Publiée par pièces à partir de 1840, son oeuvre Voyage en Orient ne sera livrée par Nerval, en sa forme définitive qu'au printemps 1851. Son journal, devenu roman, est une mixture de réalité et de rêve, d'observation et de lectures, de méditation et d'épreuve. Le fragment, qui suit, se situe à la fin du chapitre IV, «Les Pyramides» et s'intitule «Départ». Après les épreuves des Pyramides où il a rencontré la beauté des Reines figées dans leur statues, où il a côtoyé vie et mort, il quitte le Caire en rendant hommage au culte des morts, «un trait éternel du caractère de l'Égypte*.
Je quitte avec regret cette vieille cité du Caire, où j'ai retrouvé les dernières traces du génie arabe, et qui n'a pas menti aux idées que je m'en étais formées d'après les récits et les traditions de l'Orient. Je l'avais vue tant de fois dans les rêves de la jeunesse, qu'il me semblait y avoir séjourné dans je ne sais quel temps; je reconstruisais mon Caire d'autrefois au milieu des quartiers déserts ou des mosquées croulantes! Il me semblait que j'imprimais les pieds dans la trace de mes pas anciens; j'allais, je me disais: En détournant ce mur, en passant cette porte, je verrai telle chose... et la chose était là, ruinée, mais réelle.
N'y pensons plus. Ce Caire-là gît sous la cendre et la poussière: l'esprit et les progrès modernes en ont triomphé comme la mort. Encore quelques mois, et des rues européennes auront coupé à angles droits la vieille ville poudreuse et muette qui croule en paix sur les pauvres fellahs. Ce qui reluit, ce qui brille, ce qui s'accroît, c'est le quartier des Franc, la ville des Italiens,des Provençaux et des Maltais, l'entrepôt futur de l'inde anglaise. L'Orient d'autrefois achève d'user ses vieux costumes, ses vieux palais, ses vieilles moeurs, mais il est son dernier jour; il peut dire comme un de ses sultans: «Le sort a décoché sa flèche; c'est fait de moi, je suis passé!» Ce que le désert protège encore, en l'enfouissant peu à peu dans ses sables, c'est hors des murs du Caire, la ville des tombeaux, la vallée des califes, qui semble, comme Herculanum, avoir abrité des générations disparues, et dont les palais, les arcades et les colonnes, les marbres précieux, les intérieurs peints et dorés, les enceintes, les d^mes et les minarets, multipliés avec folie, n'ont jamais servi à recouvrir des cercueils. Ce culte de la mort est un trait éternel du caractère de l'Égypte; il sert du moins à protéger et à transmettre au monde l'éblouissante histoire de son passé.
N'y pensons plus. Ce Caire-là gît sous la cendre et la poussière: l'esprit et les progrès modernes en ont triomphé comme la mort. Encore quelques mois, et des rues européennes auront coupé à angles droits la vieille ville poudreuse et muette qui croule en paix sur les pauvres fellahs. Ce qui reluit, ce qui brille, ce qui s'accroît, c'est le quartier des Franc, la ville des Italiens,des Provençaux et des Maltais, l'entrepôt futur de l'inde anglaise. L'Orient d'autrefois achève d'user ses vieux costumes, ses vieux palais, ses vieilles moeurs, mais il est son dernier jour; il peut dire comme un de ses sultans: «Le sort a décoché sa flèche; c'est fait de moi, je suis passé!» Ce que le désert protège encore, en l'enfouissant peu à peu dans ses sables, c'est hors des murs du Caire, la ville des tombeaux, la vallée des califes, qui semble, comme Herculanum, avoir abrité des générations disparues, et dont les palais, les arcades et les colonnes, les marbres précieux, les intérieurs peints et dorés, les enceintes, les d^mes et les minarets, multipliés avec folie, n'ont jamais servi à recouvrir des cercueils. Ce culte de la mort est un trait éternel du caractère de l'Égypte; il sert du moins à protéger et à transmettre au monde l'éblouissante histoire de son passé.