Sérénité

L'air est pur, l'eau est claire, la mer est calme, le ciel est serein. Qu'est-ce qui distingue tous ces mots apparentés? Ne serait-ce pas l'expérience sensible à laquelle  ils sont le plus intimement associés? C'est d'abord l'eau qui est claire même si cette qualité peut appartenir à une foule d'autres choses y compris aux idées qui doivent être «claires comme de l'eau de roche». État du temps, dit le Littré au mot sérénité. C'est d'abord le ciel qui est serein. Et quand on dit d'un ciel serein qu'il est calme, clair et pur, on lui prête des qualités analogues propres à la mer, à l'eau et à l'air. «La lune était sereine et jouait sur les flots»Hugo.

«L'air était pur, l'horizon sans nuages, la sérénité régnait au ciel comme dans nos coeurs.» Rousseau, Les Confessions.

Ciel sans nuages, âme sans agitation.

«La sérénité, c'est de n'être plus pris dans l'alter­native inquiète de la crainte ou de l'espoir, et même de se situer au-delà de toute certitude (parce que les certitudes, ça se défend, ça s'argu­mente, ça se construit). Quant vous êtes partis pour la journée, que vous savez qu'il faut tant d'heures pour gagner la prochaine étape, il n'y a plus qu'à marcher et suivre le chemin. Rien d'autre à faire. De toutes les manières, ce sera long, chaque pas enjambera les secondes mais ne rac­courcira pas les heures. De toutes les manières, le soir viendra et les jambes auront fini par englou­tir, par petites bouchées répétées, l'impossible dis­tance. C'est une fatalité dont les effets sont inévi­tables. Il y a à peine à décider, s'interroger, calculer. Rien à faire d'autre que marcher. On pourrait anticiper, mais en marchant décidément les choses vont trop lentement. L'anticipation serait décourageante. Il faut juste alors avancer, à son rythme, jusqu'à l'étape. La sérénité, c'est de seulement suivre la route. Et puis, en marchant, la sérénité c'est aussi que tous les tracas et les drames, tout ce qui creuse de sillons vides nos vies et nos corps, tout paraît absolument sus­pendu, parce que hors de portée, trop éloigné, incalculable. Aux grandes passions usantes, aux excitants dégoûts des existences actives, compri­mées à craquer, s'est substituée enfin la lassitude implacable de la marche : juste marcher. La séré­nité, c'est la douceur immense de ne plus rien attendre : juste avancer, marcher.»

Frédéric Gros, Marcher, une philosophie, Flammarion, Paris, 2009, p.199

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