Jean-Pierre Parra, poète médecin
Dans cet «état de veille permanent», qui devrait être la définition même de la médecine, Parra nous introduit dans la réalité des malades atteints du virus, dans leurs particularités, dans leur humanité.
Jean-Pierre Parra [1], médecin poète est l’auteur de Les jours de peine[2] écrit dans le courant de la pandémie actuelle. « La médecine et la poésie, nous dit-il, sont un état de veille permanent. La poésie et la littérature qui sont des lunettes à travers lesquelles, nous pouvons voir nos vies et le monde lient, dans un questionnement toujours recommencé, le savoir et le sentir.»
Cee livre fait suite à une longue liste de poèmes publiés dans les années antérieures et illustrés par son épouse Marianic Parra. Ses yeux qui voient tout, ont tout vu lui qui a été pendant plusieurs années haut fonctionnaire en France du Ministère de la Santé dans les Antilles françaises et britanniques, en République de Djibouti, dans l’Ile de la Réunion, etc.
Dans cet «état de veille permanent», qui devrait être la définition même de la médecine, Parra nous introduits dans la réalité des malades atteints du virus, dans leurs particularités, dans leur humanité bien loin de l’anonymat des médias et des statistiques. Mais aussi avec le scepticisme de l’homme de science dont il exprime en quelques mots le désarroi :
« Coiffés
dans les jardins de la science
de jugements à l’envers
ils se répandent
en accords sans suite
Tout devient incertain. »
Ce recueil nous offre quelque 80 poèmes. Nous ouvrons le livre et nous les lisons tous, un à un, car chacun nous révèle une réaction, une douleur, une plongée dans la nuit de la mort, un silence, un courage et parfois une retour à la vie. Impossible de lire d’un œil distrait. On ne peut qu’emprunter le regard de Parra. Chaque être a sa façon de souffrir; il n’existe pas d’égalitarisme dans la façon dont le virus atteint : L’être que le médecin décrit en le tutoyant, le poète le pénètre. Ce tutoiement, paradoxalement, est le contraire de la familiarité, il est la parfaite expression de ce que vit ou ne vit plus, ressent ou ne ressent plus chaque être. Il rejoint l’universalité dans laquelle nous jette, nous jettera la mort. L’angoisse qui réveille, la souffrance qui torture, le sommeil qui la fuit et l’abandon final dans l’obcurcissement et l’impénétrable silence de la nuit. Enfin, autre paradoxe, comme chez l’auteur la compassion est a-delà de l’émotion, le lecteur ne ressent aucun désespoir à cette lecture; comme devant la beauté de l’art ou de la nature : c'est ainsi
Sans être vu
tu vois
Sans être entendu
tu entends
les hommes incapables de te vaincre
tu t’abats
sur le monde
pour infliger la mort
***
Forcé
par l’angoisse
à tout bouleversé
tu as le cœur angoissé
tu as le cœur avide de vivre
tu as le cœur révolté »
***
Envahi
par la fatigue qui repose
Envahi
par la toux obsédante qui épuise
tu as de la peine à considérer
signe de la mort marqué sur le front
que ton corps t’appartient
***
Aprè une vie
tout entière involontaire
tu meurs silencieux
détourné de tout
***
Affranchi,
occupé à survivre
par la mort
tu es è présent
forces ressuscitées
libre
***
Tenu
à l’écart du monde
tu n’as plus
droit d’entrée dans la commune vie humaine dérobée
la possibilité de sortir
***
Mort
pour payer ta dette
à la nature
tu as l’esprit
chassé du monde
ailleurs
***
Convoqué
à travers les sollicitudes du monde
par la maladie
Tu poursuis
forces brisées
ton voyage en vie allongée
***
Lumière éteinte en toi
Ciel disparu en toi
sur tes yeux
dans le peu à vivre
pèse l’assoupissement
***
Malade muet
emporté par le fleuve de l’oubli
tu touches dans la vie creusée
la mort imminente
dans l’indifférence du monde
***
En toute puissance
tu meurs avec courage
solitaire
Tout sombre
dans le silence
La nuit apparaît
***
Embrassé
Par la mort inconnaissable toujours connue
tu sais
corps sourd à la plainte
que tu vas aimer
comme la vie
la mort
***
Regard au plafond
pas encore mort
tu attends
vaincu
ton tour
ton cœur vide
qui reçoît la mort complète
exhale de tristes sanglots
***
Menacé par le désordre de la Covid
Menacé par l’ordre de la médecine
qui se neutralisent
tu cherches
dans leurs mouvements
un chemin d’avenir
***
Dans le voir
Dans le savoir
qui s’épaulent l’un l’autre
tu essais
de bâtir le monde
Vient à ton aide
plus que la raison
l’instinct
***
Empreintes de la mort
portées sur le corps
tu rejoins
large obscurcissement du cœur éprouvé
l’océan de silence
***
Personne
pour frôler
la main
le visage
de l’ami à l’esprit empêché ailleurs
qui va partir
***
Pensées enfuîtes
vers les insondables profondeurs
du silence des malades
tu t’étonnes
revenu du noir désastre
de mouvoir tes jambes
de mouvoir tes bras
***
Rivé
dans le temps harcelant
à la vie empêchée
privée de raison d’être
tu marches
immobile
devant l’éternité
Jean-Pierre Parra a aussi publié Noir sommeil Shoah, sur le terrible sort réservé aux Juifs sous le nazisme.« Il n’y a pas su la terre de vie digne sans devoir de mémoire », écrit-il dans la présentation de ces poèmes.
[1] Jean-Pierre Parra est un écrivain français né à Oran en Algérie en 1951. Il vit à Marmande (France) et on retrouve dans ses poèmes la subtile influence des mythes grecs et des contes arabes. Les thèmes abordés : l’amour, la maladie, la vieillesse, l’holocauste, les sans-abris, le suicide, etc. Ils forment une composition rythmique avec l’oeuvre picturale de sa femme Marianic Parra : une alliance de la peinture ( où toute la surface du plein et du vide est en jeu ) et de la poésie ( où tout est suggéré par les mots ).
[2] Les jours de peine. Imprimé en Pologne par Amazon fulfillment. Pour se procurer les œuvres de Jean-Pierre Parra : assistant@parra-art.com