Fernand Dumont et la religion catholique au Québec

Hélène Laberge

Dans les mots de tous,.Fernand Dumont, après nous avoir  donné à comprendre pourquoi la religion catholique s’est effondrée si vite au Québec, nous donne à pressentir les conditions de son rétablissement.

Fernand Dumont, (1927-1997) figure marquante de la sociologie et de la philosophie québécoises, a consacré les dernières années de sa vie à la théologie. Il en est résulté une thèse de doctorat en théologie qui relève des études savantes, mais aussi des témoignages substantiels à la portée d’un large public.

La Revue Notre-Dame [1]des Caisses Desjardins, connue sous le diminutif RND, publia l’un de ces témoignages, en mars 1989, sous la forme d’une longue entrevue accordée à André Charron, dans un numéro sur le catholicisme des Québécois : Une religion grugée par l’indifférence.[2]

Ayant retrouvé par hasard ce numéro de RND, j’ai été frappée par l’actualité des points de vue de Fernand Dumont. [3]C’est comme croyant qu’il avait été invité à s’entretenir avec André Charron. Les grandes questions auxquelles il apporte des réponses sont éloignées des présupposés habituels à nos médias actuels, à savoir que l’indifférence des catholiques, ou leur colère, à l’égard de l’Église remonte essentiellement aux années de la révolution dite tranquille et à ses conséquences sur la société québécoise. 

André Charron évoque entre autres questions celle très connue de la « baisse nette de la pratique religieuse.» Mais il la situe d’une façon plus universelle : «ne peut-on parler en plus d’une indifférence généralisée en matière de religion? »

Selon Dumont, « Quand on parle d’indifférence on veut dire que l’on vit dans une civilisation ou l’on reporte facilement l’examen de ces questions à plus tard, même si elles nous angoissent. On refuse d’affronter des questions essentielles et qui pourtant nous inquiètent. » Et il fait remarquer qu’on parle aussi au même moment « d’un retour religieux. »

Mais attention, « le mot religion est fort ambigu. Car on entend par là la multiplication des sectes, la vogue de l’horoscope, de l’astrologie, des sciences occultes. » […]  « Peu d’études ont été faites sur ce sujet, sauf dans la Revue française de sociologie où l ’on apprend que cette vague se situe non pas dans les classes populaires, mais dans les classes instruites, notamment chez les instituteurs, cela surprend mais c’est un peu le rôle de la sociologie de nous dérouter de nos impressions premières. Le sacré ne disparaît donc pas à mesure qu’on est éclairé par les Lumières comme on disait au 18 e siècle. Car la science explique certains phénomènes selon des points de vue qu’elle a fixés. Mais il reste toutes les incertitudes dans la signification du monde dans son ensemble et du destin de chacun en particulier. »

Mais, lui objecte Charron, « une question demeure. Pourquoi cherche-t-on des réponses dans les sectes ou dans l’astrologie, et non pas dans l’héritage chrétien?»: La réponse de Dumont : « Voilà peut-être la véritable interrogation soulevée par ce qu’on appelle de façon ambiguë l’indifférence. Je constate que les jeunes sont en recherche sous le couvert d’une ‘’ indifférence ‘’. Ils savent quelles grandes questions sur la vie se posent  [ … ] mais ce sont des questions qu’ils gardent pour ainsi dire en réserve sans opter pour telle réponse plutôt que pour telle autre. »

Une foi menacée mais alimentée par le doute

Dumont est un croyant mais un croyant très réfléchi: Croire pour lui c’est douter mais sans rejeter.  « Si notre foi est vivante elle est constamment menacée par le doute mais aussi alimentée par le doute. Le doute pour moi c’est quelque chose de positif pour la raison que les questions auxquelles veut répondre la foi sont des questions fondamentales et donc difficiles. »

« Y a-t-il une réponse au mal, à la souffrance dans le monde? S’il y avait une réponse abstraite, écrite dans un livre d’un Dieu métaphysicien, je serais le premier à ne pas croire. La foi c’est de faire confiance parce que Dieu en Jésus-Christ est venu partager notre condition. Et il s’est heurté au mal, à la persécution, et à la mort. Si tel n’était pas le cas, je ne croirais pas. C’est pour cela que je comprends ceux qui hésitent devant les grandes questions. Car effectivement ces questions nous dépassent, les chrétiens comme les autres. Et ce n’est pas parce qu’une personne réserve sa confiance qu’on a le droit de la traiter de matérialiste pour autant. »

