Représentations de La Flûte enchantée à Paris en 1829
L'écho de Paris
15 mai 1829
Freischütz
Cinquante artistes dramatiques, ayant à leur tête le directeur du théâtre d'Aix la Chapelle, font, à leurs risques et périls, un long voyage pour venir offrir à Paris un échantillon de l'opéra allemand et de l'exécution germanique. Quelque succès que puissent attendre ces artistes, il est à peu près démontré que le voyage ne peut être pour eux une spéculation bien avantageuse. Leur tentative, toute dans notre intérêt, mérite donc au moins nos encouragements et nos louanges. […]
L'écho de Paris
22 mai 1829
[...]
Hier la Flûte enchantée (Die Zauber Floete) de Mozart, a eu un succès égal à celui der Freyschutz, et Mme Greis, qui débutait, a partagé les bravos que ses autres compatriotes ont continué à mériter.
E.R.
L’écho de Paris
31 mai 1829
Fidelio. Le succès du Fidelio de Beethoven est loin d'avoir égalé ceux du Zauber Floete et du F reischutz. [...] Quoi qu'il en soit, on doit des remerciemens au directeur de nous avoir fait passer ainsi en revue quelques uns des chefs-d'œuvres du théâtre allemand, et il est à croire que si l'année prochaine, cette troupe formée à la hâte qui est venue, pour ainsi dire, impromptu essayer ses forces au théâtre Favart, se recrute de quelques bons chanteurs qui lui manquent, elle continuera à mériter les suffrages de tous les amateurs de la bonne musique et attirera la foule aussi longtemps que les Italiens ne se feront point entendre.
Nouveau journal de Paris
22 mai 1829
THEATRE ALLEMAND
Nous nous contenterons pour ce soir de constater le nouveau succès de la troupe allemande dans la Flûte enchantée de Mozart. La délicieuse musique de cet opéra, dont le poëme est quelque peu bizarre, a enlevé tous les suffrages. Haitzinger a chanté d'une manière ravissante ; au quatrième acte, le parterre, dans son enthousiasme, a redemandé un grand air dans lequel cet artiste avait déployé une rare puissance de moyens jointe à une grande souplesse dans la voix.
Haitzinger n'a point hésité un seul instant à se rendre aux désirs du public. Ce da capo a été pour lui un véritable tour de force, car il a chanté avec plus de fraîcheur et plus de pureté peut-être que la première fois. Les honneurs de la soirée ont tous été pour lui. Mme Fischer avait un rôle extrêmement difficile : il nous a semblé que si le parterre avait eu égard à cette circonstance, il eût été moins sévère.
Mlle Greis, qui débutait par le rôle de Pamina, est constamment restée dans une honnête médiocrité : nous aimons à en accuser son excessive modestie ; elle devait nécessairement se trouver intimidée en présence d°un public nouveau pour elle. Wieser, excellent comique, a fait rire dans le rôle de Papageno : malheureusement sa partie était beaucoup trop basse pour sa voix, qui est celle d'un ténor. Somme toute, beaucoup de monde, beaucoup d'applaudissemens pour Haitzinger et un peu de froideur dans l'ensemble de la représentation.
Nouveau journal de Paris
25 mai 1829
THEATRE ALLEMAND
La deuxième représentation de la Zauber Floete a eu lieu hier, et, comme aux jours précédens, la salle était comble. Mlle Greis, qui jeudi dernier avait été gênée dans l'exercice de ses moyens par une timidité bien naturelle, a pris sa revanche, et nous aimons à constater le succès qu'elle a obtenu dans cette seconde épreuve. La voix de cette cantatrice est souple, mais peu étendue. On pourrait bien lui reprocher de ne pas attaquer en général les cordes élevées avec assez de vigueur: mais on doit lui savoir d'autant plus gré d'avoir essayé de triompher des difficultés du rôle qui lui était confié, que la prima dona, Mme Fischer, découragée hier dès son premier air par la froideur avec laquelle le public l'avait écoutée, a renoncé à son grand air du troisième acte. Des coupures fort importantes ont également eu lieu dans le reste de l'opéra, et il est à présumer que les comédiens allemands n'en risqueront pas une troisième représentation.
La musique de Mozart, si belle de simplicité, présente parfois des difficultés d'exécution peu communes, et la Zauber Floete, par exemple, abonde en traits qui font le désespoir des chanteurs. Ajoutez à cela la bizarrerie du poëme, et vous aurez l'explication du peu de succès que cet opéra a obtenu aux deux représentations qu'on nous en a donné. On annonce Fidelio et la Famille suisse ; ces deux chefs-d'œuvre n'auront nécessairement que peu de réprésentations, puisque le 9 juin, toute la troupe allemande sera déjà sur la route d'Aix-la-Chapelle.
Corsaire
22 mai 1829
[Dans sa rubrique « Butin » où le journaliste consigne des nouvelles brèves et parfois humoristiques, il note :]
La première représentation de la Flûte enchantée (die Zauber floete) avait attiré à la salle Favart les vrais amateurs de musique. Mlle Greis, qui paraissait pour la première fois, n'a obtenu et mérité que peu d'applaudissements. Ses moyens sont faibles comme cantatrice et comme actrice. Mlle Fischer était chargée d'un rôle secondaire. Haitzinger a eu les honneurs de la soirée, on lui a redemandé un air du 4e acte. L'heure avancée ne nous permet pas de plus longs détails. Nous donnerons demain l'analyse de cette œuvre de Mozart, que les musiciens de toutes les nations placent à la tête des compositeurs dramatiques.
Corsaire
23 mai 1829
THEATRE ALLEMAND
Première représentation de la Flûte enchantée (DIE ZAUBER FLOETE), grand opéra en quatre actes, musique de Mozart. Le Genre. - Le Public. - Les Acteurs.
