Essentiel
Le chant du cygne
Ayant désormais, grâce à nos ordinateurs, un préjugé favorable à l'égard de la cervelle des oiseaux, peut-être ferons-nous désormais plus attention à eux, ce qui pourrait nous amener à découvrir dans leurs comportements de nouveaux signes d'intelligence, d'âme même. Peut-être même aspirerons-nous un jour, comme Socrate, à chanter aussi bien que le cygne.
L'expression le chant du cygne qui nous vient de la plus haute antiquité grecque est toujours utilisée pour désigner, par exemple, un discours ou un récital d'adieu. Dans la bouche de Socrate, elle prend une valeur sacrée. Représentons-nous ce sage dans sa prison d'Athènes, où il vient d'apprendre qu'il est condamné à mort pour impiété. Les amis qui l'entourent aimeraient bien l'entendre une dernière fois parler de la connaissance de soi et de l'immortalité de l'âme, mais ils n'osent pas le lui demander, de peur de l'importuner dans ses derniers instants. Voici l'aimable reproche que leur adresse Socrate: «Selon vous, je ne vaux donc pas les cygnes pour la divination; les cygnes qui, lorsqu'ils sentent qu'il leur faut mourir, au lieu de chanter comme auparavant, chantent à ce moment davantage et avec plus de force, dans leur joie de s'en aller auprès du Dieu dont justement ils sont les serviteurs. Or les hommes, à cause de la crainte qu'ils ont de la mort, calomnient les cygnes, prétendent qu'ils se lamentent sur leur mort et que leur chant suprême a le chagrin pour cause; sans réfléchir que nul oiseau ne chante quand il a faim ou froid ou qu'un autre mal le fait souffrir; pas même le rossignol, ni l'hirondelle, ni la huppe, eux dont le chant, dit-on, est justement une lamentation dont la cause est une douleur. Pour moi cependant, la chose est claire, ce n'est pas la douleur qui fait chanter, ni ces oiseaux, ni les cygnes. Mais ceux-ci, en leur qualité, je pense, d'oiseaux d'Apollon, ont le don de la divination et c'est la prescience des biens qu'ils trouveront chez Hadès qui, ce jour-là, les fait chanter et se réjouir plus qu'ils ne l'ont jamais fait dans le temps qui a précédé. Et moi aussi, je me considère comme partageant la servitude des cygnes et comme consacré au même Dieu; comme ne leur étant pas inférieur non plus pour le don de divination que nous devons à notre Maître; comme n'étant pas enfin plus attristé qu'eux de quitter la vie!» 1
On comprend que Rémy Chauvin soit choqué à la seule idée qu'il puisse encore se trouver des biologistes pour penser que le chant des oiseaux s'explique par le hasard des mutations et de la sélection naturelle. Il y voit plutôt de l'art pour l'art. Sur le strict plan de la sélection naturelle, le bruit le moins musical est aussi efficace que le chant de la grive.
De merveille en merveille, de complexité en complexité, Rémy Chauvin est amené par la science aux antipodes du darwinisme et du néo-darwinisme. Il s'agit là pour lui de théories qui ont eu leur utilité, mais constatant qu'elles souffrent plus d'exceptions qu'elles ne connaissent de confirmations, il en conclut qu'on les conserve uniquement parce qu'on n'a pas de meilleures explications.
Tout en évitant l'écueil du finalisme — lequel suppose que nous connaissons le pourquoi de la complexité —, Chauvin affirme que l'Esprit est l'explication que nous retiendrions spontanément si ce n'était que nous éprouvons encore un sentiment de révolte semblable à celui que Darwin éprouvait devant les théologiens de son temps, lesquels prétendaient connaître la Providence et ses desseins. Ce sentiment de révolte, poursuit Chauvin, était justifié, car le recul du temps nous permet de voir à quel point il fallait être aveuglé par l'esprit de secte pour prétendre pouvoir trouver dans une interprétation littérale de la Bible l'explication de la vie et du sens de l'histoire. Mais, ajoute-t-il, l'explication par le hasard et la sélection naturelle est tout aussi illusoire.
Mieux vaut reconnaître son ignorance, ce qui ne veut pas dire qu'on doive renoncer à tout espoir de trouver le sens de cette évolution qui est manifestement l'oeuvre de l'Esprit. Pourquoi certains parasites, comme le microbe de la bilharziose, se donnent-ils tant de mal, allant jusqu'à transiter par un escargot, pour atteindre les organes cibles de leur victime? La nature est pleine de dédales semblables mais elle comporte aussi des zones d'intelligibilité. Il semble par exemple que dans chaque lignée, celle de l'oiseau comme celle des mammifères, l'évolution tend vers une complexité caractérisée par la perfection du psychisme.
