Forrester Jay

Le 16 novembre 2016, un autre grand précurseur nous a quittés[1]. Cette fois, c’est Jay Wright Forrester, pionnier des recherches sur la dynamique des systèmes complexes (Systems Dynamics) qui s’est éteint à l’âge vénérable de 98 ans. Regarder en face une vérité qui dérange n’est pas nécessairement dangereux pour la santé, contrairement à ce qu’en disent les apôtres de la pensée positive. Et quelle est donc cette vérité qu’on préfère ne pas connaître ? Le fait que toute croissance a des limites !

Jay Forrester, l’homme qui a anticipé l’avenir[2]

Ingénieur en électricité, Forrester aura laissé sa marque dans l’Histoire de plusieurs façons. D’abord en développant, au MIT (Massachussetts Institute of Technology), une méthode d’analyse et de simulation des systèmes dynamiques, puis en appliquant cette méthode aux systèmes complexes que sont, par exemple, les entreprises et les villes (ses livres primés : Industrial Dynamics et Urban Dynamics) dans le cadre de ses recherches à la prestigieuse  école de gestion Sloan School of Management.  

En 1969, alors qu’il est chercheur au MIT, Forrester rencontre Aurelio Peccei en Italie. Ce dernier vient de fonder le Club de Rome, un groupe de réflexion qui réunit des scientifiques, des économistes, des fonctionnaires, ainsi que des industriels de cinquante-deux pays, tous préoccupés par les ressources naturelles limitées de notre planète. Ils voient la situation en termes malthusiens, considérant que la population humaine continuera à croître jusqu’à ce qu’elle atteigne la limite des ressources, après quoi elle se maintiendra étant régulée par les famines et les épidémies. L’objectif du Club de Rome est alors d’éviter ces souffrances à l’humanité au moyen d’une meilleure distribution des ressources. La rencontre de Peccei et de Forrester transformera la vision du groupe au-delà de ce que ce dernier aurait pu imaginer.

Au cours des années 1960, la méthode de modélisation des systèmes développée par Forrester était déjà au point. Ses modèles étaient en mesure de prendre en compte les interactions entre les nombreuses variables d’un système complexe, ainsi que leur évolution dans le temps. Aurelio Peccei et le Club de Rome demandent alors à Forrester et à son groupe de recherche de simuler l’avenir de l’humanité jusqu’à l’an 2100.   

Forrester élabore un premier modèle nommé World2 démontrant, en termes simples, que les systèmes physiques sont toujours limités ; ainsi, la production de biens, en particulier celle de la nourriture, est limitée par les ressources disponibles, et de leur côté, les limites énergétiques empêchent la production de s’accroître indéfiniment. Il publie cette étude en 1971 sous le titre World Dynamics. S’inspirant de ce modèle, un petit groupe de ses étudiants et de ses collègues, principalement Donella et Dennis Meadows ainsi que Jorgen Randers, créent le World3, un modèle simulant les interactions entre la population mondiale, la croissance industrielle, la production alimentaire, l’épuisement des ressources, la pollution et les limites des écosystèmes de la planète. Les résultats démontrent que Malthus était optimiste ! Au lieu d’atteindre les limites de sa croissance et de s’y maintenir, comme l’économiste britannique l’avait prédit, la population humaine ira au-delà de ces limites pour ensuite s’effondrer misérablement. L’objectif n’est donc plus d’assurer une juste redistribution des ressources, mais d’éviter l’effondrement de la civilisation humaine dans son ensemble. Pour y arriver, il faut stopper la croissance économique. Voilà une solution que personne, ni alors, ni maintenant, ne souhaite envisager.

