Saint-Simon Henri (Comte de)
«Celui toutefois qui a été le propagateur le plus enthousiaste et probablement le plus influent du progressisme de Condorcet a été amené, quoique en termes assez vaguement définis, à réintroduire dans sa théorie de l'histoire une structure qui, à certains égards, s'apparente aux conceptions cycliques. Le comte de Saint-Simon s'est fait avec une conviction sans doute inégalée le héraut des promesses de bonheur que le futur réserverait à l'humanité grâce aux applications bénéfiques des sciences, non seulement celles bien connues des sciences physiques mais surtout celles des sciences humaines qui, à ses yeux, ne pouvaient manquer de s'imposer dans un proche avenir. Pour étayer ses idées à ce sujet, il faisait observer que la science serait bientôt en état d'exercer un rôle social décisif dans la mesure où un "corps scientifique" mieux organisé allait certes parvenir sous peu à se substituer au clergé religieux dans l'exercice d'un « pouvoir spirituel » capable d'équilibrer efficacement le « pouvoir temporel ». Quant à ce "pouvoir temporel", exercé jusque-là par le roi, ses ministres, la noblesse et les militaires, Saint-Simon ne tardera pas à trouver la façon de le confier lui aussi à de meilleures mains. Tout comme le pouvoir spirituel gagne à être exercé par les savants plutôt que par les prêtres, le pouvoir temporel gagnerait à être exercé par les véritables producteurs de la richesse, les industriels, dont Saint-Simon se fera l' apologète dans de nombreux écrits, passablement répétitifs, tout au long de sa carrière. Quoi qu'il en soit, ce qu'il importe de souligner ici, c'est que, aussi résolument tournée vers l'avenir qu'elle ait pu l'être, la pensée de Saint-Simon prenait volontiers appui sur l'expérience acquise dans le cadre de la chrétienté médiévale pour reconstituer à nouveaux frais un « nouveau système » structuré de façon analogue, mais appelé, grâce au progrès scientifique, à dépasser de loin son modèle, lequel se voyait, en quelque sorte, associé à un cycle inférieur de l'organisation sociale. En esquissant le plan d'une société nouvelle, société qu'il finira d'ailleurs par présenter comme un "nouveau christianisme" qui "aura sa morale, son culte et son dogme" de même que "son clergé" — Saint-Simon invitait littéralement l'humanité à reprendre à neuf, sur la base encore sous-exploitée qu'offrait la science moderne, la tâche consistant à mettre en place une structure sociale caractérisée à la fois par sa cohésion et par son efficacité.»
MAURICE LAGUEUX, Actualité de la philosophie de l'histoire, Presses de l'Université Lava, Québec, 2001. p.93