Sur les dérives de la pensée
La plupart des écrivains qui tentent de penser sur ou à la place de leurs semblables, sont guettés, à mesure qu’ils avancent en âge el en sagesse, par deux dérives (qui peuvent d’ailleurs confluer), la momification des attitudes mentales. qui n’épargne pas même les plus grands (« La pire critique contre Aristote est encore celle-ci : qu’il était définitivement Aristote (2), dit malicieusement Michaux), et « l’érosion des contours » (l’expression est de Gide) qui, l’expérience des vertus et des turpitudes humaines conduisant plus fréquemment qu’on ne le croit à l’universelle bienveillance, finit par donner raison à la formule définitive de Pierre Dac: « Tout est dans tout, et réciproquement. » La première dérive caractérise tous les esprits théoriques, qui se fossilisent en dogmatiques, la seconde beaucoup trop d’humanistes sincères, qui s’affaissent en indulgents professionnels.
(2) Dans « Enfants », un texte de 1938, paru initialement dans Verve, repris dans le recueil Passages (Gallimard, collection « Le point du jour », 1950, p. 51 et suivantes).
Source : Maurice Mourier. Recension de l’ouvrage de Jean-Marie Domenach, Une morale sans moralisme (Flammarion, 1992), Esprit, décembre 1992, p. 72.