« Peut-on affirmer, lui demande Charron, qu’il y a au Québec une ‘’élite ‘’ qui combat systématiquement la religion catholique alors qu’elle laisse libre cours aux superstitions les plus dénuées de fondement? »

Dumont répond que ce combat, on l’a vu apparaître « au moment où l’Église exerçait un pouvoir abusif, au cours des années 1910 jusqu’en 1940.  Mais aujourd’hui je dirais que ces gens-là travaillent pour rien. La croyance n’opprime plus personne.»  Faisant allusion aux symboles religieux que les laïcs souhaitent faire disparaître, « c’est comme si moi je voulais enlever tous les symboles qui heurtent mes convictions politiques. »

Le pluralisme, une entreprise de grisaille
 

« En fait, le vrai problème est ailleurs et il concerne non seulement la foi catholique mais aussi tous les engagements un peu fermes et un peu audacieux. Ce qui se passes actuellement […] c’est un effort généralisé pour banaliser les opinions et réduire à néant les oppositions […] Nous avons glissé vers le pluralisme neutre et gris. Et c’est aussi vrai en politique.  C’est une véritable entreprise de grisaille qu’on qualifie de pluralisme. »

 Charron revient sur la « coupure que l’on observe actuellement entre parents et enfants en matière de croyance religieuse, »et lui demande comment l’expliquer?

 « Quand est arrivée la crise des années 60, bien des parents se sont sentis démunis. Pendant un siècle il n’y avait pas eu de catéchèse en profondeur. Et voilà qu’ils étaient obligés brusquement de se faire une idée précise de leur foi. Le Christ était-il vraiment pour eux une présence de Dieu dans leur vie ou bien le christianisme n’était-il qu’un message, qu’une certaine philosophie de la vie qu’on leur avait donné e à apprendre par cœur ? »

Dumont souligne également la transformation de la famille. « Elle perdait son emprise sociale, elle n’avait plus la même force d’encadrement, elle devenait la famille nucléaire, […] un lieu presque uniquement de relations affectives. Ce qui explique d’ailleurs, à mon avis, la rupture de beaucoup de familles. »

Charron se demande alors « quelles sont les avenues qui s’offrent à ces parents.»  Réponse de Dumont : « La foi ne peut pendant un certain temps être portée par une vague sociale.» Au cours de l’entrevue Dumont a évoqué les trois pratiques religieuses, le Baptême, le mariage et les funérailles que les Québécois ont conservées (ce qui est encore le cas à l’heure actuelle). Revenant à la question de la progression de l’indifférence chez les Québécois, Dumont fait appel à la prudence : « Faut-il voir dans les trois pratiques évoquées ce que certains appellent des « attaches sociologiques pour rythmer la vie sociale aux moments décisifs de l’existence. Ou un attachement réel à une religion incarnée dans une Église? »

« Le sacré ne disparait pas à mesure qu’on est éclairé par les lumières comme on disait au 18e siècle, car la science explique certains phénomènes selon des points de vue qu’elle a fixés. Mais il reste toutes les incertitudes quant à la signification du monde dans son ensemble et du destin dans son particulier. Les questions fondamentales restent donc présentes dans les consciences. Mais une question demeure pourquoi cherche-t-on les réponses dans les sectes ou dans l’astrologie et non pas dans l’héritage chrétien ? […]  Ce qui se passe actuellement chez nous et c’est très grave, c’est un effort généralisé pour banaliser les options et réduire à néant les oppositions. »

 Comment notre peuple a-t-il été catéchisé?

Dumont souligne un aspect de l’histoire peu souvent évoqué : au début du régime français, « la plupart des paroisses n’étaient que des dessertes. Après la conquête, il y a un manque chronique de prêtres jusqu’en 1850. Et assez rapidement l’Église s’est imposée avec des hommes comme Mgr Bourget et Mgr Bruchési. Mais je suis sûr que son règne est resté un règne de surface  Il n’y a pas eu d’évangélisation en profondeur. C’est du moins mon hypothèse car en histoire il faut être prudent.

