Doucet-Saito

Louise Doucet-Saito et Satoshi Saito

II est de ces couples que rien ne semble pouvoir briser : la pensée, la vision, les affinités, la vocation même, sont les produits de la même symbiose. Pour ce qui est de Louise Doucet-Saito et Satoshi Saito, sculpteurs, le destin, le karma, ou un divin caprice les ont fusionnés au-delà de leur orientation originale, de leur continent et de leur culture d'origine. La complémentarité se poursuit jusque dans leur travail, et la dualité se fond dans leur oeuvre, signée Doucet-Saito.

Louise, est née à Montréal, a étudié à l'École d'art et de design du Musée des beaux-arts de Montréal, à l'École du Meuble de Montréal, puis, à l'école de poterie de Gaétan Beaudin, à North Hatley.


Ce vase, fait à Mashiko en 1965, sera une source d'inspiration pour Louise et Satoshi.
«Nous n'oublierons jamais ce jour où pour la première fois nous avons ouvert un four. Nous y avons aperçu, à demi caché, sous la cendre, ce vase qui, en raison de sa couleur et de sa texture nous a semblé être une belle pièce.»



Théière Doucet-Saito après trente ans d'usage quotidien

«La beauté d'un objet ne se révèle véritablement que dans l'usage qu'on en fait et dans la façon dont on s'en sert. Depuis les temps les plus reculés, les gens font de la poterie. Au-delà des bouleversements politiques, l'histoire de la céra-mique illustre cette continuité de la relation entre l'homme et ses objets domestiques. L'homme se connaît et se reconnaît dans l'objet qu'il utilise, dans l'image de lui-même qui lui est ainsi transmise. Lorsque, pour boire, je soulève un bol ou un verre avec mes mains, je prends conscience d'un lien immémorial qui me lie aux autres êtres et au monde. Je me perçois à l'intérieur d'une longue tradition qui s'échelonne sur des siècles où le geste devient créateur de beauté. Alors, dans le silence, un ordre naît du chaos par mon geste. Je découvre la beauté.» (S.Saito, revue Critère, No 12, 1975)

Satoshi est né à Tokyo, y a fait ses études en sciences économiques, avant de venir poursuivre des études supérieures à l'Université McGill de Montréal. C'est à Montreral, et plus tard à North Hatley, que sa nouvelle vocation prendra forme.
Les premiers travaux de collaboration remontent à 1963. Ils s'épousent en 1965, et la même année, une bourse du Conseil des Arts du Canada leur permet d'aller faire un stage d'études spécialisées sur la céramique orientale, au Japon. Ils y poursuivent leur recherche sur la forme et perfectionnent leurs connaissances des méthodes de cuisson, de la qualité des terres et des glaçures.

De retour au Canada, ils s'installent sur leur ferme des Cantons de l'Est, en 1968. Leur étroite collaboration, leur recherche constante, et la rigueur qu'ils s'imposent dans leur travail leur permettent de pousser toujours plus loin leur sens du matériau et de la forme.



Quelle a été la plus grande influence dans leur travail?

« Moi, j'ai été "fabriqué" au Japon ", nous dit Satoshi, « et nous avons tous deux eu la chance de connaître de grands maîtres, au tout début de notre formation. Nous avons beaucoup appris d'eux.»

Ils vont au-delà de l'acquis et poursuivent leur exploration. Au cours des années 80, la juxtaposition de techniques, une combinaison habile de terres différentes, le jeu des textures, des motifs, des couleurs font partie intégrante de l’œuvre. Le métier de céramiste est toujours présent mais dans la recherche architecturale qui s'amorce, les agencements de matériaux : le bois, la brique, le laiton, le grès, le granit sont de plus en plus fréquents. L'esthétique visuelle joue de pair avec l'esthétique tactile et sensorielle. Puis, en 1983, les sculptures monumentales font leur apparition et il est évident que les sculpteurs ont trouvé dans la pierre, et plus particulièrement dans le granit, une nouvelle source d'inspiration.