Les Allemands et les Italiens ne voient dans un opéra qu'un concert, avec la pompe du spectacle et des décors. Nous voulons au contraire y trouver un drame musical et des situations favorables aux développemens de la partition, nous voulons un poème, des scènes, une intrigue. Qu'est-il arrivé ? L'Italie et l'Allemagne ont eu avant nous de beaux et nombreux opéras, et nous n'avions encore que la comédie à ariettes. Par une inconcevable fatalité, lorsque notre littérature théâtrale cherche à s'affranchir, aux dépens même de la vérité et du goût, des barrières les plus légitimes : nous n'avons pas encore voulu admettre le libretto, et je ne peux m'empêcher de sourire, en voyant les efforts de nos confrères pour donner au public parisien l'analyse d'un opéra italien, tel que la Semiramide, ou Tebaldo ed Isolina, analyses de tous points insaisissables par le plan même et la contexture de l'œuvre. Le public français ne peut être content que lorsque les jouissances de l'esprit se joignent à celle des sens ; cette exigeance est telle, que nos jeunes compositeurs reculent d'effroi devant les chances d'une représentation lyrique où la plus magnifique partition fait à peine oublier les défauts de la pièce.
Ces réflexions me conduisent naturellement à la Flûte enchantée, dont bien certainement je ne domerai pas l'analyse. Je me contenterai de dire au lecteur que le prince Tamino aime la prince Pamina, laquelle est fille de la reine de la nuit ; que cette princesse est au pouvoir d'un certain Sarastro, dont la profession m'est inconnue ; elle est gardée à vue par le nègre Monostatos. Tamino, pour obtenir son amante, doit être initié aux mystères d'Isis et subir de longues épreuves. Il vient à bout de tout, aidé par une flûte enchantée dont trois dames de la nuit lui ont fait cadeau ; il est accompagné par le joyeux oiseleur Papagena, personnage emplumé, bon vivant, véritable lustig, porteur d'une clochette enchantée, au moyen de laquelle il se procure une charmante Papagena. Tel est le canevas des quatre grands actes. Cette fable incohérente a fourni à Mozart le prétexte d'une de ses plus belles compositions.
Pour bien juger les chanteurs étrangers lorsqu'ils se présentent en même temps comme acteurs, il faudrait incontestablement connaître leur langue, mais à défaut de ce secours, il faudrait au moins être assez familiarisé avec leurs habitudes, leurs allures, si j'ose lui exprimer ainsi, pour bien saisir leurs intentions. Dans tout, il y a de la nationalité. J’ai vu des opéras italiens représentés par des Français, par des Allemands, par des Italiens. C'étaient les mêmes faits, les mêmes costumes, la même musique, les mêmes décors, la même scène, et cependant ces trois représentations ne se ressemblaient pas. S'il fallait un exemple à l'appui de cette assertion, je citerais la première représentation du Freischütz par la troupe allemande qui est maintenant à Paris. Le public de Favart n'a pas compris la belle pantomime du Chasseur noir qui préside à toute l'action. Il n'a pas compris les mouvemens sataniques qui accompagnent la chanson que Gaspard chante en buvant. Comment aurait-on pu savoir que ces gestes et cette danse soit familiers aux paysans allemands, et que Gaspard en exagère seulement les formes, parce qu'il est dans un état d'excitation infemale. La conjuration a paru longue, les pierres ont été trouvées ridicules, parce que tous ces détails des traditions du Nord sont incomus aux habitués du boulevard de Gand. La couronne de la fiancée qui se change en une couronne de mort, Todkrantz, est restée une énigme ; il n'en pouvait être autrement pour quiconque ne connaît pas les usages allemands.
Quant à la musique, la vivacité avec laquelle les chœurs ont été chantés, a fort heureusement sauvé l'étrangeté de certains effets ; le choeur des chasseurs a perdu dans l'exécution de sa physionomie nationale ; les chanteurs allemands en ont ri tout bas ; mais que faire ? La première fois ils le chantèrent à leur manière ; on ne les comprit pas.
La scène comporte en Allemagne une très-grande liberté, et on y trouve une teinte de la bonhommie germanique ; il a fallu se façonner au décorum français. Le parterre parisien a été trop pudibond pour souffrir certaines libertés auxquelles ces bons Allemands étaient bien loin d'entendre malice. Les acteurs n'ont plus osé remercier le public de ses témoignages d'approbation ; de sorte que ces représentations, déjà privées d'une partie de leurs moyens de spectacle et d'exécution, ont encore perdu beaucoup de la couleur locale, un de leurs plus puissans attraits. Le public n'a gagné à tout cela que quelques coupures réclamées par le bon goût.
La Flûte enchantée fut composée par Mozart, pour le théâtre impérial de Vienne ; cet opéra demande un immense spectacle, et il n'a trouvé à Favart qu'une mesquine représentation. On n'a pas vu apparaître cette magniñcence de décorations, cette pompe de chœurs, ces effets magiques, et sur-tout ces masses d°harmonie qui ont élevé si haut la réputation de la Flûte enchantée. Il y aurait une injuste sévérité à juger cet œuvre sur ce qu'elle a été jeudi au théâtre de Paris. La partition de Mozart semblait souffrir de cette gêne, et j'avoue que bien qu'elle me soit familière, je ne l'ai que faiblement retrouvée. L'ouverture, cependant, a été parfaitement exécutée. Toute la partie de flûte, si mélodieuse, si touchante, et réellement enchanteresse, a été, à mon avis, telle que je l'ai entendue aux plus beaux jours. Je n'en dirai pas autant de la partie d'harmonica, si délicieuse, et pour laquelle l'exécutant m'a paru manquer d'habitude ; peut-être n'est-ce que l'effet du peu de connaissance de la salle dans laquelle il jouait ; mais je pense qu'il ferait bien de chercher à obtenir des sons plus distincts. Mme Greis est trop faible pour aborder le rôle de Pamina ; il irait mieux à Mme Fischer, mal placée dans celui de la reine de la nuit, quoiqu'elle ait passablement chanté son air du troisième acte, très-élevé et très-difficile. Haitzinger a continué à développer la belle étendue de sa voix ; son air du quatrième acte a eu les honneurs du bis, et il l'a mieux chanté la seconde fois. Ce ténor doit chercher cependant à acquérir une méthode plus souple. Wieser conçoit mieux le jeu de la partie mimique du rôle de Papageno, que la partie musicale. Sa voix est bien loin de la netteté et de la force nécessaire pour chanter cette musique large et ouverte ; Galli est un de ceux qui disaient le mieux cette partie, et dans la vaste salle de la Scala, à Milan, il faisait admirablement retentir ce chant joyeux et cadencé. Mühling n'avait qu°un air; il l'a fort médiocrement chanté. Les chœurs n'étaient que l'ombre de ceux qui doivent concourir à cette exécution, telle que l'a écrite Mozart. La mise en scène m'a paru insuffisante, j'étais poursuivi par de grands souvenirs.
