L'Encyclopédie sur la mort


La nuit des morts vivants

Daniel Leveillard


  par Daniel Leveillard, lundi 14 mai 2012

© Tous droits réserrvés

publié avec l'aimable autorisation de l'auteur


LA NUIT DES MORTS VIVANTS
 
Ô, tous mes pères en peine,
Toutes mes mères en larmes ;
Ô mes aïeux défunts,
Tous alignés sur la grève,
Voyez la barque vide
De son corps,
A celle-là qui fut mienne en mon cœur
Et que j’ai tant aimée !
*
Pleurerai-je donc toujours
A chaudes larmes,
Cette femme aujourd’hui refroidie
Qui navigua si longtemps
A mon côté,
Et qu’eux seuls désormais
Peuvent voir encore marcher
Sur cette étrange mer des cieux
A l’infini sans île ?
*
Je me souviendrai toujours son départ pour le Ciel :
Même quand ce sera dèjà loin, le temps refera nos hiers.
*
Depuis de nombreux jours,
La tempête grondait ;
La mort, à coups de faux,
Déchirait l’océan de mon âme ;
Pêcheur harassé,
Navire épuisé,
Luttaient contre les flots,
Dont l’écume rageuse
Blanchissait ce doux visage
Qui tant avait rayonné
Tout au fond de mon cœur.
*
Si deux fois dans la nuit,
Tous la crurent perdue,
Chaque fois elle revint,
Et l’espoir demeurait en moi
Qu’un jour ou l’autre, enfin,
Le carnage cessât.
Mais, Neptune, impérial,
A la troisième lune,
Emporta chez lui la pêcheresse
Et rejeta chez moi sa barque.
*
Noyés le jour,
De buée la nuit,
Mes yeux aveugles d’elle
Attendent vainement
Son retour.
*
Combien de soleils las,
En fin de courses folles,
Sombreront dans la mer,
Vaincus d’épuisement,
Sans l’avoir retrouvée,
En quelque île inconnue ;
Un nuage, où elle dort ;
Une étoile où elle brille ?
*
Ô oui, je me souviens :
Belles années,
Je redeviens toujours,
Quand mon âme est vers elle,
L’heureux petit enfant
Dans les bras de sa mère.
Je bénis ces heures adolescentes
Où naissaient les premiers bourgeons
Perçant la branche nouvelle,
Et qui semblaient si doux
Au regard de mon père.
Ma lèvre qui soupire aujourd’hui en secret,
C’est le souffle puissant,
Que seul un cœur inspire :
Ce cœur si doux de celle qui est partie
Si vite
A l’aube éternelle de mon premier amour.
*
Etonnants voyageurs,
Ô défunts de la nuit
Aux visages sans traits,
Revenez me hanter,
Arborant le drap blanc
De ce spectre vanté
Qui fait battre les cœurs
De terreur à minuit.
 
Visiteurs du néant,
Génies de l’au delà,
Que la mort, insatiable faucheuse,
A comblés
Sans jamais séparer
La folle ivraie du bon blé,
Vous semblez si heureux,
Voguant ici et là !
*
Souvent, vers le soir,
Lorsque le ciel scintille,
A l’heure où les vivants
Espèrent retrouver,
Dans un sombre sommeil,
Le repos désiré,
Un souffle bien connu
Berce de souvenirs
Mon cœur adolescent,
Solitaire orphelin.
*
Là, surgissant de terre,
Sortent, des profondeurs,
Des corps étincelants
Qui nous tendent les bras,
Et nous emmènent encore
Où nous avions passé
Nos si belles années.
*
A l’heure familière
Où reposent mes yeux
Fatigués de lumière,
En ce morne infini,
S’anime devant moi
L’univers où finit
L’existence de l’être
Accompli chez les dieux.
*
La noire obscurité,
Lentement s’éclairant,
Fait place aux cortéges nocturnes
Qui, sans voix,
Languissantes processions,
Me tracent la voie de ce monde éternel
Des fantômes errants ;
Quand l’âme se libère,
Au plus profond des cieux,
Des tristes et longues prières des humains,
Et où les défunts, implorant,
Etendent leurs deux mains
Vers un peuple de sourds,
A l’image d’un Dieu
Dont ils n’entendent rien.
*
Enfin mon silencieux voyage s’achève ;
En creusant derrière l’obsédante vision,
Un fossé qui sans cesse s’accroît :
L’impression que ce monde ici bas
N’est peut-être qu’un rêve,
Une douce illusion d’être,
Où l’Au-Delà
Qu’on dit virtuel
Relève, et lui seul, du réel.
*
Au repos de la nuit,
Les longs jours qui s’enchaînent,
Inextinguible feu
Sur mon crâne brisé ;
Les spectres au soleil,
Ne pouvant reposer,
Se sont tous assoupis
Sous l’ombre d’un grand chêne.
*
Qui peut le croire ?
Moi, je le vois :
Elle seule est debout, là,
Qui me tend la main
Et d’un geste d’invite
Me dit « Viens ! »
*
Toujours pareille
A sa fraîche jeunesse
Quand j’avais dix-sept ans.
*
Et cette vérité
Que seuls les amants de vives braises
Peuvent mesurer
A sa juste valeur :
Balayant tout
Des lassitudes et de l’oubli
La mort d’un être aimé
Chaque jour,
Au lieu de l’éloigner
Affirme sa présence.
...
DAN

Date de création:2012-05-18 | Date de modification:2012-05-18

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