Lettre - Automne 2025

De l'intelligence artificielle au sport artificiel

Jacques Dufresne
Le Wall Street Journal nous apprenait le 25 octobre 2025 qu’un certain Aron D’Souza, l’avocat qui a défendu récemment Peter Thiel, a lancé un projet d’Enhanced Games, soi-disant venger les athlètes honnêtes contre des concurrents qui parviennent à tricher impunément. La chose était prévisible : des hommes augmentés qu’on appelait hier encore transhumanistes, vont inventer des Jeux Olympiques permettant de dépasser les limites biologiques. Comment? En autorisant les drogues et d’autres moyens techniques interdits.

Vieillir sans perdre le goût de vivre

Jacques Dufresne
On a compris qu’il fallait célébrer la vie dans les chambres d’accouchement. Un tel retour à la vie a autant de sens pour ce qui es chambres de la fin de vie. Qu’il s’agisse des soins à domicile, souhaités par la majorité ou des soins en institution, il faudra, pour rendre ces pratiques possibles, prélever des sommes importantes sur les budgets déjà insuffisants des hôpitaux-usines. Tel est le grand défi de demain. (Texte extrait de l'ouvrage collectif Les défis de demain)

Croissance infinie et déplacements de populations, l’aveuglement de l’Occident

Jean Gadbois

La rentrée parlementaire et le remaniement ministériel au Québec auraient pu offrir l’occasion d’un examen lucide de nos choix de société. Mais, comme ailleurs en Occident, le débat public préfère tourner autour des symptômes plutôt que des causes de ce que nous voulons changer. Nous aimons accuser la mauvaise gestion de l’État ou les quotas d’immigration, la laïcité ou Donald Trump, de nous empêcher de tourner en rond — rareté des logements, pression sur les services publics, fractures identitaires, tarifs douaniers — ils sont réels et nous devons les affronter. Or, la vérité la plus dérangeante se trouve ailleurs : dans notre addiction collective à la croissance infinie.

Charybde et Scylla

Jacques Larochelle
Plusieurs lecteurs seront peut-être surpris par la fermeté du jugement exprimé par l'auteur, qui semble condamner la démocratie. Peu importe que l’on estime cette critique pertinente, excessive ou infondée, elle s’inscrit dans une ancienne tradition de pensée, qui remonte à Platon et qui s’est évertuée à souligner les inconséquences du régime démocratique, soit pour lui en préférer un meilleur, soit pour le renouveler.

Charles De Koninck, penseur du Québec moderne

Georges-Rémy Fortin

La pensée de Charles De Koninck est bien vivante. Du 1er au 3 octobre 2025 a eu lieu à Québec un colloque intitulé Bien commun et fédéralisme chez Charles De Koninck. Le constitutionnalisme entre philosophie et politique. Le colloque a été entièrement consacré à la philosophie pratique de Charles De Koninck. Il a été organisé par Maxime St-Hilaire, professeur à l’Université Sherbrooke, Kevin Bouchard, professeur à l’Université Laval, avec l’aide de Jérémy Elmerich, chargé de cours à l’Uqam et chercheur postdoctoral à l’Université de Sherbrooke.

L'esprit de l’éducation

Richard Lussier

Monsieur Jean Grondin, professeur de philosophie à l’Université de Montréal, a publié en 2022 aux Presses universitaires de France un livre sur l’esprit de l’éducation. Dès que je lis un livre qui m’interpelle en raison du sens qu’il dévoile, je sens le besoin irrépressible d’entrer en dialogue avec l’auteur.

Le Québec dans l'Union canadienne À propos d'une constitution prétendue

Marc Chevrier

Le gouvernement de la Coalition Avenir Québec a finalement déposé son « projet de loi constitutionnelle » à l'Assemblée nationale le 9 octobre 2025, lequel contient notamment une « Constitution du Québec » en 62 articles. Mais s'agit-il vraiment d'une constitution se demande notre analyste Marc Chevrier, au vu du fait que cette « constitution » projetée ne sera vraisemblablement pas soumise à la validation référendaire du peuple et prendra la forme d'une loi ordinaire modifiable par une simple majorité parlementaire? De plus, cette « constitution » prétendue risque d'ajouter de la complexité au droit public québécois sans faire avancer véritablement l'autonomie du Québec, insérée dans une  « union fédérale canadienne ».

La liberté du culte, une garantie fondamentale à moderniser

Marc Chevrier

Le débat sur la laïcité engagé depuis plusieurs années au Québec semble avoir oublié une loi ancienne, mais toujours en vigueur, qui protège la liberté de tous les cultes en vertu de la constitution du Québec. Alors que le gouvernement et une partie de la population semblent enclins à interdire les prières dans les espaces publics, il serait utile de considérer cette loi, dont l'ambition première consistait à assurer le bon ordre et la paix dans les lieux de culte, bien que plusieurs de ses dispositions semblent aujourd'hui désuètes. Une refonte de la Loi sur la liberté des cultes serait donc bienvenue, non pour supprimer la liberté du culte, mais pour la garantir et en préciser le cadre d'exercice. Si la protection de la liberté de culte ne semble pas une priorité au Québec, le gouvernement libéral de Mark Carney a en fait son affaire à Ottawa, en déposant un projet de loi en septembre 2025 pour sanctuariser l'exercice de cette liberté par la loi criminelle.