Le rôle politique de l’Église

« Et puis aussi, l’Église a été victime des circonstances. Au moment de la Confédération en 1867, on a laissé au Québec l’éducation et l’assurance sociale, alors qu’à Ottawa on gardait les pouvoirs. Et au Québec qui était au fond une grande municipalité, om a délégué cela à l’Église qui a été amenée à jouer un rôle politique et à gérer la culture. (…) L’Église a dominé Mais on ne s’est pas demandé l’influence en retour qu’une telle situation a eue sur la religion, sur la foi et sur l’Église 21 Je crois qu’on en a oublié l’évangélisation., d’autant plus que les pouvoirs publics faisaient à l’Église les génuflexions qu’il fallait pour qu’elle s’occupe du travail que l’État lui avait confié.  De sorte qu’avec le années 60 lorsqu’on est devenus des Occidentaux comme les autres, on n’était pas préparés à vivre une foi fondée sur des convictions personnelles. Et ce n’est pas le Concile, malgré toute sa valeur, qui pouvait nous permettre avec quelques textes de rattraper l’histoire.»

Remarque de Charron : « Il y a toujours eu un combat contre la foi depuis les lointaines hérésies jusqu’à l’athéisme moderne. » Il se demande «si l’indifférence ne constitue pas our les croyants une menace encore plus redoutable.»

Réponse de Dumont : […] l’indifférence laisse la question ouverte alors que l’athéisme considère que la question est close […] ‘’ Nous vivons désormais dans un monde sans mystère ‘’ disait au début du siècle l’athée Berthelot.»

Deux athéismes

Le premier  « qu’on peut quasiment qualifier de bête ou de naïf, il y a un athéisme plus raffiné qui porte  jusqu’au bout l’interrogation contre la foi et introduit ainsi un réel débat.  On pense, par exemple, à Nietzsche qui se proclamait athée d’une certaine façon mais d’un athéisme assez particulier. C’est ainsi qu’il disait à ses contemporains : ‘’ Vous avez tué Dieu, et maintenant vous tombez dans un abîme ou il n’y a plus de soleil. ‘’ […] Et un homme qui pense comme ça, pour moi, n’est pas un adversaire, mais quelqu’un qui me ramène à l’angoisse première d’un monde sans lumière. »

Dumont invoque aussi ce qu’il appelle « les attaques de front contre l’Église » .. mais il précise « que ceux qui ont quitté l’Église l’ont fait sans grande crise et sans grande passion.  Alors qu’en France au 19e siècle, cela se faisait dans la douleur et le déchirement. »   Il se demande comment en 1960, l’écroulement de l’édifice a-t-il pu se faire si vite et sans drame collectif?  […] Cela nous invite à explorer notre histoire de l’Église pour essayer de comprendre. » Il ne doute pas que « certains désistements aient été douloureux mais qu’on ne l’a pas dit. »

L’athée et l’agnostique

Devant cet écroulement, Dumont s’est questionné sur l’athéisme et l’agnosticisme. Point de vue de l’athée :« ‘’ L’univers ne vient de nulle part et après la vie il n’y a rien.’’ Tandis que l’agnostique reconnait que les questions ainsi posées sont de vraies questions. […] Et si je suis honnête, je dois admettre que moi aussi malgré ma foi je n’ai pas de réponses, au sens intellectuel du terme. J’ai la foi parce que j’adhère au Christ […] mais je n’ai pas la réponse et c’est sans doute pour cela que ma foi demeure vivante et donc fragile comme tout ce qi est vivant. […] Croire c’est dépasser l’agnosticisme beaucoup plus que  sortir de l’athéisme qui, lui, s’enferme dans la négation définitive »

