Anaximandre de Milet

vers – 610-vers – 547

L’humanité doit à l’œuvre du second grand Milésien, Anaximandre, des avancées décisives qui restent trop méconnues !

C’est à lui qu’on attribue la première carte de géographie de la surface terrestre reconnue comme habitée à son époque.

Il a construit le premier cadran solaire. Cela lui a permis de déterminer les solstices et les équinoxes ; c’est ainsi qu’il a découvert l’obliquité de l’axe de la Terre, et qu’il a pu déterminer la succession des saisons.

Cosmologie

Il concevait la Terre comme une sorte de cylindre, suspendu en équilibre au centre de l’Univers, dont les hommes occuperaient l’une des extrémités circulaires.

Cette cosmologie est remarquable parce que, pour la première fois, elle s’abstrait de l’expérience humaine si familière de la polarisation haut / bas de l’espace. L’homme s’oriente selon le haut et le bas relativement à sa position sur la surface terrestre ; mais il n’y a pas de haut et de bas absolu, c’est-à-dire du point de vue de la position de la Terre dans l’Univers. La Terre ne repose sur rien. Elle se tient immobile dans un espace indifférencié et illimité. Anaximandre est en effet le premier penseur à assumer de manière explicite la pensée de l’infinité de l’Univers.

Le premier principe

Pour désigner cet espace, Anaximandre emploie le terme d’Apeiron que l’on peut traduire par « substrat indéterminé et illimité ». Pour lui, c’est bien plus qu’un support de coordonnées géométriques puisque c’est le premier principe de tout ce qui est.

Les Milésiens, pour rendre compte de l’ordre de la nature uniquement au moyen du discours rationnel (le logos), cherchaient à déterminer le principe premier de toutes choses. Thalès avait affirmé que l’eau était ce premier principe. Mais pour Anaximène de Milet, c’était l’air ; pour Xénophane de Colophon, c’était la terre ; pour Héraclite d’Éphèse, c’était le feu (il s’agit de trois penseurs ioniens du VI° siècle). On voit que sont pris pour premier principe chacun des quatre éléments reconnus comme fondamentaux par les Grecs car entrant dans la composition de tous les êtres de la nature. Mais choisir un de ces éléments plutôt qu’un autre a-t-il vraiment un sens si l’on admet qu’ils entrent dans la composition de tout ce qui est ? N’est-ce pas, finalement, arbitrairement privilégier une apparence sensible (celle de l’eau par exemple) plutôt qu’une autre. Ne faut-il pas plutôt aller au-delà des apparences sensibles vers un substrat qui les conditionnent toutes ?

C’est ce saut décisif dans l’abstraction qu’opère Anaximandre par son concept d’Apeiron. Il est décisif parce qu’il fournit un cadre théorique qui est toujours celui de la science actuelle. Le centaine d’éléments qui composent la table de Mendeleïev sont la forme qu’a pris, pour notre savoir, l’Apeiron, hors de portée de nos sens, illimité, mais au principe de tout ce qui existe.

Une théorie de l'évolution

En essayant de penser le lien entre l’Apeiron, indéterminé ,illimité, éternel, et les êtres déterminés existant dans la nature, Anaximandre met à jour une idée nouvelle et qui allait avoir une belle destinée : celle d’évolution. L’évolution n’est pas la genèse. La genèse est un changement qui résulte d’une intervention transcendante – quand il s’agit de l’ordre de la nature, ce sont toujours des dieux qui engendrent. Une évolution est un changement qui trouve sont ressort dans la nature de la réalité qui change. L’Apeiron évolue parce qu’en lui des forces contraires s’opposent tels le chaud et le froid, le lumineux et l’obscur, l’humide et le sec. Cette évolution, non seulement détermine les quatre éléments fondamentaux de la nature, mais aussi les divers êtres issus de leur mélange. C’est ainsi que les premiers animaux seraient nés de l’humidité, et que l’homme serait issu d’animaux ayant abordé le rivage.

La justice universelle

Enfin Anaximandre propose, dans le seul extrait qui nous soit parvenu de son ouvrage « De la Nature » – premier d’une impressionnante série d’ouvrages homonymes dans toute l’Antiquité – une étonnante et belle conception d’une justice universelle : « Ce dont provient pour toutes choses leur naissance, leur mort aussi survenant les y ramène, par nécessité. Car elles se rendent mutuellement justice et se paient compensation pour les dommages, selon l’ordre du Temps

Il est intéressant de trouver chez ce penseur, par cette idée de justice cosmique, la position d’un ordre de la nature qui s’abstrait totalement des intérêts humains : ce n’est pas une harmonie de l’Univers autour de l’homme, c’est une harmonie coextensive à l’Être. C’est comme dire que le principe premier – l’Apeiron – a une dimension spirituelle : il est Intelligence.

Cette idée de justice universelle ne pourrait-elle pas nous offrir un recul bienvenu pour penser les ravages que fait subir à sa planète l’activisme actuel de l’homme ?

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