Posthumanisme

Le concept de posthumanisme est encore flou. Pour le moment chacun peut lui donner le sens opposé à celui qu'il donne au mot humanisme, ce qui nous autorise à prendre notre propre définition de l'humanisme comme point de départ. « L’humanisme, écrivons-nous dans le dossier du même nom, est une vision du monde où tout gravite autour de l’homme comme tout gravitait autour de Dieu dans la vision antérieure en Occident. Ainsi défini, l’humanisme est le produit d’une révolution copernicienne inversée : l’homme, auparavant satellite de Dieu, devient l’astre central ».

Selon ce critère, le posthumanisme est non seulement un humanisme, mais un humanisme achevé, libéré, cette trace de Dieu au cœur de l'homme qu'on appelle l'esprit. Cette conclusion s'applique à l'humanisme au sens le plus courant du terme « conception générale de la vie (politique, économique, éthique) fondée sur la croyance au salut de l’homme par les seules forces humaines » (Denis de Rougemont).

Cette définition est proche de celle que l'on peut donner de l'humanisme moderne en prenant la conception de l'homme de Descartes comme modèle. Danse cette conception, on reconnaît un dualisme corps esprit et on considère que c'est l'obéissance du corps à l'esprit qui constitue l'accomplissement de l'être humain.

Selon ce critère le posthumanisme est un antihumanisme. Ce qu'a bien vu Jean-Michel Besnier dans Demain les posthumains : « Présentée sous cet angle, l'opposition de l'humanisme et du posthumanisme paraît radicale. Le premier conserve à l'homme les attributs de la finitude que révèle le dualisme esprit-corps; le second réduit le corps à un simple épiphénomène dont la cybernétique, par exemple, nous promettrait la suppression. Au fond, en décrivant les fantasmes d'une autonomisation sans limites de l'humain par rapport à ce qui l'enchaînait à la nature corporelle, les utopies posthumaines seraient révélatrices du vieux rêve métaphysique d'une abolition de la finitude. L'humanisme, lui, s'interdisait de l'imaginer, persuadé que la liberté est au prix de la réconciliation avec ce qui s'impose à nous comme une nécessité ».

L'opposition est-elle si radicale? Selon deux auteurs pourtant très éloignés l'un de l'autre, le posthumanisme serait plutôt une conséquence logique de l'humanisme moderne. Pour Ludwig Klages, qui réduit l'esprit à la raison instrumentale et le considère comme antagoniste de la vie, le posthumanisme est l'aboutissement logique de trois siècles de montée du formalisme dans les sciences et dans la vie quotidienne. Le posthumain qui n'est rien d'autre qu'un ordinateur en position verticale correspond à ce que Klages appelle le parfait formaliste. « Sans doute, le parfait formaliste serait un appareil de précision sans conscience, capable d’une variété de réactions inquiétantes et qu’on pourrait alors composer, soit dans un atelier de construction, soit dans un alambic, comme un homonculus ». (LUDWIG KLAGES, Les principes de la caractérologie, Paris, Delachaux et Niestlé, 1950, p. 84.)

C'est ainsi qu'au début du XXe siècle Klages avait prévu l'invention de l'ordinateur. Dans l’informatique en effet, et plus précisément dans l’informatique appliquée aux communications, les formalités sont omniprésentes. Le vocabulaire lui-même témoigne de ce fait. Il gravite autour de mots comme programmes, protocoles, routines, commandes, langages (conventionnels par définition), séquences. Dans les règles à suivre pour communiquer avec quelqu’un, si vous négligez le détail le plus insignifiant, vous vous condamnez à l’échec ».

Pour Simone Weil, qui a la plus haute idée de l'esprit et qui en fait le principe de la vie plutôt que l'en dissocier, il y a au cœur de l'humanisme moderne une contradiction si radicale qu'on peut la tenir responsable du glissement actuel vers le posthumanisme. « Depuis deux ou trois siècles, on croit à la fois que la force est maîtresse unique de tous les phénomènes de la nature, et que les hommes peuvent et doivent fonder sur la justice, reconnue au moyen de la raison, leur relations mutuelles. C'est une absurdité criante. Il n'est pas concevable que tout dans l'univers soit soumis à l'empire de la force et que l'homme y soit soustrait, alors qu'il est fait de chair et de sang et que sa pensée vagabonde au gré des impressions sensibles. Il n'y a qu'un choix à faire. Ou il faut apercevoir à l'œuvre dans l'univers, à côté de la force, un principe autre qu'elle, ou il faut reconnaître la force comme maîtresse et souveraine des relations humaines aussi.

« Dans le premier cas, on se met en opposition radicale avec la science moderne telle qu'elle a été fondée par Galilée, Descartes et plusieurs autres, poursuivie notamment par Newton, au XIXe, au XXe siècle. Dans le second on se met en opposition radicale avec l'humanisme qui a surgi à la Renaissance, qui a triomphé en 1789, qui sous une forme considérablement dégradée a servi d'inspiration à la IIIe République ».

C'est là une condamnation de l'humanisme dans la plupart des sens qu'on peut donner à ce mot y compris le premier. Si l'homme ne peut compter pour se nourrir et s'élever sur ce que Simone Weil appelle tantôt un principe autre que la force, tantôt la grâce, il ne peut que se dégrader en devenant de plus en plus semblable à l'univers tel qu'il le conçoit : comme une machine. Comment pourrait-il en être autrement puisque le principe autre que la force dans l'univers est assimilable au principe de la vie intérieure dans les êtres humains. Point d'autonomie sans vie intérieure! On en est alors réduit à saisir toutes les occasions de recourir à des solutions extérieures, antidépresseurs, prothèses etc et à défaut de vouloir et de pouvoir devenir meilleurs, on cherche à devenir plus, à s'augmenter.

Du point de vue biocentrique, celui de Klages, le posthumanisme est la conséquence de la rupture du lien symbiotique de l'homme avec la nature vivante, Mutatis mutandis, des auteurs aussi différents que David Suzuki, auteur de L'équilibre sacré et Jean Malaurie, explorateur, fondateur de la collection Terre humaine peuvent être rattachés à ce courant

Du point de vue théocentrique, celui de Simone Weil, le posthumanisme est la conséquence de l'illusion, caractéristique de l'humanisme moderne, consistant à croire que l'homme peut faire régner la justice dans l'humanité tout en affirmant que l'univers est gouverné par la force.

La différence entre ces deux points de vue n'est pas aussi profonde qu'il peut sembler à prime abord. Elles ont en commun la beauté et le sacré, lesquels, dans le premier cas, assurent le lien entre l'homme et les réalités vivantes qui l'entourent et dans le second cas assurent la descente de la grâce vers l'homme, phénomène que Simone Weil nous aide à comprendre en utilisant la photosynthèse comme métaphore.

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