Essentiel
La France et l'Angleterre ont adopté des mesures pour réduire la consommation de sel. Aux États-Unis, le débat se poursuit, ponctué de poursuites judiciaires. En février 2005, le Center for Science in the Public Interest a engagé une poursuite contre la Food and Drug Administration, accusée d'être trop laxiste. Au même moment, le Salt Institute, un organisme soutenu notamment par l'industrie alimentaire, lançait une poursuite contre le Department of Heath and Public Services, à qui il reproche de soutenir des savants qui manquent de rigueur dans leurs déclarations publiques. Au cours des 20 dernières années, l'industrie alimentaire a mis à l'essai, à plusieurs reprises, des produits à faible teneur en sel. Dans tous les cas, ces produits, expliquent les porte parole de l'industrie, ont été boudés par les consommateurs.
La question cruciale est donc la suivante: devons-nous nous fier à notre goût ou à notre science?
Un chercheur, le Gary Beauchamp a montré qu'il est possible de modifier le goût des gens, de leur apprendre à préférer des aliments moins salés. Le même chercheur a toutefois démontré également que les gens apprennent encore plus facilement à préférer les plats encore plus salés.
Dans le débat public, on ne va guère au-delà de ces considérations pratiques, alors que de toute évidence il faudrait réfléchir sur le goût et sur ses rapports avec l'instinct? Dans toutes ces questions c'est le rapport de l'homme avec lui-même et avec la nature, dans ce qu'il a de plus intime qui est en cause.
L'animal sauvage sait ce qu'il doit manger pour survivre et l'on peut présumer que chez lui le goût suit l'instinct, que ce qu'il trouve bon est bon pour lui. Chez l'homme, il y a discontinuité entre le goût et l'instinct. Ce qui nous empoisonne a souvent bon goût. Le goût demeure cependant un bon guide dans bien des cas, et l'on peut présumer qu'il peut être éduqué et se rapprocher ainsi de l'insctinct perdu. On peut toutefois se demander si, chez ceux qui aujourd'hui sont soumis à la publicité, aux couleurs et aux arômes artiticiels, il n'est pas irrémédiablement déformé. Ce recul du goût, après celui de l'instinct s'appelle dégénérescence.
«L'homme dégénéré est celui qui ne sait plus distinguer ce qui lui fait du mal.» Nous revenons toujours à ce mot de Nietzsche et à cette question qu'il soulève: quelle est cette faculté qui nous permet de distinguer ce qui nous fait du mal. Nous l'appelons le
goût dans le cas des aliments. Quand il s'agit des personnes ou des lieux à éviter, des gestes à retenir, nous n'avons même pas de mot précis pour la désigner. Nous avons le mot
kairos pour désigner le sens du temps opportun. Peut-être pourrions-nous nous inspirer de ce que nous savons sur le
kairos, pour mieux comprendre la même faculté vitale dans ses rapports avec les autres aspects de notre vie.
Si nous désespérons de notre goût (c'est en effet une forme élémentaire du désespoir que de ne plus croire en son propre goût), ou bien nous deviendrons adeptes d'une nourriture
scientifique, ou bien nous avalerons n'importe quoi, n'importe comment, mais le plus souvent nous oscillerons entre ces deux extrêmes, passant du
correct food au
junk food, mais ignorant toujours la bonne cuisine. C'est l'égarement des contraires en matière de nourriture.
Enjeux
Pendant des siècles le sel, le sel a fait le malheur des gens en raison de sa rareté...et de la taxe dont il était frappé. Il y a lieu de croire qu'aujourd'hui il fait le malheur des gens en raison de sa surabondance. Tout indique en effet que, pour les personnes dont les reins ne peuvent éliminer qu'une quantité limitée de sel, ce minéral savoureux est une cause d'ypertension artérielle et par là de maladie cardiaque. Faudra-t-il instaurer une taxe sanitaire sur le sel?
La gabelle
Le sel a été pendant longtemps un bien rare. Et comme il s'agissait d'un bien essentiel, dont il était assez facile de contrôler la distribution, les autorités publiques ont souvent été tentées de recourir au sel pour conserver leur pouvoir. D'où l'inimaginable impôt dont Philippe Le Bel, à la fin du XIIIe siècle, s'avisa de grever le sel. Cet impôt connu sous le nom de gabelle a empoisonné, il n'y a pas d'autre mot, pendant des siècles le petit peuple de France. Entre autres aberrations, il variait d'une province à l'autre. D'où une contrebande inévitable. D'où également la mise sur pied de douanes entraînant en fin de parcours une hausse de la gabelle. Les contrevenants à la gabelle étaient considérés comme des faussaires; ...pour l'année 1780... 2,000 personnes furent condamnées à des peines de prison et 300 envoyées aux galères à perpétuité. Cet impot et surtout la façon dont il fut administré est l'un des facteurs de la Révolution française. Il fut supprimé en 1790 et reprit plus tard sous Napoléon la forme d'une taxe analogue aux taxes de vente actuelles.
Le sel, l'hypertention artérielle et les maladies cardiaques
Voici le résumé d'une
conférence que monsieur Jean-Louis Imbs, prpofesseur de pharmacologie à l'Université Louis Pasteur de Strasbourg, prononçait sur cette question lors du colloque
Génomique, génoéthique et anthropologie, tenu à L'Université de Montréal en octobre 2004.
«L’hypertension artérielle essentielle est définie par l’absence d’étiologie reconnue dans l’état actuel des connaissances. Elle est une cause majeure de morbidité et de mortalité cardio-vasculaire dont le caractère souvent familial a de longue date fait rechercher une origine génétique. Cette recherche commence à donner des résultats : ils ciblent tous une anomalie héréditaire de l'élimination rénale du sodium favorisant l’apparition de l'hypertension ou en aggravant l'évolution. La notion d’hypertension « sensible » au sel a ainsi été développée, s’opposant à celle d’une « résistance » au sel. Dans le même temps, plusieurs études épidémiologiques ont démontré l’existence d’une relation, parfois discutée, entre la consommation alimentaire de sel (de chlorure de sodium) et une élévation anormale de la pression artérielle. Dès lors, il devenait logique de réduire les apports en sel des individus « sensibles ». Cette démarche, apparemment rationnelle, n’est pas (encore) possible au niveau d’une population. En effet, les tests utilisés pour marquer la sensibilité au sel sont contraignants et inapplicables en dehors de recherches cliniques ponctuelles. Il a été alors proposé de réduire globalement la consommation de sel au niveau de la population. Cette démarche s’est heurtée à une vive résistance de l’industrie alimentaire pour laquelle le contenu en sel est un élément de profit car il favorise la consommation. L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a réuni un groupe de travail dans l’objectif de réduire dans la population française les surcharges alimentaires en sel dépassant 12 g (1). Le sel ajouté lors du repas ne représente que 20 % du sel ingéré, le reste était imposé par le pain, les fromages, les charcuteries et les conserves. Le groupe a proposé une réduction de leur contenu en sel et un accord a pu être obtenu avec la majorité des professions intéressées. Une information sur cette démarche a été intégrée dans le programme national Nutrition-Santé lancé en France en 2003. Visant la santé publique, et donc l’ensemble de la population ; elle doit bien sûr être acceptée par ses représentants. Les recommandations émises par l’AFSSA sont soumises depuis 2002 aux deux instances légiférantes concernées, aussi bien françaises que de l’Union Européenne. Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments : Rapport sel : évaluation et recommandations. Janvier 2002 (1 volume, 200 pages, avec traduction anglaise). Disponible sur le site de l'AFSSA.»