Médicament
Voici deux définitions désormais indissociables du médicament. Nous sommes en 2012.
1 « Toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à l’homme ou à l’animal, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctionsorganiques. Les médicaments possèdent donc un mécanisme d’action au niveau pharmacologique,immunologique et métabolique» Source ADMP Selon l’article L. 5111-1 du Code de la Santé Publique (FR)
2-Depuis quelques décennies, le médicament, est detourné de ses fins pour devenir l'occasion d'une corruption polymorphe, qui déshore non seulement les actionnnaires et les dirigeants des grandes compagnies pharmaceutiques, mais encore les membres de la profession médicale, les agences gouvernementales chargées de la protection du public et, en amont, les chercheurs.
Si nous attachons ici tant d'importance à ce que certains considèrent comme de simples et inévitables accidents de l'histoire de la médecine, c'est parce que des centaines de milliers de morts sont en cause ( Voir l'histoire du Viox )et que, même dans les cas, où il y a eu négligence volontaire de la part des compagnies, ces dernières s'en tirent avec des amendes qui ne présentent qu'un faible pourcentage des profits réalisés auparavant dans l'illégalité avec le même médicament. C'est aussi parce que l'effet d'ensemble de ces pratiques sur les coûts de la santé est catastrophique.
Or tout cela se passe à un niveau d'abstraction tel que le public est sans défense et le corps médical détourné de sa mission première, qui est de ne pas nuire... et de ne pas laisser aux compagnies pharmaceutiques le soin de définir les maladies, comme cela s'est produit dans le cas de la dépression, maladie dont tout le monde reconnaît qu'il est impossible d'en préciser le contour. Si bien, écrit Alain Ehrenberg, qu'on est progressivement convenu d'appeler dépression «l'entité morbide qui réagit à l'action des antidépresseurs.»i
En conséquence, poursuit Ehrenberg, avant même de pouvoir formuler un diagnostic précis, on prescrit un antidépresseur et on le fait avec d'autant plus d'empressement que plusieurs des nouveaux médicaments de ce type ne semblent pas avoir d'effets indésirables sévères. De là à ce que les gens prennent l'habitude de consommer des antidépresseurs pour leur seul confort, alors qu'ils ne présentent aucun symptôme vraiment inquiétant, le pas est vite franchi.
Mais voici ce qui devrait le plus nous indigner et nous mobiliser contre ces pratiques: « Les ISRS (inhibiteurs sélectifs du recapturage de la sérotoninei ) engendrent la crainte d'un abrasement chimique des dilemmes qui façonnent la subjectivité. Dans la mesure où l'on dispose de médicaments applicables autant à de graves pathologies qu'à de petits malaises, l'inutilité d'un diagnostic ferait que serait pratiquement réalisable le cauchemar d'une société composée d'individus ''pharmacohumains'', si je puis me permettre cette expression, c'est-à-dire d'une catégorie de personnes qui ne seraient plus soumises aux conditions habituelles de la finitude.» Cette pharmacohumanité est l'une des composantes de la posthumanité.
«Ce tsunami lucratif de la dépression (les dépenses pour les antidépresseurs sont passées de5,1 milliards en 1997 à 13,5 milliards en 2006 ; 9 % des adolescents sont sous AD en 2005 et la même année, les ventes américaines de Zoloft à 3,1 milliards, excèdent celles du détersif
Tide [Barber 2008]) – a été soutenu, et l’est encore de nos jours, par une idée simpliste et
fausse, celle d’une déficience en sérotonine ; idée merveilleuse pour les vendeurs, adaptée
comme un gant à notre snobisme scientifique.»
Tout se passe à l'échelle mondiale comme dans Knock ou le triomphe de la médecine, cette célèbre pièce de Jules Romains, où l'on voit un le médecin d'un village faire alliance avec le pharmacien pour médicaliser l'ensemble d'une population qui, jusqu'à ce jour avait eu l'illusion de se croire en santé. «La personne en santé, disait Knock, est un malade qui s'ignore.
Dans le contexte actuel c'est toutefois le pharmacien, et non le médecin, comme dans Knock, qui a l'initiative des opérations. Les profits que ce pharmacien est en mesure d'engranger sont tels que sa puissance est sans limite. En 2002, le profit combiné des dix pharmaceutiques de Fortune 500 (35.9 milliards) était supérieur aux profits combinés de toutes les autres 490 entreprises (33,7 milliards) . Cela suffit pour baïllonner les actionnaires, y compris les plus respectable fonds de pension. Les dirigeants, maîtres du jeu et profiteurs de première ligne n'ont quant à eux aucune raison de déplorer publiquement la situation.en 2000, le président de Bristol-Myers Squibb avait un salaire de 74 890 918 $ auquel s’ajoutait une somme de 76 095 611 $ en actions.
L'industrie pharceutique justifie ses profits par les investissements nécessaire pour produire un nouveau médicament. Premier d'une longue série de mensonges et il est de taille: c'est le plus souvent la recherche financée par les gouvernements qui est à l'origine des nouveaux médicaments: «Suivant les résultats de l’investigation d’un journaliste du Boston Globe en 1998, de 35 médicaments d’importance approuvés par la Food and Drug Administration (FDA) au cours des 5 années précédentes, 33 avaient été amenés à l’industrie pour la commercialisation à partir de recherches financées par le public (Greiner, 2003). Pour avoir une meilleure idée de cette participation publique au succès privé, il serait instructif de considérer la petite histoire derrière la découverte de quelques médicaments. Voici un exemple: Le Cerase de Genzyme Un médicament pour la maladie de Gaucher, dû au long et persistant travail de Roscoe Brady du NIH (1956-1991) et dont la compagnie Genzyme (Cambridge UK) veut prendre le crédit. La compagnie fixe le prix annuel du traitement initial à 350 000 $ US, et 200 000 $ US par an en phase d’entretien. Le médicament le plus dispendieux sur le marché.
