Labelle Antoine
D'intelligence précoce, Antoine Labelle fut envoyé au séminaire de Sainte-Thérèse où il fit ses études classiques. Il enseigna ensuite pendant trois ans avant d'entrer au séminaire de Montréal. Ordonné à 22 ans, il exerça les charges de vicaire, puis de curé dans plusieurs paroisses: Saint-Jacques-de-Laprairie, Saint-Antoine-Abbé-de-Huntingdon, Saint-Bernard-de-Lacolle et finalement Saint-Jérôme-de-Terrebonne où il devait demeurer jusqu'à sa mort
Son grand oeuvre fut de donner un nouveau souffle au mouvement de colonisation des terres du Nord. Ce projet s'inscrivait dans la lutte contre l'exode des canadiens-français vers les État-Unis, ainsi que dans le désir de maintenir une présence catholique dans au Nord-ouest de la province. Grâce à son appui, 5000 colons s'établiront dans les Laurentides et la vallée de l'Outaouais.
Il fut un des défenseurs passionnés du projet de voie ferrée transcanadienne qui deviendra le Canadien Pacifique.
En mai 1888, il devient sous-ministre de l'agriculture et de la colonisation sous la gouvernance de Honoré Mercier.
Anecdotes
«Le zèle de ce digne curé, doublé d'un excellent colonisateur, alla si loin que son supérieur hiérarchique crut devoir lui rappeler, un jour, dans l'espoir de tempérer son ardeur, que les voies du Seigneur ne sont pas des voies ferrées! », rapporte un journaliste qui raconte d'autres anectotes:
«L'infatigable ardeur du Père Labelle lui permettait de mener en même temps à bonne fin vingt entreprises difficiles. C'est ainsi qu'on l'a vu faire construire dans sa paroisse un très beau collège, entreprendre la fondation de la succursale de l'université Laval à Montréal, créer dans notre ville la Loterie Nationale dont les revenus étaient destinés à l'oeuvre de la colonisation, préparer, après l'incident Guibord, le projet de loi qui devait concilier les idées de l'Église et celles de l'État sur la question des cimetières et encourager l'érection des hauts fourneaux dans cette partie de la contrée qu'il avait prise sous sa protection, qui est si riche en dépôts de minerai.
Pendant un hiver rigoureux, ayant été informé qu'un grand nombre de familles de notre ville n'avait pas les moyens de s'acheter du bois, le curé Labelle s'adressa en termes émus à ses paroissiens; il les convertit à ses propres sentiments en leur soufflant l'esprit de charité, et l'on vit un jour le curé arriver à Montréal suivi d'une longue file de traîneaux chargés de bois qu'il distribua lui-même aux plus nécessiteux, au milieu des manifestations attendries de la foule. (lire Le cadeau de jour de l'an du Curé Labelle, L'opinion publique, 1872)
Pendant que la charité du Père Labelle se déployait sous tant de formes aimables, cet homme éminent apportait une négligence extrême aux soins de ses propres intérêts, à son confort même.
On raconte à ce sujet qu'alors qu'il était déjà sous-ministre, un brave homme de protestant qui demeure à Québec, choqué dans ses idées de convenance officielle, à la vue de la soutane rapée du fonctionnaire, lui fit présent de $ 30 pour acheter une soutane neuve. Le curé était d'un caractère trop noblement fier pour s'offusquer de cette offre pécuniaire. Il accepta cet argent avec toute la simplicité d'un grand chrétien; seulement, il le distribua aux pauvres et il continua à porter sa vieille soutane.» (L'écho des Deux-Montagnes, 15 janvier 1891, article entier)
Jugements et propos
2005: JACQUES BEAUCHEMIN (directeur, département de sociologie de l'UQÀM)
«Le projet du curé Labelle participe et alimente à la fois ce qu'il y a de plus profond dans la conscience historique francophone. Au-delà du plan qu'elle propose, l'utopie labellienne énonce de la manière la plus juste et la plus touchante le destin canadien-français et plus tard québécois. Elle dit les espoirs qu'il continue de porter jusqu'à aujourd'hui et recense les obstacles qui se dressent devant lui.
(...) Si l'on peut dire de Labelle qu'il a été un passeur, c'est dans ce sens très précis où ce qu'il a transmis, répercuté et amplifié, c'est le sentiment enfoui dans la conscience historique québécoise d'un destin singulier en Amérique et de la fragilité qui en découle. Mais ce sentiment est aussi traversé, à l'exact opposé, de l'étrange certitude que cette aventure mérite d'être continuée, qu'elle a quelque chose à apporter au monde et qu'il faut en conséquence penser grand.
Cela ne fait pas pour autant du curé Labelle un quelconque prophète de la Révolution tranquille dans son presbytère de Saint-Jérôme en 1870. Mais cela fait de lui l'un de ceux qui ont exprimé dans les rêves qu'ils entretenaient pour les leurs une certaine façon québécoise d'être au monde : l'expérience de la précarité, qui est aussi celle de toutes les nations minoritaires, mais aussi le désir de durer et de faire advenir les promesses de notre histoire. »
Source: Antoine Labelle et le pays à faire (dernier d'une série de dix article intitulée Dix utopies qui ont forgé le Québec), publié dans le Devoir, 29 août 2005
1890: GEORGE KAISER, journaliste
« Mgr Labelle me reçoit dans une grande chambre qui lui sert à la fois de chambre à coucher, de salle de réception et de cabinet de travail. Immédiatement je reconnais que les portraits qu’on m’a faits de lui n’ont rien d’exagéré. Il est grand et fort, haut en couleur, d’une rondeur et d’une impétuosité d’allure qui, tout d’abord, séduisent.
Dans la conversation, il procède par phrases courtes, heurtées, incisives, entrecoupées à chaque instant d’un Bon! qu’il prononce d’une voix retentissante et qui résonne en coup de gong, Ces Bon! marquent les points de repère. C’est un coin d’exposition, un fragment de conversation qui est terminé, un côté de la question qui est évoqué. Et, tout aussitôt, Mgr Labelle dresse un autre décor, découpe en relief un nouvel argument.
Il y a dans cette conversation d’apparence un peu décousue une logique admirable, et quand les éléments du discours sont exposés et qu’en quelques phrases l’orateur en a déterminé l’agencement et fait l’assemblage, on demeure saisi de la vive lumière qui se fait dans l’esprit et de la puissance de démonstration que possède le curé Labelle.»
Source: article du Journal de Bruxelles daté du 9 février 1890 (cité par la Société d'histoire de la Rivière-du-Nord)
1889: PIERRE DE COUBERTIN
«Mais Coubertin déplore l'absence du ministre de l'agriculture à cette rencontre: «Je le vis plus tard à Paris, commente-t-il. C'est le fameux curé Labelle, créé monsignor par le Saint-Siège, ce qui ne l'a nullement métamorphosé. Son zèle dévorant ne s'est pas ralenti, son solide bon sens n'a pas été entamé, sa pipe ne s'est pas refroidie et il a gardé sa cravate rouge et sa redingote noire. Quant à son langage, il participe du corps de garde plus que de la sacristie. Mais qui oserait dire que la pipe, la cravate rouge et les grosses plaisanteries du curé Labelle diminuent le respect qu'on lui porte et l'affection dont on l'honore ?»
Source: Luc Bureau, Pays et Mensonges Le Québec sous la plume d’écrivains et de penseurs étrangers, Montréal, Boréal, 1999, p.156-157