Uranium appauvri

Qu'est-ce que l'uranium appauvri ?

"L'uranium sert à la combustion des réacteurs de centrales nucléaires et à la réalisation des bombes atomiques. Le produit de base est l'uranium naturel extrait des mines, qui est constitué à 99,3 % de l'isotope U 238 et à environ 0,7 % de l'isotope U 235. Les différents isotopes d'un même élément chimique ont un noyau comportant un nombre identique de protons (numéro atomique) mais différent de neutrons.

L'uranium 235 est fissible: si on le «bombarde» avec un neutron, il se casse en libérant de l'énergie et des neutrons. Ces derniers peuvent à leur tour casser des atomes d'U 235. On parle de réaction en chaîne: contrôlée dans le réacteur d'une centrale nucléaire, elle est poursuivie jusqu'au bout lors d'une explosion atomique.

L'uranium naturel n'étant pas assez concentré en U 235 pour être utilisé comme combustible nucléaire, la réaction en chaîne ne peut être maintenue, faute du bon isotope. Il faut donc augmenter sa proportion en U 235 (seul vrai combustible) jusqu'à de 3 à 4 %. C'est pourquoi dans des usines d'enrichissement, on «arrache» par diffusion gazeuse les isotopes d'U 235 de l'uranium naturel.

D'un côté on dispose donc d'un uranium enrichi destiné aux centrales nucléaires. De l'autre, un uranium appauvri où l'isotope U 235 ne représente que 0,2 % de la masse. Il s'agit d'un déchet radioactif que l'on stocke dans des sites surveillés.

Depuis que les centrales nucléaires fonctionnent, on estime à 1 million de tonnes la quantité d'uranium appauvri issue de l'enrichissement d'uranium à vocation civile. Les experts en attribuent 500 000 tonnes aux Etats-Unis et 150 000 tonnes à la France. Quelque 50 000 tonnes d'uranium appauvri viennent grossir ces stocks chaque année.

Depuis les années soixante, cet uranium appauvri «au repos» et bon marché a trouvé des débouchés dans le secteur militaire mais aussi dans le civil. On l'utilise à des fins médicales pour fabriquer des boucliers de protection contre les rayons X, dans les accélérateurs linéaires, dans les conteneurs de navires comme boucliers, dans certains détecteurs de feu, dans des lentilles optiques (source: Science et Vie, 1er février 2001)."

Assemblée nationale française. Commission de la Défense nationale et des Forces armées. Rapport d'information en conclusion des travaux d'une mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques. Tome I - 2e partie: L’exposition des forces françaises à des risques sanitaires diffus et variés (No 3055). Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 mai 2001. Rapporteurs: Bernard Cazeneuve, Michèle Rivasi et Claude Lanfranca

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"Les munitions à uranium appauvri

«Perforant et incendiaire», un projectile à uranium appauvri est «l'arme antichar idéale puisqu'elle perfore les blindages de chars les plus résistants, provoque un violent incendie entraînant l'explosion des munitions contenues dans le char et, ainsi, sa destruction complète». Tel est l'argumentaire développé par l'Observatoire des armes nucléaires françaises dans son cahier d'octobre 2000.

À en croire le Rapport de l'Institut de politique environnementale de l'armée de Terre américaine (US Army Environmental Policy Institute), relatif aux conséquences sanitaires et environnementales de l'utilisation de l'uranium appauvri par l'armée de Terre américaine et datant de juin 1994, ce type de munitions a fait l'objet d'études aux États-Unis dès les années soixante-dix. D'après M. l'Ingénieur en Chef Jacques Céron, la réflexion a été engagée en France à partir de 1986.

Dans les deux cas, il s'agissait de se prémunir contre les blindages de plus en plus résistants des chars des États du Pacte de Varsovie, menace importante pour l'Europe en pleine Guerre froide. (...)

À cet égard, l'extrait suivant de l'audition de M. Jacques Céron, apporte quelques précisions techniques intéressantes quant au mécanisme et à l'efficacité des obus-flèches utilisés. Il apparaît que c'est autant en raison de l'énergie cinétique qu'à cause des propriétés pyrophoriques du métal employé que ces munitions sont aussi dévastatrices:

«M. l'Ingénieur en chef Jacques Céron: Qu'est-ce qu'une munition flèche ? On projette une partie métallique d'une forme un peu spéciale à très grande vitesse et on profite de l'énergie cinétique de ce produit pour pénétrer les blindages. Il faut savoir qu'une flèche perfore un blindage réactif avant que ce même blindage puisse faire de l'effet sur elle: la flèche va tellement vite que l'explosion de ce blindage n'a lieu que quand une partie de ce projectile est passée. (...)

