Lully Jean-Baptiste

1632-1687
«Pouvons-nous demeurer indifférents devant une musique qui arrachait des larmes à Mme de Sévigné, qui laissait frémissante Mme de Lafayette, qui excitait l’admiration de Molière et vers laquelle Racine penchait son âme attentive?» (Lionel de La Laurencie, auteur d’une biographie de Lully publiée en 1911)


«Lully naquit à Florence, en 1632. Son père était meunier; un cordelier prit soin de son éducation, lui donna quelques leçons de musique, et lui apprit à jouer de la guitare. Lully commença par cet instrument, qui était fort à la mode en Italie; il préféra plus tard le violon, et parvint aisément à exécuter les gigues et les sarabandes sur lesquelles s’exerçaient les ménestrels de son temps. Le chevalier de Guise voyageait; mademoiselle de Montpensier l’avait prié de lui amener un petit Italien s’il en rencontrait un joli. Singulière recommandation : elle a pourtant servi à faire connaître un homme de génie. À son passage à Florence, le chevalier trouva un petit garçon de treize ans, bien fait et gentil, le décida à quitter sa patrie, et le présenta à Mademoiselle. La princesse ne le trouva pas du tout joli, et le plaça dans sa cuisine en qualité de sous-marmiton.

Dans ses moments de loisir, le jeune Lully prenait un violon, et jouait bravement des menuets avec accompagnement obligé de pilons et de casseroles. Le comte de Nogent l’entendit en traversant la cour du palais, et dit à Mademoiselle que son marmiton s’escrimait fort bien de l’archet. La princesse désira le revoir, et fut satisfaite des heureuses dispositions de Lully. On lui donna un maître de français, et le marmiton virtuose quitta la cuisine pour passer au service de la chambre. C’était déjà de l’avancement; il fallait encore que le vent de fortune le lançât dans une mer plus vaste, digne de son talent et de son ambition : ce vent ne tarda pas à souffler. Un soupir que mademoiselle fit dans son intérieur, et que la vigueur, la franchise de l’exécution portèrent au loin, causa l’heureuse disgrâce de Lully. La boutade sourde de la princesse fit beaucoup de bruit dans le monde; les plaisants de la cour s’en amusèrent; il courut des vers sur ce burlesque sujet, et Lully, témoin auriculaire, s’avisa de les mettre en musique, avec ritournelles imitatives. Son air et les paroles se chantèrent partout; Mademoiselle congédia sur-le-champ, et sans récompense, l’impertinent compositeur. Qu’importe? La chanson était à la mode, et son auteur aussi. Louis XIV voulut voir, entendre l’auteur de la fameuse chanson; il trouva ses airs délicieux, fut enchanté de son exécution; et comme il n’y avait pas de place vacante dans sa troupe sonnante et râclante, il créa tout exprès une nouvelle bande, que Lully put former, exercer et conduire à sa fantaisie. On la nomma les petits violons; ils surpassèrent bientôt les grands violons : c’est ainsi qu’on désignait l’ancienne bande des vingt-quatre.

Métra, Roberdet et Gigault lui enseignèrent le clavecin et la composition. Lully n’apporta d’Italie que son nom et son organisation musicale; son talent appartient à la France. C’est bien à tort que l’on a prétendu que ce maître avait naturalisé dans ce pays la musique et le goût italiens.

Lully composa d’abord la musique des ballets que l’on représentait à la cour; l’Opéra n’était pas encore établi. Le roi aimait beaucoup la musique; Lully se rendit si agréable à ce prince, qu’il le nomma surintendant de sa musique. L’abbé Perrin et Cambert avaient fait représenter Pomone au jeu de paume de la rue Mazarine: c’est le premier opéra français qui ait été exécuté en public. Pomone fut joué pendant huit mois avec un succès prodigieux : les auteurs de cette pièce eurent pour leur part 60 000 francs. Le marquis de Sourdéac avait inventé les machines; sous prétexte des avances qu’il avait faites, il s’empare du théâtre, et quitte Perrin pour Gilbert, qui lui donne un autre opéra, dont Lully fit la musique.

Ce fut le début de ce compositeur dans la carrière dramatique. Comme il avait autant d’adresse que d’esprit et de talent, il profita de la division qui régnait entre les directeurs associés, et obtint, par le crédit de Mme de Montespan, que Perrin lui cédât son privilège. Une fois maître, Lully congédia Gilbert, abandonna Sourdéac et ses actionnaires, en prit de nouveaux, et fit élever un théâtre au jeu de paume de la rue de Vaugirard, où l’on joua Les Fêtes de l’Amour et de Bacchus, en 1672. Cette pièce était de Quinault. Lully fut si content de son parolier, qu’il travailla presque toujours avec lui. Molière étant mort en 1673, le roi donna à Lully la salle du Palais-Royal, où l’opéra est resté jusqu’en 1781.

Lully était chanteur, violoniste, acteur, danseur même; il forma lui-même ses acteurs, son orchestre, ses baladins. On peut le regarder comme le premier qui ait fait usage des instruments à vent et de percussion. On lui doit une innovation non moins importante : à la représentation de son opéra Le Triomphe de l’Amour, des danseuses parurent sur le théâtre. Les rôles de femme dans les ballets étaient remplis auparavant par des hommes travestis et masqués; c’était un véritable triomphe de l’amour. L’histoire ne dit pas si Lully avait préparé cette pièce pour justifier son heureuse innovation, que d’anciens préjugés n’avaient pas permis de tenter encore. Intrigant plein d’audace, habile courtisan, Beaumarchais de la musique, Lully ne laissait échapper aucune occasion de plaire à Louis XIV, qui le combla de faveurs. Ce compositeur poursuivit sa carrière avec autant de gloire que de bonheur, et la termina, en 1686, par Armide, son chef-d’œuvre. Il mourut le 22 mars 1687, des suites de la gangrène : il s’était, l’année précédente, blessé un doigt de pied, et n’avait pas voulu en souffrir l’amputation.

On cite une infinité de saillies spirituelles, insolentes de Lully. Il était conteur agréable, fécond, parfait quelquefois; bon, mais brusque; il n’avait pas la politesse que l’on aurait désirée dans un homme qui vivait à la cour. Il aimait le vin, la table, et avait gardé l’inclination italienne pour l’avarice. Aussi laissa-t-il plus de 300 000 livres dans ses coffres, et de grandes propriétés.

On peut voir dans les Mémoires contemporains et dans les Lettres de Mme de Sévigné jusqu’à quel point s’étaient élevés l’admiration et l’enthousiasme pour la musique de Lully. Atis, Isis, Armide, étaient des prodiges, des opéras merveilleux, enchanteurs, ravissants. Mme de Sévigné, sortant d’une répétition de Cadmus, écrit : « Il y a des endroits de la musique qui m’ont déjà fait pleurer. Je ne suis pas seule à ne pouvoir les soutenir; l’âme de Mme de La Fayette en est tout alarmée. » Cette bonne dame craignait de se damner en se laissant séduire par les airs de Lully, qui serviraient aujourd’hui à nous faire gagner les indulgences.»

Castil-Blaze, article « Lulli », dans: William Duckett (dir.), Dictionnaire de la conversation et de la lecture: inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous. Tome douzième. Deuxième éditions entièrement refondue, corrigée et augmentée de plusieurs milliers d'articles tout d'actualité. Paris, Firmin Didot, frères, fils, [ca 1860], p. 498-499.

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