Dans l'intérêt des plaisirs du public, il faut faire subir à la Flûte enchantée de nombreuses coupures; dépourvu de son spectacle, cet opéra est froid et traînant.
L'orchestre des italiens est digne des plus grands éloges. Nous avons surtout remarqué dans le Freischütz, la manière savante dont sont exécutées les belles parties de violoncelle qui abondent dans cette partition ; on nous promet la quatrième représentation de cet opéra. Les Allemands, s'ils le peuvent, devraient monter Don-Juan, le Mariage de Figaro, et la Famille suisse.
Le mouvement littéraire gagnera quelque chose à cette étude de la scène étrangère. Le théâtre où l'on chante Mozart répétera peut-être bientôt les vers de Schiller. Et nos romantiques seront alors convaincus de leur ignorance et de leur fausseté d”imitation.
Corsaire 24 mai 1829
Butin
S. A. R. Madame, duchesse de Berry, assistait hier à la deuxième représentation de la Flûte enchantée. Les chanteurs allemands, dociles aux conseils de la Critique, ont déjà fait quelques coupures à ce long opéra. Mardi ils joueront pour la quatrième fois les Freischütz. Ils feront bien de mettre à profit les sept représentations qui leur restent, pour nous faire connaître d'autres partitions.
Journal des comédiens 21 mai 1829
[...] Il paraît que l'on ne donnera pas le Don Juan, et qu'après la Flûte magique que l'on joue ce soir pour le début de Mlle Gleiss, nous aurons l'Enlèvement du sérail.
Journal des comédiens
24 mai 1829
Quoique la Flûte magique ait été connue depuis longtemps en France par l'imitation des Mystères d’Isis, quoique l'admirable musique de Mozart soit moins appréciée parmi nous depuis que M. Rossini est venu révolutionner notre école, il y avait beaucoup de monde aux deux représentations données jeudi et hier au théâtre Allemand. Mademoiselle Gleiss, qui débutait par le rôle de Pamina, est une jeune et jolie personne qui, nous assure-t-on, est aimée en Allemagne. Elle éprouvait une vive émotion, mais cependant elle a été fréquemment applaudie. Sous les traits de Pamino, M. Haitzinger a obtenu de nouveau tous les honneurs de la soirée. Au troisième acte, on lui a redemandé un air de l'Enlèvement du Sérail qui se trouve intercalé dans la Flûte magique, et il l'a chanté de nouveau avec un goût parfait. Depuis l'ouverture, il n'y a pas de soirée où M. Haitzinger ait donné de pareilles preuves de complaisance. Ce jeune ténor est attaché, nous ont dit quelques personnes, au théâtre de Carlsruhe, et c'est avec la permission particulière de son souverain qu'il est venu se faire entendre à Paris, où l'a accompagné son épouse, qui, comme comédienne, jouit d'une grande réputation dans sa patrie. Pour les grâces de la figure et le talent, ont ajouté les Allemands que nous consultions, Mme Haitzinger peut rappeler Mlle Mars. On pense que dans l'une des demières représentations de la troupe allemande, le parterre français pourrait fort bien être appelé à juger jusqu'à quel point cette double ressemblance peut exister. Les chœurs de la Flûte magique ont été aussi goûtés que ceux de Freichutz, opéra que l'on redonnera encore. Le bruit même s'est répandu aux balcons du théâtre étranger que Mlle Sontag pourrait bien y remplir une fois le rôle d'Agathe. - La représentation d'hier, qui a été très-brillante, a été donnée par ordre.
Globe 23 mai 1829
THEATRE ALLEMAND
La Flûte enchantée, de Mozart, a obtenu un plein succès. Nous reviendrons sur cette représentation et sur le début de mademoiselle Greiss. Le tenor Haitzinger ne s'est pas moins distingué dans ce nouvel opéra que dans le Freyschütz.
Décidément les chanteurs allemands ont la vogue ; la salle peut à peine contenir le nombre des curieux ; les recettes s'élèvent chaque jour de sept à huit mille francs. Il faut féliciter nos dilettanti, ils font des progrès remarquables d'impartialité et de goût. Des éloges sont dus aussi à l’administration du Théâtre-Italien, qui fait preuve en cette circonstance de beaucoup plus d'activité qu'elle n'en montre ordinairement. On ne s'aperçoit pas de l'absence du directeur et de ses principaux employés ; tout au contraire. C'est M. Poirson, administrateur provisoire, qui préside à la mise en scène et à la direction du théâtre : il y fait preuve de beaucoup d'intelligence pour cette sorte de surveillance. Nous souhaiterions qu’à l'automne prochain on pût retrouver, dans les représentations italiennes, cet ordre et cette prévoyance que nous nous plaisons à signaler pendant cet inter-règne germanique.
