Ainsi libéré de l’auditif au cœur de l’activité intellectuelle par excellence, le visuel s’associa de plus en plus fréquemment au quantitatif, dans tous les domaines, depuis la tenue de livre jusqu’à la peinture et la musique. Un mot résume à lui seul cette époque de transition : pantométrie, littéralement, la mesure de tout :
« Saint Bonaventure, savant et supérieur général des Franciscains, affirma solennellement que Dieu est lumière au sens le plus littéral du terme ; ipso facto il fonctionnait uniformément à travers l’espace et le temps. La conséquence lumineuse-numineuse était qu’une lieue, si elle était mesurée avec précision, serait la même partout et en tout temps. Les Occidentaux, monothéistes, fascinés par la lumière, se sont épanouis dans la pantométrie. (1) »
En termes pratiques, la nouvelle approche était la suivante : réduire ce à quoi vous pensez au minimum requis par sa définition ; le rendre visible sur papier ou tout au moins dans votre esprit, qu’il s’agisse de la trajectoire de Mars dans le ciel ou des fluctuations du prix de la laine dans les foires de Champagne ; en réalité, ou en imagination, le réduire en quantas égaux. Il vous sera alors loisible de mesurer, c’est-à-dire de compter les quantas. L’engouement pour la mesure fut tel qu’au XIVe siècle, des savants d’Oxford, de Merton College plus précisément, songèrent à mesurer non seulement des qualités telles que la chaleur et la couleur, mais aussi des idées telles que la certitude, la vertu et la grâce.
« Si l’on pouvait envisager de mesurer la chaleur avant l’invention du thermomètre, pourquoi aurait-on hésité au seuil de la certitude, de la vertu et de la grâce » L’homme qui, à cette époque, commençait à rêver d’être la mesure de toute chose, allait-il devoir se résigner à n’être que celui qui mesure toute chose ?
1-Alfred W. Crosby, The Measure of Reality, Cambridge, University Press, 1997, p. 228..
2-Ibidem, p. 14..