1-PLATON, Phédon, Oeuvres complètes, Collection La Pleiade, Paris, Gallimard 1950, pp.806-807.
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Les arbres et les oiseaux
«Que les arbres sont touchants: ils se résignent et ils attendent. Ils sont de bon conseil, ces doux amis. Il n'est rien de patient comme l'arbre. Il s'est laissé prendre par la terre. Même géant, il est enchaîné par les pieds et dans les langes. Il rêve de fuir et de s'envoler. Sans cesse, il prend son élan et frémit des feuilles, ses innombrables ailes; mais il ne peut pas s'arracher au berceau, où il vit, où il rêve, où il dort debout. La merveilleuse douceur de ce captif offre un refuge à tous les oiseaux de la terre. Ses ailes de feuillage s'ouvrent aux ailes de plumes, et à tous leurs ramages. O bel arbre, comme tu aimes ta mère et nourrice, la terre.»
ANDRÉ SUARÈS, Pages, Éditions du Pavois, Paris 1948, p. 112
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Ils ne connaissent que leur beauté
«Eux-mêmes ne connaissent que leur beauté: ce sont les hommes qui les nomment et en font des poulets.»
Proverbe chinois, cité par ERNST JÜNGER dans Chasses subtiles, Christian Bourgeois éditeur, Paris 1980, p. 113.
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Darwin : la beauté pour la beauté
«[…] J’admets volontiers qu’un grand nombre d’animaux mâles, tels que tous nos oiseaux les plus magnifiques, quelques reptiles, quelques mammifères, et une foule de papillons admirablement colorés, ont acquis la beauté pour la beauté elle-même; mais ce résultat a été obtenu par la sélection sexuelle, c’est-à-dire parce que les femelles ont continuellement choisi les plus beaux mâles; cet embellissement n’a donc pas eu pour but le plaisir de l’homme. On pourrait faire les mêmes remarques relativement au chant des oiseaux. Nous pouvons conclure de tout ce qui précède qu’une grande partie du règne animal possède à peu près le même goût pour les belles couleurs et pour la musique. Quand la femelle est aussi brillamment colorée que le mâle, ce qui n’est pas rare chez les oiseaux et chez les papillons, cela paraît résulter de ce que les couleurs acquises par la sélection sexuelle ont été transmises aux deux sexes au lieu de l’être aux mâles seuls. Comment le sentiment de la beauté, dans sa forme la plus simple, c’est-à-dire la sensation de plaisir particulier qu’inspirent certaines couleurs, certaines formes et certains sons, s’est-il primitivement développé chez l’homme et chez les animaux inférieurs? C’est là un point fort obscur. On se heurte d’ailleurs aux mêmes difficultés si l’on veut expliquer comment il se fait que certaines saveurs et certains parfums procurent une jouissance, tandis que d’autres inspirent une aversion générale. Dans tous ces cas, l’habitude paraît avoir joué un certain rôle; mais ces sensations doivent avoir quelques causes fondamentales dans la constitution du système nerveux de chaque espèce.»
CHARLES DARWIN, L'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la lutte pour l'éxistence dons la nature. Trad. sur l'édition anglaise définitive par Ed. Barbier. Paris, Schleicher Frères, 1865, 576 p.
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Le mythe de l'oeuf cosmique
Par le biais du mythe de l'oeuf cosmique, l'oiseau est associé à l'origine de l'univers.
Source: NASA
Comment se fait-il qu'on ait mis tant de temps à faire l'hypothèse de l'évolution, qu'on s'en soit si longtemps tenu à une vision statique des choses de la vie? Tout est vie, le Grand Tout est vivant. Cette conviction a imprégné la plupart des cultures à l'origine. Or la première observation que l'on peut faire à propos des êtres vivants, c'est qu'ils commencent par un oeuf dans le sein de leur mère pour devenir un adulte autonome. Entre ces deux moments, il y a croissance, lente transformation, évolution.
On se demande pourquoi dans ces conditions l'idée d'évolution n'a pas été toujours et partout au coeur des conceptions du monde et à plus forte raison de la vie. On retrouve effectivement le mythe de l'oeuf cosmique dans de nombreuses cultures, en Inde, en Grèce, en Afrique chez les Pangwe, en Polynésie, en Indonésie, chez les Finnois et même en Amérique.
Dans un livre sacré de l'Inde, le Minokhired Péhlvi on trouve cette évocation de l'oeuf cosmique: «Le ciel et la terre et les eaux et toutes les autres choses qui sont dans le ciel sont faites à la façon d'un oeuf d'oiseau. Le ciel, au-dessus et au-dessous de la terre, a été fait par Ahura Mazda à la façon d'un oeuf. La terre, à l'intérieur du ciel, est comme le jaune de l'oeuf».