ICI
Globe 6 juin 1829
THEATRE ALLEMAND
C'est mardi prochain irrévocablement que la troupe allemande fait ses adieux au public parisien: le directeur, qui ne s'était sans doute pas flatté de trouver panni nous des auditeurs si favorables, avait pris d'avance des engagements qu'il ne peut rompre. Il nous faut donc attendre à l'année prochaine pour achever notre cours de musique allemande. On nous promet une troupe plus complète et un répertoire plus varié. Des trois opéras qui nous ont été donnés, le Freyschütz est celui qu'on a le plus goûté : beaucoup de raisons ont déterminé cette préférence. La musique du Freischütz était comme à Paris : le public n'avait pas besoin d'effort pour la comprendre ; ensuite elle est franchement germanique ; son originalité frappe les ignorants comme les connaisseurs ; enfin, sans parler de sa mise en scène et des décorations qui sont faites avec soin, les chanteurs semblent aussi avoir de la prédilection pour cet opéra ; ils l'exécutent avec beaucoup d'énergie et de précision. Dans le Fidelio, au contraire, et surtout dans la Flûte enchantée, les oreilles délicates ont eu souvent à souffrir : les voix de femmes, dans les solos aussi bien que dans les chœurs, ont plus d'une fois outragé l'harmonie. Ajoutons que la musique de la Flûte enchantée, quoique pétillante d°esprit et de grâce, n'a pas toujours des proportions assez larges, assez développées pour produire grand effet àla scène.
[...]
L'Universel 24 mai 1829
THEATRE ALLEMAND
SALLE DU THEATRE ROYAL ITALIEN. Première représentation de Die Zauber-Floete (la Flûte enchantée), musique de Mozart. - Début de Mlle Greiss.
De tous les chefs-d'œuvre créés par le génie de Mozart et mutilés par les ciseaux de nos arrangeurs, aucun n'avait été plus étrangement défiguré que la Zauber-Floete, et c'était le seul qui jusqu'à présent n°eût pas été rendu, dans la forme primitive, aux vœux et à l'admiration des amateurs. Aussi l'affiche qui promettait cet opéra avait-elle mis de bonne heure en mouvement tous les dilettanti de la capitale. La première représentation de la véritable Flûte enchantée avait, pour le public en général, l'attrait et le piquant de la nouveauté ; pour les fidèles sectateurs de Mozart, elle avait de plus l'intérêt d'une cérémonie expiatoire.
La réparation a-t-elle été complète ? La troupe allemande a-t-elle mérité autant d'applaudissements dans la Zauber-Floete qu'elle en avait obtenus dans le Freyschütz ? A part toute comparaison entre les deux auteurs et les deux ouvrages, l'exécution du premier a-t-elle été aussi satisfaisante, a-t-elle produit un effet aussi vif, aussi complet que celle de l'autre ? C’est malheureusement ce qu'il nous est impossible d'affinner. Pendant la plus grandepartie de la représentation qui nous occupe, le public est -demeuré froid endépit de tous les efforts qu'il faisait lui-même pour se réchauffer. A qui lafaute ? je vais essayer de le dire.Il faut commencer par mettre hors de cause l'auteur du poème. Considérée sous le rapport du drame, la Flûte enchantée, malgré les absurdités dont elle fourmille, est un chef-d'œuvre de clarté et de conduite à côté des Mystères d'Isis, et puis s'il est un point bien arrêté panni les spectateurs de la salle Favart, c'est que l'extravagance du libretto n'enlève rien au channe de la musique. Quelques-uns vont même jusqu°à prétendre que le compositeur déployerait moins de génie s'il prenait fantaisie au poète de montrer plus de raison. Cela, du reste, pouvait être plus vrai autrefois qu'aujourd'hui où les poëmes moins absurdes sur lesquels Rossini s'est exercé, n'ont pas été complètement étrangers au grand succès de plusieurs de ses ouvrages. La musique de Mozart a quelque chose de sévère et de chaste comme les statues antiques. Cet homme puissant a dédaigné ces traits de convention, ces notes brillantes que la plupart des compositeurs placent maintenant àla fm des morceaux pour avertir les auditeurs qu'il est temps d'app1audir. Mozart n'a pas besoin de cette coquetterie des demières mesures. C'est par l'ensemble qu°il frappe et qu°il plaît, et c'est là, en même temps, ce qui rend ses compositions si difficiles à exécuter. Dans l'exécution des partitions de Mozart, un chanteur, quel que soit son mérite, de quelque faveur qu'il jouisse auprès du public, ne peut jamais se tenir assuré des applaudissements. La moindre faute glacera l°enthousiasme qui s'emparait déja de la salle, et retiendra les bravos prêts à éclater. Une seule note douteuse ou faible est mortelle dans un air de Mozart. Il n'y a point de compensation possible. La roulade d'apparat, le fioriture du charlatanisme, ou de la médiocrité, ne peuvent trouver place au milieu de la continuelle simplicité de l'expression et de la vérité.
A l'exception de Mlle Greiss, tous les acteurs qui figurent dans la Zauber-Floete, ceux du moins qui remplissent les principaux rôles, avaient paru dans le Freyschutz. Mlle Greiss, la débutante se présente bien sur la scène ; elle était chargée du rôle de Pamina. Sa voix ne manque ni d'étendue, ni de fraîcheur; mais la vérité me force de dire qu'elle a manqué presque toujours de justesse. C'est une revanche à prendre ; je dis, une revanche complète. J'espère qu'elle la prendra ; je l'espère autant que je le désire ; il faut bien, en effet, lui tenir compte du trouble inséparable d'un premier début devant le public difficile et imposant de Paris. Mme Fischer, si gracieuse et si touchante dans l'Agathe du Freyschutz n'a pas tout-à-fait répondu à ce qu'on pouvait attendre d'elle. Il est vrai que les deux airs dont se compose le rôle de la Reine de la nuit offrent des difficultés sans nombre, des notes d'une élévation presque inabordable, et qu'à tout prendre, les moyens physiques ont manqué à la cantatrice plutôt que le talent. Wieser était chargé de la partie comique de la pièce. Il a représenté Papageno avec une gaîté franche et de bon goût. Mais le rôle n'est point écrit pour sa voix, qui d'ailleurs ne renferme aucune qualité remarquable. Reise-Zarastro a chanté convenablement, et les chœurs ont été, comme de coutume, admirables de précision, de vigueur et d'ensemble. Je regrette de n'en pouvoir dire autant de l'orchestre qui semble prendre à tàche de compromettre une réputation consacrée par tant d'années de succès.