M. Aloyse Warhouver : Le tir se fait à quelle distance?

M. l'Ingénieur en chef Jacques Céron : On tire sur des chars aux alentours de 1 500 mètres. C'est un point d'efficacité sachant que si l'on s'approche davantage on a des chances d'être l'objet d'un tir ennemi en premier.

Quelle est la particularité de la munition flèche ? Vous voyez ici la cartouche, telle qu'elle est introduite dans le char et là, un obus. Le sabot permet de projeter cette flèche hors du tube à très grande vitesse. Le sabot est composé de trois morceaux qui se désolidarisent de la munition et la flèche poursuit sa trajectoire. La forme aérodynamique de la flèche est telle qu'elle ne perd pratiquement pas de vitesse sur toute la trajectoire utile de la munition. Ce sont des munitions qui, perdues dans la nature, vont très loin».

Et M. l'Ingénieur en chef Jacques Céron d'ajouter: «Il est clair que si un char est touché par une flèche, c'est malheureusement l'issue fatale pour tout son équipage. Les seuls cas de blessés que j'ai pu connaître concernent des tirs fratricides américains, où les soldats ont été touchés par des éclats de flèches à uranium appauvri»."

Assemblée nationale française. Commission de la Défense nationale et des Forces armées. Rapport d'information en conclusion des travaux d'une mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques. Tome I - 2e partie: L’exposition des forces françaises à des risques sanitaires diffus et variés (No 3055). Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 mai 2001. Rapporteurs: Bernard Cazeneuve, Michèle Rivasi et Claude Lanfranca

Enjeux

Exposition des militaires à l'uranium appauvri lors de la Guerre du Golfe et au Kosovo

"Il est certain que les forces terrestres et aériennes américaines, et dans une moindre mesure les chars anglais, ont recouru à des munitions à uranium appauvri au cours de la guerre du Golfe. Les troupes françaises, pour leur part, n'en auraient pas utilisé (ce type d'armes n'étant pas encore au point). (...)

Cette exposition aux conséquences de l'emploi d'obus à uranium appauvri est assez préoccupante, ne serait-ce que parce que les précautions désormais applicables aux personnels au contact de tels armements ne semblent pas avoir été en vigueur lors des opérations. (...)

Si la question de l'exposition des soldats à l'uranium appauvri a été tardivement envisagée en France, il n'en a pas été de même aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, où des programmes d'études épidémiologiques et environnementales ont été lancées, respectivement en 1994 et 1998.

Les investigations menées par la mission d'information ont abouti à une amorce de réflexion sur le sujet. Quelques zones d'ombre subsistent encore, mais d'ores et déjà il apparaît que l'emploi d'armes à uranium appauvri peut comporter des risques.

a) Les risques afférents à l'inhalation de poussières d'uranium appauvri

Au cours de son audition, le 9 janvier 2001, le Médecin général Jean-Yves Tréguier, directeur du Service de Radioprotection des Armées, a indiqué quels sont les risques encourus et leurs conséquences sanitaires pour les personnes en contact avec des particules d'uranium appauvri:

«Le devenir biologique de l'uranium est variable selon la voie de transfert à l'homme, et sa forme chimique (métal, oxyde ou sel). Le rein, le squelette, le poumon (en cas d'inhalation) sont les principaux organes cibles.

Les voies de pénétration possibles chez le travailleur sont le poumon par inhalation ou la peau par blessure. Le poumon serait la voie d'entrée prédominante pour des soldats qui se trouveraient à proximité d'un char au moment de l'impact d'un obus à l'uranium appauvri. Pour le public, la voie d'entrée habituelle est celle de l'ingestion par les aliments ou les eaux de boisson».

La toxicité de l'uranium appauvri est davantage chimique que radiologique. En effet, lorsqu'elles sont inhalées, les particules de 5 à 10 micromètres de diamètre dégagées au moment de l'impact des munitions sur leur objectif, pénètrent dans les poumons, passent dans le sang et contaminent certains organes ainsi que les os; ingérées, elles sont en grande partie excrétées par les urines mais peuvent également franchir la barrière gastro-intestinale. Au contact des cellules, l'uranium irradie ces dernières: certaines meurent; d'autres se régénèrent; d'autres enfin peuvent dégénérer en cellules cancéreuses.

