Loew Jacques

Clermont-Ferrand, le 31 août 1908-Abbaye d’Echourgnac le 14 février 1999.


Par Benoît Lemaire

L'évangélisation en ce troisième millénaire nous amène à revisiter la théologie fondamentale qui doit orienter et conduire la réflexion au seuil de la foi. La théologie pour sa part semble s'être éloignée de son objet: le Dieu révélé pour s'orienter vers un humanisme inspiré par les sciences humaines. Un auteur peut nous orienter; sa foi de converti, fidèle à l'Église des apôtres, fort d'une expérience à la grandeur de l'occident fait de lui un témoin crédible.

Jacques Loew est né à Clermont-Ferrand le 31 août 1908 de parents fortunés pas vraiment croyants.  Son père, médecin, anticlérical ne voulut pas qu’il soit instruit par les « curés ». L’enfance et l’adolescence de ce fils unique se passent sans histoire sauf qu’il dut interrompre ses études à deux reprises pour un séjour au sanatorium avant de devenir avocat. 

 À vingt-quatre ans, il avait tout pour être heureux :  une situation, de l’argent, des filles qui le désiraient, mais le monde lui paraissait merveilleux et en même temps terriblement vide, avec comme horizon, la mort.  Même sans en avoir peur, il y avait des jours où il se disait que c’était peut-être mieux d’en finir; tout au moins, rayer le mot toujours de son vocabulaire.  Dire à quelqu’un : je t’aimerai toujours est un mensonge.  C’est à ce moment-là qu’il eut la chance (c’est lui qui le dit), la grande chance de sa vie :

il est tombé malade et a été envoyé en sana, un an, deux ans et là il a cherché.

 Oui, j’ai cherché pour de bon, j’ai réfléchi, j’ai supplié.  Et peu à peu, comme une pâle lumière dans la nuit, une lumière qui devient aube, puis aurore, puis soleil levant et enfin plein midi, tout d’un coup… ce Dieu qui me semblait absurde, impossible… ce Dieu m’est apparu possible, peut-être quelqu’un. 

Après des rencontres avec des copains du sana, puis les chartreux de la Valsainte, il se lie d’amitié à Stanislas Fumet. Ceci le prépare à rencontrer le Christ puis l’Église.  Il décide d’entrer chez les Dominicains. Conseillé par le Père Lebret, il étudie sur le terrain le monde du travail et devient le premier prêtre ouvrier au port de Marseille.

En 1954, Rome demande aux prêtres-ouvriers de cesser le travail. Loew cesse d’être docker et fonde l’année suivante la Mission ouvrière Saint-Pierre-et-Paul pour l’évangélisation du monde ouvrier. On le retrouve successivement à Port-de-Bouc, Toulouse, sur les chantiers de forage au Sahara, puis dans la banlieue de Sao Paulo au Brésil. En 1969, il fonde l’École de la Foi à Fribourg en Suisse, non pour former des spécialistes de la pastorale ou de la catéchèse, mais pour initier des formateurs de communautés, des hommes et des femmes qui soient des disciples du Christ en partageant la rude existence humaine.

À 75 ans, il se retire au monastère de Citeaux puis à Tamie tout en continuant une certaine vie active ponctuée de voyages apostoliques, de conférences et d’écrits. 1

  Il meurt à l’abbaye d’Echourgnac le 14 février 1999.

L’expérience apostolique du Père Loew a commencé avant le Concile du Vatican et elle traduit déjà la pensée qui trouvera une expression admirable dans la constitution pastorale sur l’Église et le monde d’aujourd’hui.  Cette affirmation du cardinal Maurice Roy confirme que pour aller à l’homme d’aujourd’hui, il ne suffit pas de lui adresser de loin la parole.  Il faut annoncer l’évangile de telle sorte qu’il puisse l’entendre et s’approcher de lui en communiant à ses soucis et à ses espoirs en toute fidélité à Dieu et aux homme

Pour Jacques Loew comme pour Madeleine Delbrêl, l’intelligence a sa place au sein de la recherche de Dieu.  Intelligence et foi est un thème central de leur œuvre, et il éclaire la question primordiale posée à l’Église d’aujourd’hui : une affirmation de Loew nous fait prendre conscience d’une réalité trop peu connue :

  Le drame de la foi aujourd’hui est la conséquence d’une pensée qui a fait fausse route. Comment parler de la Vérité du Christ à des hommes qui estiment que l’homme ne peut ni atteindre ni connaître la Vérité? Comment parler des exigences de l’Évangile à quelqu’un qui conçoit la liberté comme le rejet des contraintes?  Et comment parler de l’amour de Dieu à des hommes pour qui Dieu n’est plus que l’image du " père à assassiner" ?

Un travail urgent et capital nous attend :  restaurer les assises de ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, l’intelligence, la capacité de saisir le réel des êtres, non sans tâtonnement bien sûr.  Ceci à mon avis conditionne tout engagement temporel.

Le regard du croyant nourri de la Parole doit arriver à discerner que les plus hautes réalités ne s’opposent pas :  justice et miséricorde, liberté et autorité, discipline et grâce, bien personnel et bien commun. Le propre de l’intelligence – comme d’une saine philosophie – est de ne pas laisser une vérité cancériser les autres.

Comment vivre la foi en Jésus-Christ dans un monde pluraliste face à la négation théorique ou pratique de Dieu? Il faut réhabiliter l’intelligence et lui faire jouer son rôle de recherche de sens.  En poussant assez loin le forage intellectuel, on peut vérifier qu’en allant suffisamment loin dans le questionnement sur le sens de l’existence humaine un moment vient, où c’est Jésus-Christ ou rien, comme l’ont proclamé le Père Bro et Monseigneur Léonard que Loew propose en modèles.

 La pédagogie de la foi conduit à la rencontre de la personne du Christ.  Pour ce faire, il faut des messagers compétents tellement transformés par l’Évangile qu’ils deviennent des "annonciateurs" crédibles, vivant dans une communauté de destin pour rayonner leur foi. 

 Notes

1- Loew, Jacques, Le bonheur d’être homme (Entretiens avec Dominique Xardel), Centurion, 1988.     

 

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