Visage de l’Église 

Pour Dumont, il importe de « comprendre mieux  ce qui se passe quand on  considère le visage de l’Église. » Et ce qu’il appelle « ses points d’insistance : c’est la question des techniques anticonceptionnelles, celle du sacerdoce des femmes, celle des relations sexuelles.»  Tel est le visage que nous donnons aux jeunes et aussi  aux moins jeunes. Et je crois que c’est là le nœud du problème. On donne l’impression que notre grand problème, que notre obsession c’est la morale sexuelle. Je ne dis pas que les questions d’ordre sexuel ne sont pas de vraies questions. Je dis qu’il y a un ordre des questions. Et que les questions fondamentales que les gens se posent ce sont celles du sens de la vie, du pourquoi de la souffrance. Ils se demandent si l’amour a un sens.  Si la recommandation de l’évangile d’aimer même ses ennemis a du bon sens.»     Ce sont « ces vraies questions qui peuvent les amener à la foi. Le reste, c’est de la cuisine ecclésiastique. »

Triomphe de l’Église et son adaptation

 Devant ce qui a été dans notre histoire  « le  triomphalisme de l’Église »  , Dumont se demande « pourquoi on refuserait d’admettre qu’il s’est fait des  erreurs dans toutes les institutions […] Et quand on aborde la question de la place des femmes dans l’Église, c’est pour nous dire que chez nous rien ne peut être comme ailleurs. »  Et nous fait-il remarquer, on utilise comme argument, « ce qui s’est passé au temps où l’Église a commencé. Est-ce qu’à ce moment il y avait des monseigneurs et des cardinaux ? Est-ce que le Vatican existait ? En fait est-ce que l’Église ne s’est pas adaptée au fur et à mesure selon les cultures où elle s’est développée ? »

Cléricalisme et foi

Autre question de Charron : « Comment expliquer la coupure que l’on observe actuellement  entre les parents et les enfants en matière de croyance religieuse?

Toujours soucieux d’histoire, Dumont remarque que « la tradition catholique, à la différence de la tradition protestante ou de la tradition juive, n’a jamais accordé une grande importance au culte familial […] elle a plutôt enlevé toute responsabilité religieuse à la famille, à cause de son penchants à la centralisation et au cléricalisme.  […] L’Église vantait hautement la famille mais comme les relais entre les autorités et l’enfant.  Quelle foi pouvait naitre « de la lecture des textes d’un curé ou de ses paroles d’homme ? […)] Si on fait confiance aux parents, ils pourront dire la foi qu’ils vivent [… ] Car la foi vit lorsqu’on la dit. […] Elle revit par notre parole comme elle a vécu par la parole des prophètes. »

Notons qu’aujourd’hui la foi se dit dans une radio chrétienne diffusée dans plusieurs villes du Québec, Radio VM  (Radio Ville-Marie), offrant aux auditeurs une remarquable programmation d’entrevues aussi bien philosophiques que religieuses ou littéraires ainsi que des sujets de l’actualité. On y entend quotidiennement des choix de musique dite classique ou autre par des mélomanes qui disposent d’une panoplie passionnante de compositeurs et d’interprétations bien situés dans le temps.

 

 


[1] Cette revue, les clients la trouvaient en libre circulation dans leur caisse populaire.  On y trouvait des articlesignés par des philosophes ou écrivains du Québec. « Affrenchi de ses origines religieuses, le magazine basé à Québec est devenu une publication à caractère social. Une chose demeure, l’endroit où il est distribué: dans les Caisses populaires Desjardins. La rédactrice, Brigitte Trudel, en trace le portrait. » (Revue Notre Dame (RND) présentée dans Reflet de Société du 11 mars 2007.

 

[2] Les Québécois d’après les statistiques actuelles se disent catholiques à 39% sur les 67%  de chrétiens. Le chiffre passe à plus de 80% de catholiques lorsqu’on inclut les migrants Ukrainiens, Polonais et Mexicains 

[3] L’Encyclopédie de l’Agora, (créée en 1998 ) avait, au fil des ans,  consacré à Fernand Dumont plusieurs articles : Son enfance dans la petite ville industrielle de Montmorency; Culture première, culture seconde; La Genèse de la société québécoise et ses suites; Le désenchantement du monde et l’avenir du christianisme; Pour renouer avec Fernand Dumont. Ses nombreuses publications sont disponibles au format numérique dans les Classiques es sciences sociales. Elles nous font découvrir, ou redécouvrir, chez un Dumont sa marque principale, par-delà sa spécialité de sociologue, ses réflexions sur les liens qui existent entre les diverses cultures auxquelles il se réfère .

 

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