Lors de son audition le 20 mars 2001, le Docteur Abraham Béhar, spécialiste de médecine nucléaire, a quant à lui attiré l'attention sur les symptômes respiratoires, digestifs et hématologiques, qui constituent autant de précurseurs possibles de pathologies découlant d'une inhalation de poussières d'uranium appauvri.

Plus que les munitions, c'est donc leur explosion dans les blindages de véhicules, génératrice d'aérosols autour de la cible, qui constitue un facteur d'exposition à un risque sanitaire pour les troupes engagées. Le Médecin général, Jean-Yves Tréguier, a d'ailleurs insisté sur ce point:

«Lors de l'impact entre la munition à uranium appauvri et le blindage des chars, on constate l'émission d'un aérosol d'uranium appauvri: un tiers pénètre dans le char, les deux tiers restent à l'extérieur. L'uranium étant un métal lourd, l'aérosol va se déposer assez rapidement sur le sol, dans un cercle d'une dizaine de mètres autour du char».

Entendue par la mission d'information le 19 décembre 2000, Mme la Docteure Anne Flüry-Hérard, chargée de mission au Cabinet du Haut Commissaire à l'Energie Atomique, a précisé la teneur de ce risque d'inhalation d'aérosols:

«Au moment de l'impact, le chiffre admis comme celui de la quantité pouvant être plus virulente, car envoyée sous forme de petites particules se mettant à brûler après l'impact, est de l'ordre de 10 milligrammes par m3 et par obus. C'est une concentration très importante se faisant dans un rayon de 4 mètres autour de l'impact. Un phénomène de sédimentation intervient très rapidement après impact, de l'ordre de quelques minutes environ. Tout dépend toutefois du nombre d'obus et de la situation dans laquelle se trouvent chacun des intervenants».

De cet ensemble de données, la mission d'information déduit que le risque lié à l'inhalation de particules d'uranium appauvri sous forme d'aérosols est d'autant plus élevé que, d'une part, les personnes exposées sont proches du lieu d'impact de la munition sur sa cible, et d'autre part, le temps qui s'est écoulé entre l'arrivée des militaires sur le site et le bombardement de l'objectif est court. (...)

De surcroît, la mission d'information observe que les conditions météorologiques ont certainement modifié les circonstances de sédimentation des aérosols d'uranium appauvri. En effet, les comptes-rendus opérationnels font état de vents de sable. De fait, l'aire de sédimentation des aérosols s'est certainement élargie et il n'est pas impossible que des militaires situés à quelques centaines de mètres, voire quelques kilomètres des zones bombardées par les A 10 américains aient pu respirer des poussières d'uranium appauvri.

En cela, l'exposition des militaires français aux poussières d'uranium appauvri pourrait avoir été plus étendue que ce que laissent entendre les modèles théoriques.


b) Les doutes persistants sur la composition isotopique des munitions employées

Les informations concernant la toxicité de l'uranium appauvri qui émanent du ministère de la Défense se veulent rassurantes.

À cet égard, la fiche de synthèse du dossier technique sur l'impact sanitaire de l'uranium appauvri, établie par la direction centrale du Service de santé des Armées, affirme que: « La radioactivité de l'uranium appauvri est faible, de l'ordre de celle rencontrée dans certains milieux naturels. Sa toxicité chimique est comparable à celle des autres métaux lourds (notamment en ce qui concerne l'atteinte rénale». Sa radioactivité alpha serait deux fois moins importante que celle de l'uranium naturel et sa toxicité chimique identique à celle de l'uranium naturel.

La toxicité chimique de l'uranium appauvri serait donc comparable à celle du plomb, du cadmium ou du tungstène et sa toxicité radiologique serait liée, quant à elle, à la teneur isotopique du composé.

L'étude de la direction centrale du Service de santé des Armées conclut que la surveillance médicale réalisée sur les vétérans de la guerre du Golfe n'a pas, à ce jour du moins, débouché sur un constat alarmant puisque «les analyses effectuées jusqu'à présent chez les travailleurs exposés à l'uranium appauvri, ainsi que les personnels , soit au retour de la guerre du Golfe, soit au Kosovo, se sont toujours situées en dessous (des) limites (de détection indiquées par la Commission Internationale de Protection Radiologique) et n'ont jamais donné de valeurs significatives».