Le passage de l'argile à la pierre fait partie de l'évolution de l'oeuvre. II sera désormais possible de travailler en grandes dimensions. «La pierre a une sensualité qui lui est propre. Elle n'est pas dure ou immuable. On explore ses limites, on la pousse jusque dans ses confins. Elle se révèle. On voit ses teintes, sa douceur, les jeux de lumière. On travaille, on transige avec les éléments. C'est passionnant.»

La nature continue d'être pour eux une des plus grandes sources d'inspiration. « C'est une richesse sans cesse renouvelée. On peut découvrir, sur un chemin cent fois parcouru, des changements subtils, délicats, à peine perceptibles, qui nous ont échappé la veille. Tout est matière à transformation : les formes, les couleurs, même les éléments. On peut voir le mouvement les arbres plient, se tordent, on sent les tensions intérieures, extérieures; c'est une danse perpétuelle. L'important c'est d'être présent, d'être disponible, d'être curieux, d'avoir tous ses sens alertes.»

On comprend pleinement la portée de cette union avec la nature, avec les éléments, et ce profond respect de l'histoire ancestrale de la terre, quand on voit leurs oeuvres. Elles en sont imprégnées; elles en sont l'extension. On se trouve tout à coup face à face avec cette connaissance intime du matériau, avec ce silence, avec ce dépouillement personnel de l'ego, et cette transcendance du temps: La vision se révèle dans leur oeuvre.

Les expositions, les prix, les distinctions se succéderont au cours des années, mais les Doucet-Saito n'en citent que quelques-uns : en 1997, ils ont réalisé une sculpture commémorative en granit pour les Jeux olympiques de Nagano, 1998 (Lauréats, Nagano Open-Air Sculpture Award). En 1992, ils exposaient leurs oeuvres au Contemporary Sculpture Center à Tokyo. En 1990, le Musée des beaux-arts de Sherbrooke organisa une rétrospective comprenant des oeuvres produites entre 1963 et 1990. Et le couple Doucet-Saito reçut le Prix d'Excellence Saydie Bronfman en 1980.



La sculpture réalisée pour les Jeux olympiques développe un thème cher aux Doucet-Saito : le temps. Le temps de la terre. Mais pour mieux comprendre le sens de la sculpture Akatoki (Mba), voici les propos tenus par Satoshi Saito lors de la cérémonie du dévoilement à Nagano

Comme elles sont belles les montagnes Asakawa ! Ému par tant de beauté naturelle, je suis rempli de gratitude envers les ancêtres et les dieux qui veillent sur les lieux depuis les temps immémoriaux. Akatoki-Alba se veut, comme dans la tradition de l'agalma grec, une sculpture offerte en hommage aux puissances tutélaires des monts IIZUNA.

J'entretiens l'espoir que l'offrande s'épanouisse pleinement, libérant tout à la fois la puissance contenue de la pierre et le mouvement ascendant de la forme, en parfaite harmonie avec les montagnes qui l'accueillent et l'encadrent.

La pièce réserve au visiteur des Jeux olympiques un point de vue privilégié qui devrait lui rappeler l'athlète dans l'instant où ce dernier concentre son énergie et la projette en avant - moment fait de tension, mais aussi d'exubérance.

Le blanc de la pierre irradie au mieux sa lumière à l'aurore telle Akatoki-Alba, à "l'heure marquée où, selon Lucrèce,1 la déesse de l’Aube, introduit dans les airs l’Aurore aux doigts de rose et ouvre les portes de la lumière."'

Je souhaite de tout coeur que se perpétue la beauté naturelle des montagnes Asakawa et que Akatoki-Alba reste à jamais une offrande agréable aux dieux et un plaisir toujours renouvelé pour les yeux. Vraiment, ces pensées m habitaient déjà alors que je taillais le bloc de pierre dans une petit village du Canada.