Je n'ai point encore parlé du ténor Haitzinger. Il a confirmé dans cette nouvelle épreuve, les éloges qu'il avait déja mérités de notre part dans le Freyschutz. Sa réputation, à lui, est à peine commencée. On dit qu'il est peu connu en Allemagne. Son talent n'avait pas eu jusqu'ici l'occasion de paraître au grand jour. Il est, à notre égard, dans la même position que miss Smithson quand elle est arrivée au milieu de nous, et on sait ce qui est advenu. Le succès que vient d'obtenir Haitzinger à Paris marque désormais sa place au premier rang. La manière dont il a chanté le rôle de Tamino a enlevé tous les suffrages. Le public enthousiasmé lui a redemandé l'airdu troisième acte, et il l’a recommencé sur-le-champ sans la moindre apparence d'hésitation ou de fatigue, avec une voix aussi pure, aussi fraîche, aussi sonore que dans le premier acte de l'opéra.
Àlentor 20 mai 1829
[Article sur le Théâtre Allemand]
[…] Nous attendons avec impatience le début de Mlle Greis dans la Flûte magique, musique de Mozart, et nous espérons que la présence de cette cantatrice qui, dit-on, jouit d'une très-grande réputation, révèlera au public un talent de plus à applaudir, et àla troupe allemande un bon sujet à conserver.
Alentor 23 mai 1829
THEATRE ALLEMAND
SALLE DU THEATRE ROYAL ITALIEN. Première représentation de Die Zauberflœte . - Début de Mlle Greis.
Sur les douze représentations que doivent donner les comédiens allemands, quatre ont été déjà offertes au public, et la salle n'a jamais pu contenir tous les dilettanti avides d'entendre de belles voix se marier aux accords d'une musique ravissante. Jeudi dernier, la Flûte enchantée, grand opéra en 4 actes, de Mozard, a été exécuté dans toute sa pureté originelle devant une société nombreuse et choisie qui se fit un devoir de payer à la mémoire de ce grand maître un juste tribut d'applaudissemens multipliés. C'est dans cette savante composition lyrique que Mlle Greis a débuté par le rôle de Pamina. Les éloges donnés d'avance à cette cantatrice, dont le talent, disait-on, surpassait de beaucoup celui de Mme Fischer, avaient favorablement disposé le public. Malheureusement rien n'a justifié cette annonce pompeuse, et dès les deux premiers actes, l’exagération de ces éloges fut patente. Cette cantatrice dont le physique est assez agréable, est d'une telle médiocrité que l'emploi de prima donna lui est peut-être pour toujours interdit. Sa voix grêle, fausse, sans fraicheur, sans éclat ni énergie, se traîne péniblement en glapissant et déchire les oreilles, autant dans les notes basses que dans l'alto. L'indulgence du public fut extrême ; on ne la concevrait même pas si, en comptant d'abord pour quelque chose les devoirs dûs à l'hospitalité, on ne songeait aux efforts des talens distingués de la troupe qui rivalisèrent à qui ferait oublier la mésaventure de Mlle Greis. A M. Haitzinger-Tamino, en enfant chéri du parterre, a été couvert d'applaudissemens ; cet artiste déploie chaque jour une puissance de moyens qui lui assigne une place distinguée panni les meilleurs chanteurs ultramontains qui se sont fait entendre jusqu'à présent à Paris. Au quatrième acte il a enthousiasmé l'auditoire, un grand air chanté par lui d'une manière ravissante lui a valu les honneurs du bis. C'était un tour de force ; M. Haitzinger s'en est habilement tiré. Mme Fischer-Reine de la nuit, remplissant un rôle très-difficile, a fort bien exécuté plusieurs morceaux de chant, mais nous le répétons, pour mériter les faveurs du parterre, il faut que cette cantatrice anime d'avantage sa physionomie, donne plus de chaleur à ses mouvemens et s'applique à devenir un peu comédienne.
Rièse-Sarastro mérite une mention honorable ; quant à Wieser, il y a du comique dans le jeu de cet acteur qui a égayé plus d'une fois l'auditoire dans le rôle de Papageno, mais sa voix est bien faible.
En résumé, chute complète pour la débutante, et succès certain pour Haitzinger; si on se décide à donner une seconde représentation de la Flûte enchantée, nous ne saurions assez répéter qu'il faut absolument faire disparaître beaucoup de longueurs ; les deux premiers actes marchent rapidement, qu'on les laisse tels qu'ils sont ; qu'on fasse des coupures dans le troisième, qu'on supprime les deux tiers du quatrième, surtout la scène insignifiante de la grotte, et on évitera au public une mortelle heure d'ennui.
Mentor 27 mai 1829
THEATRE ALLEMAND.
Nous comprenons sans peine qu'il est des égards impérieusement exigés par la qualité d'étranger, dont ne doit jamais s'écarter le joumaliste chargé d'enregistrer les succès et les chutes théâtrales. Nous nous sommes étudiés à mettre ce précepte en pratique, et nous ne pensons pas que les artistes allemands puissent élever la moindre plainte sur tout ce que nous avons écrit relativement aux représentations déjà données par eux sur le théâtre royal italien. Mais l'indulgence a des bomes et souvent la vérité a tant d'empire qu'on est forcé de parler quand il faudrait se taire pour ne point piquer au vif l'amour-propre de certaines personnes trop susceptibles. D'après ce, nous ne balançons pas à déclarer que la deuxième représentation de la Flûte enchantée a été non-seulement détestable, mais encore pitoyable... Il est impossible de se figurer le désappointement du public qui trouva un ennui mortel dans une soirée où il était fondé à espérer quelque plaisir.