Pourtant, des interrogations subsistent sur la composition isotopique des obus à uranium appauvri utilisés par les forces américaines au moment du conflit.

À cet égard, on ne peut ignorer qu'un ancien médecin Colonel des Armées américaines, le Docteur Assaf Durakovic, a exposé, devant le congrès annuel de l'Association européenne de médecine nucléaire qui s'est tenu à Paris le 2 septembre 2000, qu'il avait détecté des traces d'uranium 236 dans les urines de seize soldats américains, canadiens et britanniques qui avaient participé à la guerre du Golfe (25).
Or, l'isotope U 236 n'existe pas à l'état naturel, de sorte que dans l'hypothèse où les résultats du Docteur Durakovic se trouveraient scientifiquement incontestés, il se pourrait fort que les munitions à uranium appauvri aient présenté un risque radiologique supérieur à celui de l'uranium naturel.

Cet élément est d'autant plus troublant que les analyses effectuées par la société industrielle de combustible nucléaire (filiale de Cogema), chargée de l'usinage de l'uranium appauvri importé des États-Unis pour la fabrication des obus flèches français, corroborent la présence de traces d'uranium 236 dans les stocks utilisés (26), dont la provenance est identique à celle des munitions américaines.

M. Frédéric Tona, directeur du pôle mines-chimie de la Cogema, qui accompagnait M. Henri Staeger, Président de la société industrielle de combustible nucléaire lors de son audition le 20 mars 2001, a précisé que des analyses isotopiques avait été effectuées sur les lots de métal importé, et qu'elles avaient révélé une présence d'uranium 236 à hauteur de 31 ppm en moyenne. Il a supposé que ce marquage résultait d'une pollution des filtres de diffusion gazeuse de l'usine de transformation du minerai d'uranium en métal appartenant à NMI. (...)

Interprétant ces analyses, le directeur-adjoint des applications militaires du Commissariat à l'Energie Atomique, M. Alain Delpuech, écrit:

«Nous pouvons donc confirmer que, suivant le protocole utilisé, le plutonium 239 n'a pas été détecté. Il ne pourrait donc être présent qu'en quantités inférieures ou égales à celles rencontrées dans l'uranium naturel». (...)"

Notes
(25) La proportion d'uranium 236 mise en évidence par spectrométrie de masse dans leurs urines avoisine 0,000046 %.
(26) Lors de l'audition de M. Henri Staeger, Président de la SICN, le 20 mars 2001, il a été expliqué aux membres de la mission d'information que l'uranium appauvri sous forme métal qui est incorporé dans les obus flèches français provient de la société américaine Nuclear Metal Inc (NMI), rebaptisée depuis peu Starmet. L'usine française de transformation des minerais d'uranium en métal, situé à Malvési, ayant été fermée, le choix de l'importation se serait imposé tout à la fois pour des raisons de coûts et de spécifications (l'uranium appauvri ne devant pas contenir trop d'impuretés).
Ainsi s'explique l'importation par la France d'uranium appauvri d'origine américaine à plusieurs reprises : 102 kilogrammes en 1979, 75 tonnes en 1991 (à destination de la compagnie d'études et réalisations de combustibles nucléaires) et 910 tonnes en 1993 (pour la SICN).


Assemblée nationale française. Commission de la Défense nationale et des Forces armées. Rapport d'information en conclusion des travaux d'une mission d'information sur les conditions d'engagement des militaires français ayant pu les exposer, au cours de la guerre du Golfe et des opérations conduites ultérieurement dans les Balkans, à des risques sanitaires spécifiques. Tome I - 2e partie: L’exposition des forces françaises à des risques sanitaires diffus et variés (No 3055). Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 mai 2001. Rapporteurs: Bernard Cazeneuve, Michèle Rivasi et Claude Lanfranca

Articles


L'uranium appauvri dans les munitions et blindages de l'armée américaine

Bureau des programmes d'information internationale
Communiqué faisant état d'un rapport du Département américain de la Défense en date du 14 mars 2003. Défend l'utilisation de l'uranium appauvri dans un contexte militaire et nie les allégations sur les problèmes de santé qu'une telle utilisa



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