.

Extrait

Un heureux hasard de leur naissance leur a épargné le dégoût le plus grand qui se puisse concevoir, et qui est celui de vivre dans un monde où l’homme serait la réalité la plus haute, produit par le plus grand des hasards dans le plus petit des cosmos

À lire également du même auteur

Éloge de la mort
Si l’homme ne se sentait pas voué à la mort, le verrait-on, hanté par ce

Les médias face à la nouvelle censure
À côté de la pensée individuelle, essentiellement le fruit d’un esp

Comparaison de deux héroïnes
Demandons-nous maintenant quelle époque produit les plus hautes figure féminines, dot&

L’étude des langues classiques est-elle utile ?
Les études anciennes doivent réunir dans une ferveur commune l’élite inte




Articles récents