Tout a été faussé ; l'orchestre ordinairement si parfait, a exécuté avec une impardonnable mollesse le chef-d'œuvre de Mozart ; les chœurs ont déchiré impitoyablement les oreilles ; tous les acteurs étaient glacés, la débutante a chanté dix fois plus faux que jeudi demier ; et pour combler la mesure, bien que Haitzinger se fût efforcé de conjurer l'orage, Mme Fischer, sur qui on comptait pour échauffer un peu le spectacle, a été d'une telle médiocrité que le public a été forcé de recourir à une froideur étudiée pour exprimer son mécontentement. On doit s°étonner d'un tel désappointement et l'étonnement redouble quand on réfléchit à l'ensemble encourageant qui a brillé durant la première représentation de cet opéra. Que s'est-il passé dans les coulisses ? nous ne savons ; mais que les comédiens allemands y prennent garde, le public parisien sait allier la sévérité à l’indulgence. Il a prodigué des éloges à des artistes ultramontains qui donnent les plus belles espérances, il a droit d'espérer que ces encouragemens porteront d'heureux fruits ; mais si son espoir est déçu, il ne tergiversera pas pour user de la plénitude de ses droits.
Ce langage bien que sévère est mérité, c'est l'impartialité qui nous guide ; nous voulons continuer à devenir l'écho fidèle du public.
Avant de terminer cet article nous représenterons que le nombre des représentations allemandes étant invariablement fixé, il nous semble qu'il serait plus à propos de traduire sur la scène parisienne, un certain nombre d'opéras, que de donner quatre fois le Freyschütz dont la musique est en quelque sorte populaire en France.
Album national 27 mai 1829
THEATRE ROYAL ITALIEN
Quatrième représentation des Chanteurs allemands, die Zauber F lôte (la Flûte Enchantée), de Mozart.
Il est probable que l'idée de composer un ouvrage sur des initiations mystérieuses fut inspirée à Mozart par les jongleries de Cagliostro, qui, sous le nom du grand Copte, avait célébré, à Paris, des mystères bizarres auxquels la mode et le caprice avaient donné beaucoup d'adeptes. La partition qui couvre de tant de richesses ce fond étrange et presque baroque, appartient aux quatre demiers mois de la vie du compositeur, comme la Clemenza di Tito et ce fameux Requiem, qu”il se plaignait en mourant d'avoir écrit pour ses propres funérailles.
Un jeune prince égyptien, Tamino, ne peut obtenir la main de Pamina, qu’il adore, que quand il sera sorti victorieux des plus terribles épreuves. Excité par l'amour et par la gloire, il se soumet à toutes celles qu'on lui impose, et reçoit, en épousant sa maîtresse, le prix d'un courage qui ne se dément point. Pour égayer ce sujet monotone, et pour former en même-temps un contraste avec Tamino, on s'est servi d'un pâtre égyptien nommé Papageno, aussi poltron que le prince est brave. Du reste, les situations du poème ne consistent guères qu'en cérémonies religieuses, en entrées de prêtres et de prêtresses, en processions inutiles. L'ensemble forme une espèce d'énigme dont le mot ne mérite pas même l'attention qu'on mettrait à le chercher.
Il est vraiment déplorable que le plus grand génie de l'Allemagne ait entrepris de féconder ce terrein ingrat et stérile, où son imagination avait tout à créér. Quelle différence avec le Don Juan, abondant en contrastes, en scènes dramatiques, en ressources de tout genre. Oserons-nous le dire, sans crainte d'être accusés de blasphême ? Il nous semble que tenter d'introduire, à l'aide de la musique, le feu de Prométhée, dans cette composition toute de glace, était une tâche au-dessus même de Mozart.
En 1801, fut donnée pour la première fois, sur le théâtre de l'Académie royale de Musique, une traduction de cet opéra, sous le titre des Mystères d'Isis. Mozart était alors presque inconnu parmi nous ; à peine avait-on entendu dans les concerts quelques airs détachés de ce grand maître. Ce qui redoublait la curiosité du public, c'est que la plupart des virtuoses, qui exécutaient les autres partitions à livre ouvert, pouvaient à peine déchiffrer celles de Mozart. Il était alors regardé comme un novateur, mais depuis il a bien vieilli.
Rien n'est plus contraire à nos habitudes actuelles, et ne distrait plus notre attention, que le grand nombre de ces morceaux courts dont est parsemée la Flûte enchantée. Des petits chœurs, des petits airs, se renouvellent à chaque instant. Nous cherchons vainement à saisir le dessin d`un morceau large et imposant. On ne saurait trop se persuader que l'excès de la variété même peut devenir une sorte de monotonie : il faut que l'esprit ait le temps de s'attacher à ce qu'on lui présente. Il faut, pour ainsi dire, que l'oreille puisse s'acclimater avec les intentions du compositeur. Notre appétit musical n'en est plus à l'ancien régime de peu et souvent. Nous soutenons sans impatience la durée d'un finale qui se prolonge pendant plus d”un quart-d°heure, d'un air, d'un duo qui embrasse plus de la moitié de ce temps. C'est même là que nous admirons le plus la force et l'éclat de l'imagination d'un artiste. Dans les arts comme dans la nature, ce qui frappe le plus, ce qui révèle la puissance d'une création, c°est le grandiose. Vingt étincelles ne valent pas un solitaire ; une suite de collines nantes ne produit sur nous qu'une impression éphémère. Les hautes montagnes de la Suisse nous jettent dans l'extase. Cependant, qu'on n'interprete pas mal notre pensée ; nous rendons un hommage plein et entier à la fraîcheur, à la suavité céleste de plusieurs airs, et entr'autres, à celui auquel Tamino entrelace les accords de sa flûte. Là, se déploie en effet tout l' enchantement du talent magique de Mozart, et Haïtzinger lui a conservé toute sa pureté et tout son éclat. Quand on pense qu'il y a sur les théâtres d°Allemagne vingt voix aussi pures, aussi belles que celle de ce ténor, et qu'à peine nous comptons en France deux ou trois chanteurs, pour ce genre de rôles, il faut avouer que le sentiment musical est bien inférieur chez nous à ce qu'il est chez nos voisins d”outre-Rhin.