L’étude fut publiée en 1972 sous le titre The Limits to Growth (Halte à la croissance ?), connue aussi sous le nom de rapport Meadows. Cet ouvrage était une véritable révolution ; on découvrait que la croissance infinie dans un monde fini n’est qu’un mirage. On connaît la suite. Les travaux de Jay Forrester furent ignorés et le rapport Meadows fut non seulement rejeté, mais « démonisé » par plusieurs économistes, notamment par Friedrich Hayek, le « Prix Nobel d’économie », qui reprochèrent à ses auteurs d'avoir ignoré les bases de la théorie économique. Les conclusions du rapport furent donc rejetées sans autre forme de procès. En 2012, quarante ans plus tard, on a pu constater que, pour la période de 1970 à 2000, les données réelles étaient étonnamment proches des valeurs que le rapport Meadows avait présentées dans le scénario « business as usual ». Ces données venaient « corroborer la conclusion de Halte à la croissance ? selon laquelle le système mondial suit une trajectoire qui n’est pas durable, sauf s’il se met à réduire, rapidement et de manière substantielle, son comportement de consommation, tout en accélérant ses progrès technologiques. »[3], [4] « Si, dans les années 1970, il était envisageable de ralentir le cours des choses, cette situation est révolue, vu les niveaux atteints par la croissance démographique, la production énergétique et la consommation »[5]. À l’occasion du quarantième anniversaire, dans un documentaire intitulé « Dernière alerte »[6], certains acteurs au centre de cette réflexion, dont Dennis Meadows lui-même, reviennent sur la genèse du rapport, sur la controverse qu’il suscita lors de sa parution et sur ses thèses, plus actuelles que jamais.

 L’importance de la modélisation globale

En ces temps d’incertitude où se conjuguent les crises (changements climatiques, reprise économique chancelante, crise des réfugiés, conflits en tout genre, etc.), il devient essentiel d’étudier les scénarios de l’avenir avec des outils tenant compte des limites inhérentes au système complexe dans lequel nous vivons. À cet effet, la méthode de simulation de la dynamique du système global développée par Jay Forrester est plus pertinente que jamais.

La modélisation de l’économie proposée par la théorie de la dynamique des systèmes est très différente des modèles économétriques qui dominent la pensée économique. Ces derniers utilisent principalement des algorithmes d’ajustement de courbes basés sur les données du passé. Ils ne creusent pas très loin pour trouver les causes sous-jacentes aux phénomènes observés. Ils ne s’attardent pas suffisamment à la dynamique interne du système. Par exemple, ils ne reconnaissent pas toujours les conflits entre la maximisation à court terme et l’optimisation à long terme. De même, les politiques mises sur pied pour optimiser une partie du système vont souvent à l’encontre des politiques visant l’optimisation de l’ensemble. La science économique est centrée sur les équilibres et très peu sur la dynamique de l’évolution dans le temps du système. Avec comme conséquence qu’on adopte des législations et des programmes qui suscitent de grands espoirs mais qui sont souvent inefficaces, quand ils ne produisent pas exactement l’inverse des résultats désirés. Et quand les choses s’aggravent, on intensifie les efforts dans le même sens, ce qui empire la situation.

Il y a des processus à l’œuvre dans la formation de l’intuition et du jugement qui conduisent fréquemment les êtres humains à prendre des mauvaises décisions quand ils se trouvent face à des systèmes fortement interactifs. C’est qu’au cours de leur évolution, et jusqu’à tout récemment dans l’histoire de l’humanité, il ne leur était pas nécessaire de comprendre les systèmes complexes. En effet, c’est depuis peu que l’Internet, les réseaux sociaux, la mondialisation des marchés et jusqu’à notre influence sur la biosphère ont multiplié les interactions des humains, entre eux et avec les systèmes planétaires. D’où l’image mentale simplificatrice que nous entretenons sur le monde qui nous entoure. Or, toutes nos décisions, nos lois et nos politiques sont fondées sur cette image simplifiée.

 En général, on pense que les mauvaises décisions sont dues à un manque d’information et de données, mais elles sont plutôt attribuables à notre incapacité à percevoir les implications des données qu’on possède déjà. L’approche de Jay Forrester est très éloignée de l’importance accordée à la collection de données et aux analyses statistiques si chères aux décideurs. Elle met plutôt l’accent sur les caractéristiques propres aux comportements des systèmes complexes comme les rétroactions, les effets de seuils, les points de bascule, les non linéarités (effets non proportionnels aux causes) et plusieurs autres. Cette méthode s’applique à tous les systèmes complexes peu importe le domaine concerné, climat, économie, urbanisme, géopolitique, écosystèmes, etc. Elle s’attaque à la dynamique interne des systèmes, aux causes profondes des phénomènes et non à leurs symptômes.