Les investissements les plus importants des compagnies pharmaceutiques se font non dans la recherche, mais dans la promotion. « Alors donc, quel est le pourcentage du budget des compagnies pharmaceutiques réellement alloué à la recherche ? Une source bien informée à ce sujet est connue sous le non d’EDGAR (Electronic Data Gathering, Analysis, and Retrieval system) de la Securities and Exchange Commission (Avorn, 2005). Que dit EDGAR ? Que des
168 milliards de dollars en revenu de 9 pharmaceutiques en un an, 27 % (45 milliards) vont au
marketing et à l’administration ; 18 % (31 milliards) constituent des profits et 11 %
(19 milliards) vont à la recherche et développement. Ceci justifie amplement, à notre avis, le
commentaire de Jerry Avorn, de l’Université Harvard (Avord, 2005) : « Mis à part leurs commerciaux télévisés, la trace des dollars dépeint une industrie fortement concentrée sur les activités de promotion et sur son profit, plutôt qu’une entreprise qui transforme avec succès une partie significative de ses revenus dans des activités de découverte de nouvelles percées en médecine ».
La promotion c'est beaucoup de choses, les annonces télévisées étant les plus innoncentes même si elles colportent souvent des mensonges savamment orchestrés en aval. En 2002, les compagnies phmarceutiques avaient 675 lobbyistes à l'oeuvre à Washington, plus d'un pour chacun des 535 membres du Congrès. Leur travail consiste notamment à veiller à ce que les personnes nommées à la tête de la FDA (Food and Drug administration) soient disposés à fermer les yeux sur bien des pratiques de l'industrie phamaceutique. C'est ainsi que Bush fils a nommé comme avocat à la FDA un avocat qui, antérieurement, travaillait à défendre les compagnies pharmaceutiques dans leurs revendications contre la FDA.
Pendant que les lobbyistes s'occupent des élus, les KOL (Key Opinion Leaders ) s'infiltrent dans les revues savantes ou organisent des sessions de formation continue pour les praticiens. Il va sans dire que les KOL sont grassement rémunérés. À titre d’exemple, Joseph Biederman, un pédopsychiatre de Harvard, KOL pour Johnson & Johnson, fabriquant de Risperdal (Rosenlicht, 2010) propose de créer le « Johnson & Johnson Center for the Study of Pediatric Psychopathology » moyennant des centaines de milliers de dollars, avec un des buts avoués qu’il formule ainsi : « move forward the commercial goals of Johnson & Johnson »
La médecine basée sur les évidences fut une source d'espoir à son origine il y a quelques décennies. L'essai randomisé à double insu (RCT-Randomized Control Trial) apparait comme un excellent outil pour évaluer l'efficacité d'un traitement ou d'un médicament. On divise par exemple un groupe de patients au hasard en deux groupes et on administre au premier groupe le médicament qu'on veut évaluer et au second un placebo. Si les essais avaient été menés par les autorités publiques à l'abri de toute influence pharmaceutique cette méthode aurait servir les intérêts des populations aussi bien que ceux de la profession médiale. Ce ne fut pas le cas. Les compagnies pharmaceutiques peuvent très bien par exemple, commander des essais dont elle ne publiera pas les résultats, s'ils ne lui sont pas favorables. Et il existe en outre bien des manières de falsifier les résultats. Ce que montre bien l'histoire du Paxil (paroxétine) de GlaxoSmithKline.
«Dans un article publié dans le Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry (JAACAP), Keller (2001) conclut que la paroxétine est plus efficace que le placebo pour traiter la dépression majeure chez l’adolescent. Cependant, lorsque les autorités britanniques révisent les 9 études sur le sujet, dont une seule a été publiée (Abramson, 2004) on découvre, premièrement, que considérant l’ensemble de ces études, la paroxétine n’est pas plus efficace que le placebo pour traiter la dépression chez les adolescents et que deuxièmement, le Paxil est associé à un taux d’idées suicidaires significativement plus élevé que le placebo (3,2 % vs 1,5 %). Alastair Benbow, un porte-parole médical de GlaxoSmithKline, lors d’une émission à la BBC (Panorama) en octobre 2002 écarte
rapidement la question du revers de la main en parlant d’allégations incorrectes et met l’importance sur l’obligation de traiter les enfants et les adolescents dépressifs, rapportant une incidence respective de 2 et 4 % de la dépression, insistant sur le risque de suicide et sur notre obligation de rendre nos médicaments disponibles à ces enfants malades.
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à ce moment, Benbow est parfaitement au courant des 9 études
de la compagnie sur le sujet, dont les 8 que la compagnie n’a pas publiées. Dans cette histoire, la compagnie a été publiquement supportée par les experts et des commentaires désobligeants ont été entendus à la Chambre des Lords sur les conséquences malheureuses du type de journalisme pratiqué à l’émission Panorama. Comme le remarque judicieusement David Healy (2004) auquel nous devons les détails de cette histoire, aucune voix ne s’est fait entendre du côté des académiciens ou des psychiatres. Signalons qu’Eliot Spitzer, l’avocat général de l’État de New