Enjeux
Il y a lieu, soutient Jean-Claude Guillebaud dans
La force de conviction, de s'inquiéter de la lègèreté avec laquelle les médias traitent les questions relatives à l'occultisme ou au satanisme.
«Certes, les médias évoquent régulièrement ce renouveau de l’occultisme ou du satanisme, mais c’est le plus souvent sur un ton à la fois sensationnel et léger, celui dont on use pour évoquer ce qu’on appelait jadis, en bibliophilie, les curiosa, c’est-à-dire ces ouvrages insolites et inclassables, de nature érotique ou fantastique. Les médias brodent volontiers sur le pittoresque inénarrable de telles crédulités. Il leur arrive même d’insister sur la liberté de croyance qu’elles incarnent, liberté qu’il s’agit, malgré tout, de protéger. La confusion règne. En général, le commentaire implicite de ces dossiers ou reportages est clair : pareilles choses anecdotiques et « amusantes » ne portent pas à conséquence. Comme ne porteraient pas à conséquence la vogue persistante du paranormal dans les séries télévisées et les rendez-vous radiophoniques, dans la littérature de gare ou le cinéma. Le roman
Da Vinci code pulvérise le record des ventes en 2004-2005 ? Soit. Va-t-on s’alarmer pour cela ? Les superstitions de cette sorte n’ont-elles pas existé de tout temps ? Des voix s’élèvent ici et là, au nom de l’intelligence, et crient casse-cou, mais elles demeurent isolées et peu entendues.
Pour donner un seul exemple de cette légèreté, l’agence d’information
Associated Press, dans une dépêche datée du 24 octobre 2004, signalait que, au nom de la liberté religieuse, la marine britannique avait accordé à l’un de ses officiers le droit d’être officiellement enregistré comme « sataniste ». L’intéressé, un certain Chris Hammer, âgé de vingt-quatre ans, déclarait s’être converti neuf ans auparavant en lisant la
Bible sataniste de l’Américain Anton Szandor La Vey, fondateur, le 30 avril 1966, aux États-Unis, de
« L’Église de Satan ». Or, comme le rappelle l’auteur d’une enquête critique sur l’essor des mouvements satanistes, cette date du 30 avril n’avait pas été choisie au hasard : c’est celle de la mort d’Adolf Hitler.
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De fait, les liens entre le satanisme (une cinquantaine de groupes répertoriés en France) et l’extrême droite néonazie semblent établis. Ce lien ne parut guère émouvoir l’amirauté britannique, ni d’ailleurs les médias qui ont rapporté l’information en la cataloguant parmi les « brèves » insolites. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires estime pourtant, dans plusieurs de ses rapports, que le satanisme est devenu un phénomène inquiétant. « Aujourd'hui érigé en phénomène de mode et filon commercial, juge-t-elle, le romantisme noir dont les adeptes du diable représentent la frange extrême et la plus subversive devient plus qu'une simple
tendance, un emblème de génération. »
1- Paul Ariès,
Satanisme et vampirisme, éditions Gollias, 2004. Voir aussi les ouvrages de l’historien des religions Jacky Cordonnier, et notamment,
Dérives religieuses, Les Éditions sociales, 2003.