Souvent, en raison d’une mauvaise compréhension des interactions à l’intérieur d’un système, les politiques et les programmes visent les symptômes plutôt que les causes profondes d’un problème et ils ont tendance à agir sur les leviers d’intervention les moins efficaces. Donella Meadows a élaboré une hiérarchie de douze points d’action[7] où l’on peut intervenir dans un système pour provoquer un changement. Elle les a classés par ordre d’efficacité. Le moins performant concerne l’action sur les paramètres, qui constitue pourtant plus de 90% des efforts dans notre société obsédée par les nombres et les données. À l’autre bout du spectre, l’un des deux leviers les plus efficaces est le changement de paradigme (modèle mental), c’est-à-dire une nouvelle façon de comprendre le monde.

 Le comportement d’un système complexe est très souvent contre-intuitif. C’est ce qu’a voulu démontrer Jay Forrester avec son célèbre jeu de simulation The Beer Game[8], familier à de nombreux détenteurs de MBA, dans lequel les participants sont invités à intervenir dans une chaîne d’approvisionnement de bière en adoptant un des rôles suivants : détaillant, grossiste, distributeur, fabricant. Le but du jeu est de mettre en lumière la difficulté à gérer la complexité (plusieurs intervenants en interaction) et les délais entre la décision et la mise en œuvre. Bien que chaque joueur prenne une décision qui lui paraît sensée, les résultats sont souvent désastreux…

 Un programme destiné à soulager un symptôme dans une partie du système peut générer de nouveaux problèmes dans une autre partie de ce même système, parfois pires que la situation qui a motivé le programme. Il arrive aussi que l’amélioration à court terme d’une condition engendre un effet opposé à long terme. Les effets non linéaires créés par les interactions entre les parties du système peuvent l’orienter dans une direction complètement différente de celle qui était souhaitée par les instigateurs du programme. Dans sa réflexion sur la dynamique des villes (Urban Dynamics), Forrester offre une belle illustration de ces effets de système.

« On ne peut être tout pour tout le monde »

 Dans la théorie des systèmes, on appelle « archétypes » une série de modèles de comportement caractéristiques des systèmes complexes. Le principe d’attractivité énoncé par Jay Forrester est l’un de ces archétypes.

Les systèmes vivants sont des systèmes complexes composés de réseaux d’interaction emboîtés dans des réseaux d’interaction de plus en plus complexes (ex : cellules, organes, organismes, sociétés, biosphère). Il existe des caractéristiques communes à ces différents niveaux de complexité incluant leurs comportements archétypaux.

On pourrait formuler le principe d’attractivité par l’expression « On ne peut être tout pour tout le monde », c’est-à-dire que l’optimisation de chacune des parties d’un système va souvent à l’encontre de l’optimisation de l’ensemble. Voici trois exemples des effets de ce principe à trois niveaux de complexité différents : un restaurant, une ville, la planète.

 Un nouveau restaurant fait sa publicité comme suit : « Venez déguster la meilleure cuisine à bas prix dans une atmosphère accueillante avec un service rapide et amical ». En somme, tous peuvent y trouver leur compte qu’ils recherchent qualité de la nourriture, petits prix, ambiance conviviale, service rapide ou accueil chaleureux. Au début, l’établissement arrive à tenir plus ou moins ses promesses, mais très tôt sa popularité croissante ralentit la rapidité du service. Le restaurateur remédie à ce problème en engageant plus de personnel, ce qui l’oblige à augmenter ses revenus, soit en haussant ses prix ou en pressant ses clients pour pouvoir servir plus de monde. Il lui est donc impossible de diminuer le temps d’attente tout en maintenant ses bas prix ou l’atmosphère de détente qui incite les clients à s’attarder à table. En somme, comme il ne peut pas tenir tous ses engagements, « être le meilleur sous tous les aspects », il doit choisir les caractéristiques pour lesquelles il veut que son établissement soit reconnu.

 Montons maintenant à un niveau de complexité supérieur, celui d’une ville. Selon Jay Forrester, au niveau géographique, toutes les régions tendent vers la même attractivité. Ici, il utilise le terme attractivité pour désigner tous les aspects d’une ville qui contribuent à sa « désirabilité » : sa beauté, la qualité de son environnement, les plaisirs qu’elle offre, les perspectives d’emploi, un bon réseau de transport, un bas niveau de criminalité, des logements à prix abordable, etc. Mais une ville ne « peut être tout pour tout le monde ». Comme dans le cas du restaurant, si une ville réussit à réunir tous les critères gagnants, le principe d’attractivité fera en sorte qu’elle attirera de plus en plus de touristes et de résidents, ce qui mettra de la pression dans plusieurs secteurs : les infrastructures, l’habitation, les occasions d’emploi, les services publics, la qualité de l’environnement, les transports, etc. En somme, l’augmentation de la population attirée par les qualités d’une ville contribue à amoindrir les attributs qui l’ont rendue attrayante en premier lieu. Ce qui a fait dire à Forrester qu’une façon plus réaliste de définir le principe d’attractivité c’est de bien souligner l’effet suivant : au fur et à mesure que la population augmente, toutes les régions tendent à devenir également « peu attrayantes ».