Le « temps », auquel Satoshi Saito fait allusion, dans son discours inaugural, est un élément important dans la pensée et dans l'oeuvre des Doucet-Saito. La durée: brève ou étemelle; la continuité. L’espoir est exprimé : que AkatokiAlba demeure con-gruente, dans le site choisi, pour les siècles à venir. « Qu'elle continue d'être agréable aux dieux »; qu'elle apporte ravissement, plaisir, aux yeux qui la voient. Ces mots annoncent déjà la vision qui donnera jour à Agalmata. Its en sont les précurseurs.

Agalmata est le nom choisi pour identifier l'exposition de 1998 au Contemporary Sculpture Center à Tokyo. Sa signification exprime avec justesse la pensée qui anime les Doucet-Saito, au moment de présenter leurs oeuvres. Dans ses définitions les plus étroites ou les plus vastes, le mot nous ramène invariablement à l'offrande faite aux dieux; au don qui honore et célèbre l'Éternel; à ce cadeau qui défie la temporalité, et qui apporte plaisir et ravissement à quiconque est mis en sa présence.

Le concept du « temps » est manifeste dans l'oeuvre, il est omniprésent, il l'anime. On le sent inhérent au procédé de création, on le perçoit dans les sculptures, égales en valeur et en intensité critique. Ainsi, dans "Alba" et dans "Winter lays the egg of Spring", on est témoin du temps espace, temps-mouvement, dans l'élan, dans l'attente. Dans l'arrêt suspendu avant le départ, on sent le moment de propulsion dans l'inertie qui précède l'envol. On est pris dans le mouvement, dans ce que révèle la pierre. On s'attend de voir apparaître Teruhi2 sommant les esprits de se manifester.

Dans son essai qui sert de préface à l'exposition Agalmata, le poète D. G. Jones, démontre une profonde affinité avec l'oeuvre et la pensée des Doucet-Saito et, à leur demande, nous reproduisons, dans sa version originale, deux extraits de leur choix.

The gait the manner of walking, of moving, quick or langorous, massive or febrile, nonchalant or superb, that is what the word allure points to centrally, and it is often precisely this cast this signature of an event, of a branch swaying, a woman walking, a whole landscape turning in seasonal change, that registers in the imagination of the sculptor asking to be made articulate in stone. Even more subtly, it is the pivotal moment when the bird hangs between landing and continuing its flight when the fish is suspended over the stone in a stream and the impulse to leap. Saito would render these tensions of the mind in time in their bodily form.

The desire to incorporate time into a presumably static, spatial expression, may be similar to the Cubist's desire to organize different spatial views within a single perspective. But there seems a further concern to evoke in these figures the pathos of time - simultaneously a kind of splendour, as bodies assert and transform themselves, and a kind of desolation, as they recognize the abiding principle of entropy. The sculpture, when accorrplished, manifests the serenity of some masterful equipoise between the two. It reassures - and is always amazing. However contemporary Saito's work, its forms would seem to intuit something perennial, something immemorial.

L’oeuvre des Doucet-Saito est une entrée dans le monde extatique des secrets millénaires, recelés dans la pierre. Les sculpteurs lui font révéler, en la dévêtant de sa couche extérieure, les formes secrètes qui s'y abritaient depuis la nuit des temps. Leur approche, comme l'intercession du miko3 auprès d'un kami4 bienveillant, nous laisse entrevoir le temps d'une vision, l'instant sacré, indéPendant du temps qui se trouve, selon les shamans, au-delà de l'au-delà de l'au-delà.

Lilya Prim-Chorney

1 Lucrèce, L V.V. 650

2 Sibylle, possédant le pouvoir de sommer les esprits à se manifester, à parler. Théâtre No, "Aoi no Ue."

3 Dans l'ancienne tradition shamanique Shinto, le medium, le porte-parole.

4 Dans l'ancienne tradition shamanique Shinto,le numina,ou esprit, que l’on vénérait et à qui l’on adressait ses requêtes.

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