La nouvelle Charte des valeurs de Monsieur Drainville

Marc Chevrier

Déposé en mars 2025, le nouveau projet de loi 94 visant à renforcer l’application de la laïcité dans le réseau scolaire québécois reprend plusieurs des principes de la Charte des valeurs proposée par Bernard Drainville en 2013 sous l'ancien gouvernement péquiste. Le projet original de loi 94 essaie d’endiguer, dans l’organisation scolaire publique québécoise, toute manifestation du religieux ou de tout comportement ou opinion qui semblerait mû par la conviction ou la croyance religieuse. Bien que le projet de loi 94 soit mort au feuilleton en raison de la prorogation de l'Assemblée nationale décidée par le premier ministre François Legault, la nouvelle ministre de l'Éducation, Sonia Lebel, a décidé de reprendre le projet le 1er octobre 2025 et d'en poursuivre l'étude pour finalement l'adopter après quelques retouches et le mettre en vigueur le 30 octobre 2025. La compréhension des enjeux et de la portée de ce projet devenu loi apparaît d'autant plus pertinente qu'il véhicule une philosophie de la religion très particulière, en vogue au Québec.

« Un tramway nommé Laurier », une nouvelle de Pierre B. Berthelot dans le recueil Passés Composés

Georges-Rémy Fortin
L’historien et écrivain québécois Pierre B. Berthelot nous offre une nouvelle qui se déroule dans les années 40 et qui est inspirée par le règne de l’oligarque canadien Herbert Holt. Le titre de la nouvelle est bien sûr un clin d’œil à Tennessee Williams. La nouvelle prend place dans le recueil Passés Composés, paru chez Druide, dans lequel douze textes d’auteurs québécois écrivent et réécrivent des tranches d’histoires inspirées de la vie de grands personnages de l’histoire du Québec.

À la patinoire

Nicolas Bourdon

C’était un beau dimanche au début du mois de mars; on a déjà enlevé les deux buts de la patinoire et on s’apprête à partir quand je crie - en vérité, j’ai plutôt chuchoté pour ne pas être entendu des autres patineurs - à mes deux amis : « Les gars ! Regardez les trois belles filles qui viennent d’arriver sur la patinoire. Il faut rester ! »

Le Québec dans l'Union canadienne À propos d'une constitution prétendue

Le gouvernement de la Coalition Avenir Québec a finalement déposé son « projet de loi constitutionnelle » à l'Assemblée nationale le 9 octobre 2025, lequel contient notamment une « Constitution du Québec » en 62 articles. Mais s'agit-il vraiment d'une constitution se demande notre analyste Marc Chevrier, au vu du fait que cette « constitution » projetée ne sera vraisemblablement pas soumise

La nouvelle Charte des valeurs de Monsieur Drainville

Déposé en mars 2025, le nouveau projet de loi 94 visant à renforcer l’application de la laïcité dans le réseau scolaire québécois reprend plusieurs des principes de la Charte des valeurs proposée par Bernard Drainville en 2013 sous l'ancien gouvernement péquiste. Le projet original de loi 94 essaie d’endiguer, dans l’organisation scolaire publique québécoise, toute manifestation du r

La liberté du culte, une garantie fondamentale à moderniser

Le débat sur la laïcité engagé depuis plusieurs années au Québec semble avoir oublié une loi ancienne, mais toujours en vigueur, qui protège la liberté de tous les cultes en vertu de la constitution du Québec. Alors que le gouvernement et une partie de la population semblent enclins à interdire les prières dans les espaces publics, il serait utile de considérer cette loi, dont l'ambition première

J'ai peur

Depuis mon insomnie de la nuit dernière, j’ai peur…peur de Donald Trump…et de tous ceux qui exécutent ses volontés parce que ce sont des ordres, ses ordres auxquels ils ont l’obligation d’obéir ; j’ai peur de ce que Hannah Arendt appelait la banalité du mal : le chef l’a dit, il faut le faire.

Le premier Trump me faisait rire, le second me terrifie. Les États-Unis s’aoute à ma liste des régimes terroristes. C’est ce que signifie à mes yeux le mot arbitraire appliqué à tant de ses décrets. On sous-estime déjà l’effet de cette terreur. Ce que me rappelle une manifestation devant le consulat de l’URSS à Montréal vers 1985, à la défense de Sakharov et de sa femme. Plusieurs de ceux que j'ai solloicté en vain ont eu la franchise de m’avouer qu’ils craingnaient d’être fichés par KGB. Or l’URSS donnait déjà des signes de son effondrement et Montréal n’était que l’une des dizaines de villes dans le monde où une manifestation semblable avait lieu
Petites causes, grands effets : la terreur se répand comme l’effet papillon. Meilleure façon d’en réduire l’effet : la qualité, le nombre, la variété des protestations de mê que  la notoriété des partipants.J’ai repris espoir quand l’Université Harvard a fait preuve de résistance.


Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles

Je ne connais rien d’aussi joyeux, texte et musique confondus, que l’hymne marquant la cérémonie du cierge éternel pendant la Veillée pascale. Ce qui a retenu mon attention cette année, c’est le rôle des abeilles dans cette symbolique si inspirante. On les évoque dans le texte. C’est le fruit de leur travail qui nourrit la lumière. Donnant déjà le sucre et la lumière naturelle aux autres vivants, elles leur donnent désormais aussi la lumière surnaturelle. Leur cire est le bûcher de l’Agneau Mystique.

Difficile de mieux célébrer les liens unissant dans la nature les éléments (carbone, oxygène…) puis la vie végétale, animale et humaine. L’homme ici, comme l’ours, court le risque d’une piqûre pour mériter le fruit des abeilles. Il n’est pas le prédateur protégé. L’univers lui fait une juste place  sans faire graviter tout autour de lui. L’univers n’est pas anthropocentrique,

Cette interdépendance des composantes de l’univers, du naturel au surnaturel, est la grande caractéristique de ce que, dans son encyclique Laudato si, publiée il y a dix ans déjà, le pape François appelle la Maison commune.

À l’Agora, nous avons attaché la plus grande importance à cette encyclique. Nous avons tenu un colloque sur le sujet, animé principalement par notre amie la regrettée Andrée Mathieu, laquelle avait obtenu du physicien Fritjof Capra l’autorisation de traduire en français son article sur l’approche systémique dans Laudato si.


Exsultet

Exultez dans le ciel, multitude des anges !
Exultez, célébrez les mystères divins !
Résonne, trompette du salut,
pour la victoire d’un si grand Roi !

Que la terre, elle aussi, soit heureuse,
irradiée de tant de feux :
illuminée de la splendeur du Roi éternel,
qui recouvrait le monde entier !

***

Dans la grâce de cette nuit,
accueille, Père saint, en sacrifice du soir
(la flamme montant de) cette colonne de cire (œuvre des abeilles)
que la sainte Église t’offre par nos mains.


Tarifs: économistes, éclairez-moi!

Chaque fois que je clique sur Google ou Facebook, je donne à ces géants des parts de mon attention qu'ils vendront à des agences de publicité souvent de ma région. J'enrichis ainsi des Américains déjà démesurément riches. Dans le calcul de la balance commerciale entre le Canada et les États-Unis, est-ce qu'on tient compte de ces dépenses invisibles mais bien réelles?


Journée des femmes : Hypatie

Hypatie d'Alexandrie (vers 360-415) est la seule femme philosophe, mathématicienne et astronome de l'Antiquité. Le roman historique de Jean Marcel Hypatie ou la fin des dieux est, à mon avis, le meilleur livre québécois, mais si je le tire des oubliettes en cette Journée de la femme, 8 mars 2025, c'est d'abord parce qu'il nous plonge dans une époque charnière, fin de la Grèce, triomphe du christianisme, qui rappelle celle que nous traversons aujourd'hui, marquée par ce qui semble être la fin du christianisme et l'entrée dans je ne sais quelle civilisation dominée par les technologies numériques. (Voir ci-après l'entretien de Michel Onfray et du père Michel.)

«Comment te convaincre que ce qui meurt autour de moi m'afflige plus encore que ma propre perte ? Nos dieux sont en péril de mort, Synésios, mais à qui en appeler quand il n'y a plus personne ? Nos dieux sont en détresse, et je suis seule avec eux?»


Musk : danger d'être plus riche que le roi

Bien des précédents rendent ce danger manifeste, mais quand j'ai vu l'ascension d'Elon Musk dans l'espace américain, c'est d'abord à Nicolas Fouquet que j'ai pensé. Ce richissime français avait fait construire le Château de Vaux-le-Vicomte, le plus somptueux de France. Il avait invité le jeune Louis XIV à l'inauguration. Commentaire de Voltaire : « Le 17 août 1661, à 6 heures du soir, Fouquet était le roi de France ; à 2 heures du matin, il n'était plus rien. »


Vient de paraître

Lever le rideau, de Nicolas Bourdon, chez Liber

Notre collaborateur, Nicolas Bourdon, vient de publier chez Liber son premier recueil de nouvelles. Le recueil compte douze nouvelles qui sont enracinées, pour la plupart, dans la réalité montréalaise. On y retrouve un sens de la beauté et un humour subtil, souvent pince-sans-rire, qui permettent à l’auteur de nous faire réfléchir en douceur sur les multiples obstacles au bonheur qui parsèment toute vie normale. Ceux qui lisent déjà Nicolas sur L’Agora, dans Argument ou encore dans L’Action Nationale, reconnaitront l’écrivain qu’ils aiment. Les autres en découvriront un ! (Georges-Rémy Fortin)