 En octobre 2016, une station de télévision de Seattle attirait l’attention du public avec le titre suivant : « 74 millions de dollars plus tard, le bouchon de Mercer s’est amélioré de 2 secondes »[9]. C’est ce que la ville de Seattle a dépensé pour améliorer la circulation dans le corridor de Mercer, surnommé Mercer Mess (chaos). Ce montant a en effet l’air astronomique si on n’a gagné que deux secondes ! Mais alors on ne tient pas compte du développement explosif d’Amazon et des autres entreprises de haute technologie à proximité de ce corridor pendant la période des travaux. En fait, ils ont permis d’accommoder 30 000 automobiles supplémentaires par jour. Le titre aurait dû se lire « Le projet d’amélioration du corridor Mercer a permis d’ajouter 10 millions de nouveaux passages par année sans accroître le temps de déplacement ».

 Les améliorations effectuées sur une route n’affectent pas que les usagers de cette artère. Il faut regarder l’ensemble du réseau routier de la ville pour en comprendre la dynamique. Le comportement du trafic résulte de l’ensemble des choix individuels effectués par des milliers d’individus. Le réseau urbain leur offre des douzaines d’itinéraires possibles. Ceux qui doivent circuler dans le centre-ville de Seattle à l’heure de pointe sont pour la plupart des habitués qui ont appris à choisir leurs trajets en fonction des patterns de circulation. Le trafic qui en résulte tend vers une sorte d’équilibre dynamique. L’amélioration du temps de déplacement sur une artère va naturellement rendre ce trajet plus attrayant que les artères voisines. Résultat : un nombre croissant de conducteurs choisiront cette option plus rapide, réduisant la fluidité du trafic jusqu’à ce que le temps de parcours soit pratiquement le même que celui des autres trajets. Il est donc absurde de mesurer les bénéfices des améliorations d’une route en ne considérant que le temps du déplacement.

 Les perspectives d’emploi chez Amazon ainsi que chez les autres compagnies en technologie de l’information ont attiré beaucoup de monde dans la région de Seattle, créant plus de pression sur les infrastructures, notamment sur le réseau routier, mais aussi sur l’environnement (qualité de l’air, traitement des eaux usées, etc.), l’habitation, les services municipaux, etc.

 Forrester disait qu’un bon leadership urbain consiste à s’en tenir à l’amélioration de la qualité de vie des résidents déjà en place, tout en les protégeant du type de croissance qui annulerait les gains. En d’autres termes, il faut améliorer l’attrait exercé par une ville sur ses résidents, tout en le réduisant sur ceux qui souhaitent s’y installer. Les programmes d’amélioration des villes ne sont alors efficaces que dans la mesure où on augmente simultanément la qualité de vie dans toutes les régions du pays, ce qui exige une bonne coordination entre les différents niveaux de gouvernement. Voilà une autre belle illustration qu’il est vain de tenter d’optimiser une partie du système (une ville) sans tenir compte de sa totalité.

 Le raisonnement est le même à l’échelle de complexité de la planète entière. Quand un pays améliore constamment son attractivité par rapport aux autres, il ne faut pas s’étonner que les résidents des pays moins favorisés tentent d’y migrer. Les migrations se font toujours vers les pays plus attrayants en termes d’économie, d’emplois, de qualité de l’environnement, de sécurité, d’éducation, etc. Évidemment, il ne s’agit pas de fermer la porte aux réfugiés et aux immigrants, qui vont contribuer à l’amélioration de la qualité de vie du pays hôte jusqu’à ce que le rythme ou la quantité de leur influx dépasse un certain point de bascule au-delà duquel les stress sur les infrastructures, l’environnement et la vie en société diminueront la qualité de vie de l’ensemble de la population. Comme dans le cas des villes, la meilleure façon d’éviter cet écueil est de s’assurer que l’amélioration de la qualité de vie dans les pays favorisés s’accompagne d’une amélioration de celle des autres parties du monde. Mais avant même de contribuer à améliorer les conditions de vie dans les autres pays, il faudrait peut-être commencer par arrêter de les détériorer en leur vendant des armes ou en détruisant leur environnement pour exploiter leurs ressources, par exemple. En somme, on ne peut améliorer l’attractivité d’un pays en diminuant celle des autres, à long terme cette stratégie rendra tous les pays « peu attrayants »…