Messager des Chambres 23 mai 1829
Théâtre Royal Italien. Première représentation de die Zauber Floëte (la Flûte enchantée)
La troupe allemande, qui nous avait donné le F reischütz s'est trompée hier si elle a cru opérer un Crescendo dans les plaisirs du public. Le grand nom de Mozart a subi l'humiliation de l'ennui, et chacun se rappelait dans la salle les belles partitions de Don Juan et des Noces de Figaro qui n'ont pas encore vieilli. Il serait difficile d'imaginer un poème plus absurde que la Flûte enchantée. A son intérêt négatif se joint la pâleur de cette musique surchargée de gothiques omemens, et dans laquelle ne brille qu'à intervalles éloignés le génie simple et profond du maître. Le beau chœur du quatrième acte a produit un grand effet. M. Haitzinger s'est surpassé dans deux morceaux : celui du troisième acte a été redemandé au bruit d'une triple salve d'applaudissemens.
Nous n'avons pas encore entendu un tenor qui développât une aussi belle voix de poitrine que cet artiste, dont M. Rubini pourra être jaloux dans quelques années. Mademoiselle Greiss, qui débutait hier, a de beaux moyens et un commencement de méthode ; elle a besoin de se livrer à de sérieuses études. Nous conseillons à l'administration du théâtre allemand, dans son intérêt et dans celui du public, de ne pas redonner la Flûte enchantée ; on attend avec impatience le Fidelio de Beethoven, et nos jouissances d'ailleurs sont pressées puisqu'elles doivent finir au 10 juin.
Figaro 25 mai 1829
Biganures.
Les représentations du théâtre allemand continuent à être brillantes. C'est qu'il y a dans ce spectacle autre chose que de l'étrangeté : dans la Flûte enchantée, le ténor Haitzinger a tout-à-fait établi sa réputation. Les chœurs sont toujours exécutés avec un ensemble et une vigueur inconcevables. Nous sommes loin d'adresser les mêmes éloges à l'orchestre, qui manque constamment d'énergie et de mordant. On nous promet pour demain mardi une quatrième représentation de der Freyschütz.
La Quotidienne 23 mai 1829
THEATRE ALLEMAND
DER FREYSCHUTZ. - DIE ZAUBER FLOTE.
C'est une idée heureuse, digne de reconnaissance et d'encouragement, que d'avoir appelé à Paris des chanteurs allemands pour y exécuter des compositions de leur pays ; il y a surtout dans la musique allemande, moins répandue, et si nous osons le dire, moins cosmopolite que l°italienne, une sève native, un goût de terroir que les plus habiles arrangeurs ne feront jamais passer dans leurs copies. Les sons et les articulations d'une langue, son génie, les mœurs du pays, les habitudes musicales des exécutans ne se traduisent point; ce sont cependant toutes choses qui modifient le génie des compositeurs, et déterminent le caractère et l'effet de la musique. Aussi, chaque pays a la sienne, et malgré l'anathême lancé contre notre langue et notre organisation par Rousseau, qui aurait lui-même assez mauvaise grâce à se présenter devant les amateurs d'aujourd'hui avec son Devin de village, nous ne voyons nulle raison pour ne pas nous mettre sur les rangs après l'Italie et l'Allemagne. Puisqu'on dit bien musique turque, pourquoi ne dirait-on pas musique française ? Les temps, d'ailleurs, sont bien changés ; si l'orgue de Barbarie et nos chanteurs des rues nous font encore frissonner; si nos cabarets ne retentissent pas, comme ceux d'Allemagne, d'accords qui captivent l'oreille, les formes sèches, dures et surannées qui dominaient parmi nos compositeurs, au temps où Rousseau écrivait, sont aujourd'hui abandonnées par eux ; sans être encore très-riches de leur propre fond, ils apprennent à le devenir en imitant. [...]
Le Freyschütz offrait un objet de comparaison d'autant plus piquant, que les représentations de Robin des Bois étaient plus récentes ; mais il n'avait pas subi, dans sa transformation, comme la Zauberflote de Mozart, des mutilations et des additions qu'à l'égard d'un tel homme et d'un tel ouvrage nous qualifierons, sans hésiter, de profanations ; les Mystères d'Isis sont un absurde pot-pourri dont plusieurs morceaux n'appartiennent point à l'ouvrage qu'on prétendait nous faire connaître, et d'autres sont intervertis de manière à sonner disparate avec les situations. Toutefois, il faut bien le dire, la représentation de l'ouvrage original n'a vengé Mozart qu'à demi; il y a eu embarras et langueur. On sait que Mozart, soit qu'il ait eu à sa disposition des voix extraordinaires, ou que son génie ne pût se resserrer dans les bomes des moyens humains, a des difficultés capables d'effrayer les plus intrépides chanteurs ; c'est surtout dans les rôles de femmes qu'elles se rencontrent ; D. Anna, dans D. Juan, en est un exemple ; mais D. Alma est éminemment dramatique, ses chants respirent la passion ; ceux de la Reine de la nuit et de Parnina, dans la Zauber F lote, n'offrent pas toujours cette compensation ; il faut remonter aux airs de bravoure de nos vieux opéras comiques, et aux airs, bien plus terribles encore, qu'on appelle d'expression, à notre grand opéra, pour trouver quelque chose de semblable ; c'est une inexplicable bizarrerie dans un ouvrage où se trouvent, d'un autre côté, des beautés que pouvait seul produire un génie si puissant, si souple et si varié.
