Flore Joachim de
Dans Actualité de la philosophie de l'histoire, Maurice Lagueux précise la façon dont Joachim de Flore a jeté les bases de la philosophie de l'histoire:
«Pour Joachim, l'histoire constituait une véritable énigme qu'il s'agissait de déchiffrer à l'aide de clefs, lesquelles ne pouvaient être trouvées que dans les textes sacrés. Ceux-ci, en effet, étaient réputés issus de la main de Dieu lui-même dont il s'agissait justement de comprendre le plan secret puisque l'histoire passée et à venir ne pouvait qu'en découler. Dans la tradition chrétienne, ces textes sacrés étaient répartis en deux grandes composantes qui divisaient elles-mêmes l'histoire en deux grandes époques, soit l'Ancien Testament dominé par les interventions d'un Dieu représenté sous la figure du Père Éternel et le Nouveau Testament qui correspond essentiellement à la période chrétienne dominée par la figure du Christ, le Fils du Père. Or, l'un des dogmes centraux du christianisme est celui de la Trinité qui affirme qu'il y a trois personnes en Dieu, soit le Père et le Fils, bien sûr, mais aussi l'Esprit-Saint. Dès lors, puisqu'un premier « état » de l'humanité, évoqué par l'Ancien Testament, se présente comme celui du Père et qu'un autre associé au Nouveau Testament peut être placé sous l'égide du Fils, pourquoi n'y aurait-il pas place pour un troisième état dans l'histoire de l'humanité qui serait celui de l'Esprit-Saints? Bien que Joachim se soit défendu d'associer trop directement chacun de ces états à telle ou telle personne de la Trinité, l'idée de faire ainsi appel à la troisième personne de cette Trinité ouvrait pour lui la possibilité d'aller au-delà du message chrétien ou, plus précisément, de le dépasser sans le renier pour autant. En cela, il n'était que l'un de ceux qui furent ou qui devaient être séduits par les perspectives spirituelles inépuisables offertes par l'Esprit-Saint dont le rôle dans l'économie du salut avait, en quelque sorte, l'avantage d'être encore à définir. Joachim, qui mettra d'ailleurs ce nouvel état de l'humanité sous le patronage des moines, y verra l'occasion d'un dépassement spirituel qui peut paraître bien inoffensif, mais l’idée d’un légitime dépassement du message chrétien devait faire son chemin au sein de la théologie puis de la philosophie de l’histoire. »
MAURICE LAGUEUX, Actualité de la philosophie de l'histoire, Presses de l'Université Laval, Québec 2001, p 62.
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Joachim de Flore et le millénarisme
«Le moine bénédictin Joachim de Flore donne ses lettres de noblesse au millénarisme. On a dit de ses prédictions qu’elles constituaient le système prophétique le plus influent que l’Occident ait connu avant Marx. Fervent lecteur de l’Apocalypse, Joachim eut une vision telle que, non seulement il mieux le passé de l’humanité, mais s’estima en mesure de prédire son avenir. Le paradis se trouvait au terme de cet avenir, et non plus hors du temps, dans une autre dimension. Dans sa marche vers ce paradis, l’humanité devait franchir trois stades correspondant aux trois personnes de la trinité. Le premier stade, celui de Père, il l’appela ordo conjugatorium. Il était caractérisé par la famille et l’état conjugal. Le second stade, celui du Fils, était appelé ordo monachorum. Il avait été inauguré par saint Benoît, fondateur du premier monastère. Le troisième stade, correspondant à l’Esprit, était celui des viri spirituales, une petite élite de mâles, apparentée aux Parfaits cathares, constituant la sainte avant-garde de l’humanité rachetée. Joachim croyait que l’humanité était déjà entrée dans le troisième stade et il situait la fin du monde, c’est-à-dire l’entrée dans le millénaire bienheureux, en l’an 1260. À ses yeux, le développement des arts mécaniques était un excellent moyen de préparer l’humanité aux lendemains qui chantent.»
JACQUES DUFRESNE, Après l'homme, le cyborg?, Multimonde, Québec, 1999.
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Joachim de Flore et l'Apocalypse
Contrairement à saint Augustin, Joachim de Flore prenait au pied de la lettre les signes des temps dont il est question dans l'Apocalypse de saint Jean. Au douzième chapitre de la Révélation, il est question d'un dragon à sept têtes. Chacune de ces têtes, plutôt que de n'être qu'un vague symbole du mal, représente aux yeux de Joachim un personnage historique persécuteur de l'Église. En 1187, Saladin enlève Jérusalem aux Croisés. Joachim voit en lui la sixième tête du dragon, la septième devant être l'antéchrist, le dernier persécuteur du deuxième âge de l'Église, celui du Fils.
Gravure du Dürer sur le même thème.