 L’origine du mal qui nous afflige…

 Selon Jay Forrester, d’ici la fin du XXIe siècle, l’humanité pourrait faire face à des changements consternants, soit l’effondrement de la civilisation industrielle moderne par épuisement des ressources stratégiques (énergie, minéraux, etc.) sur lesquelles elle est fondée ainsi que l’effondrement de la population mondiale causé par la pollution, les pénuries alimentaires, les épidémies ou les guerres causées par des stress psychologiques et sociaux attribuables à la surpopulation.

 La croissance exponentielle ne peut pas durer. Notre plus grand défi est donc de gérer la transition de la croissance vers l’équilibre. Mais l’humanité a développé au cours de quelques centaines d’années une tradition encourageant et récompensant la croissance. À moins que nous n’arrivions à comprendre la dynamique des systèmes complexes que nous avons créés (économie mondialisée, réseaux sociaux, etc.) et dans lesquels nous vivons (écosystèmes, biosphère), et à faire les bons choix, les processus internes du système global le feront à notre place.

 Dans un très beau texte publié dans Le Devoir comme un cadeau du Jour de l’an, le jeune Gabriel Laurence-Brook n’a pas eu peur de regarder la situation en face, sans être pour autant pessimiste. Je me permets de le citer :

 « Nous sommes plusieurs à ressentir intuitivement que quelque chose ne tourne vraiment pas rond dans notre société. Chaque jour apporte son lot de nouvelles nous parvenant comme autant de symptômes d’un monde en déroute. Catastrophes environnementales, terrorisme, guerres, famines, extrême pauvreté côtoyant les amas de richesses les plus extravagants… Inconsciemment, nous savons tous que le système fonce droit dans un mur. (…) Nous sommes peu, en contrepartie, à réussir à mettre le doigt sur l’origine du mal qui nous afflige. Cela suppose d’abord de résister au processus naturel de défense psychologique devant un problème d’une telle ampleur consistant à l’occulter complètement et à se servir du divertissement si facilement accessible pour s’économiser le découragement, le cynisme et le chagrin d’une remise en cause profonde du monde tel qu’il est. »[10]

L’« origine du mal qui nous afflige » provient en partie d’une mauvaise lecture de la réalité d’aujourd’hui. Peut-être en sommes-nous arrivés au point où de grands stress, comme une « halte à la croissance » ou une transformation volontaire de notre mode de vie, sont aujourd’hui nécessaires si on veut éviter des stress insurmontables (catastrophes climatiques, pandémies, effondrement de l’économie mondiale) dans l’avenir ?

Certains prétendent qu’Isaac Asimov s’est inspiré de Jay Forrester pour créer le personnage de Hari Seldon dans sa célèbre série de science-fiction « Fondation ». Les scientifiques Forrester et Seldon ont tous deux développé une importante méthode pour imaginer l’avenir. Dans les deux cas, leurs équations ou leurs simulations ont prédit un effondrement de la civilisation telle qu’on la connaît, et dans les deux cas, personne n’a voulu les croire. Dans l’univers fictif d’Asimov, Seldon a créé la planète Fondation sur laquelle les meilleures réalisations humaines ont été conservées pour permettre de rebâtir la civilisation après son effondrement ; son entreprise a réussi. La compréhension de la dynamique des systèmes complexes issue des travaux de Jay Forrester pourrait être la « Fondation » sur laquelle Gabriel L-B et les jeunes de sa génération pourront s’appuyer pour « faire œuvre utile, (et) trouver le meilleur moyen de provoquer les changements d’ampleur qui s’imposent, dans l’espoir de pouvoir sauvegarder ce qui peut encore l’être. »[11]

 



[1] Allusion à Bill Mollison dans la Lettre de L’Agora du mois d’octobre : http://agora.qc.ca/dossiers/bill_mollison

[5] Découvrez ce site qui est une collection de perles : http://4emesinge.com/category/interview

[11] idem

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