Le rôle de Sarastro, nous ne parlons toujours que du chant, est d'un calme imposant et sévère ; les chœurs des prêtres sont admirables : ils ont été supérieurement exécutés. Tamino, qui est l'Isménor des Mystères d'Isis, est vif et passionné : Haitzinger, dont la voix et le chant, dans le Freyschütz, ont été l'objet d'éloges si justes et si unanimes, s'est surpasse; son exécution entraînante autant que pure a excité des transports dont nous avons vu peu d'exemples ; son air du 3e acte fera fureur, il doit s'attendre à le répéter à toutes les représentations ; jamais on ne déploya de si beaux moyens avec si peu de fatigue. Papageno (Boccoris) a de charmans morceaux à chanter; entr'autres le petit air qu'on a donné à la vieille dans les Mystères ; Wieser, qui est chargé de ce personnage, est un chanteur aisé et adroit, mais sa voix manque de timbre, son jeu est naturel et très-plaisant; il est à mourir de rire dans le quintetto où sa bouche cadenassée ne peut laisser échapper que des hum ! hum ! Le désavantage de la représentation a été pour les femmes ; les trois dames de la Reine de la Nuit, qui interviennent très-souvent, n'ont pas toujours chanté juste, et leurs voix ont été parfois un peu criardes ; ce n'est peut-être pas tout-à-fait leur faute, les intonations sont si difficiles et si élevées dans les rôles féminins de cet ouvrage, que Mme Fischer, si intéressante dans le Freyschütz, et Mlle Greïs, débutant dans le rôle de Pamina, n'ont pas été entièrement à l'abri du même reproche ; cette dernière nous a paru habile et plus ambitieuse des omemens du chant que le reste de ses compatriotes ; nous oserions lui dire qu'elle doit plutôt veiller sur sa voix, qui a de l'éclat et de l'agilité, mais qui n'a pas assez de corps pour se livrer sans danger à ces jeux.
La Flûte enchantée, pour parler enfin français, est la composition qui a été, si elle ne l'est encore, la plus populaire en Allemagne. Examinée en détail, aucune autre n'est plus abondante en motifs délicieux, et plus richement fournie de ces accords où se plaît le peuple de ce pays ; mais il n'y a point de liaison ni de transition : c'est une débauche de génie, et il est difficile d'entendre, pendant trois bonnes heures, des airs et des morceaux en quelque sorte détachés. C'est à cela, et à l°insipide répétition des mêmes scènes, qu'il faut attribuer la froideur avec laquelle le public a accueilli un ouvrage si célèbre et si digne de l'être, si l'on ne considère que les richesses musicales qu'il renferme, sans s'inquiéter de leur disposition et de leur emploi. Nous pensons que des coupures y seraient nécessaires ; mais le meilleur remède serait une exécution plus parfaite, qu' on obtiendra peut-être aux représentations suivantes.
Journal du commerce 25 mai 1829
La troupe allemande continue avec succès le cours de ses représentations. Après le Freyschütz, que l'on a retiré de la scène lorsqu'il ne demandait qu'à recommencer la longue et brillante carrière du Robin des Bois (1), nous avons eu la Flûte enchantée (die zauber Floete ) de Mozart, depuis long-tems parodiée sur notre première scène lyrique, sous le nom des Mystères d’Isis. La pièce, absurde et ennuyeuse au plus haut degré, eût produit son effet ordinaire, celui d'endormir l'auditoire, si quelques airs magnifiques et la belle voix d'Haitzinger n'avaient soutenu l'attention, toujours prête à défaillir. La partition, quoique digne du génie de son auteur, se ressent du défaut de variété dans les situations dramatiques : le rôle de Papageno, qui devrait en rompre la monotonie, est trop faiblement chanté par Wieser pour produire l’effet pour lequel il a été conçu. Mme Fischer s'est fort bien tirée du rôle de la reine de la Nuit, dont l'exécution est très difficile et chargée d'agrémens surannés. Mlle Greis est une jeune et jolie femme qui chante avec goût, mais dont l'éducation musicale n’est pas terminée. Les chœurs se distinguent toujours par une exécution ferme et sûre : on a particulièrement remarqué la belle invocation à Isis, au quatrième acte. Si les représentations de cet opéra devaient se prolonger, nous conseillerions de les abréger, en supprimant ces trios de dames et de génies qui étonnent nos habitudes dramatiques, et dont le seul effet serait d'embarrasser l'action, si la pièce en avait une. Courrier Français 25 mai 1829
L'opéra allemand continue à attirer un bon nombre d'amateurs, bien que la Flûte enchantée n'ait pas répondu tout à fait à l'attente des admirateurs de Mozart. Il est vrai que l'exécution en a été assez médiocre ; Haitzinger seul s'est distingué par sa belle voix ; un air de l’enlèvement du sérail qu'il a introduit au 4e acte, et qu'il chante à merveille, a été redemandé. Mlle Gleiss n'a obtenu qu'un succès médiocre, et Mme Fischer est mieux placée dans le Freischütz. Pourquoi ne supprime-t-elle pas deux malheureux airs de bravoure qui, avec celui de dona Anna, du 3e acte de Don Juan, n'ont été composés par Mozart que pour satisfaire au caprice de Mme Lang, sa belle-sœur ? Le crayon rouge devrait se promener sur toutes les partitions qui renferment des airs de ce genre, arrachés pour la plupart aux compositeurs par l'exigence et la maladroite envie de briller des cantatrices en vogue. On annonce pour la semaine prochaine le Fidelio de Beethoven, ce qui, de bon compte, ferait le troisième opéra donné depuis quinze jours. Cette activité témoigne en faveur de M. Charles Poirson, frère du directeur du théâtre de Madame, qui, en l'absence de M. Laurent et de son régisseur, M. Severini, administre avec beaucoup de zèle et de discemement le théâtre Favart. Trois représentations du Freischütz n'ayant pas satisfait l’empressement des amateurs de cet opéra, on doit le reprendre mardi.
Revue musicale
THEATRE ROYAL ITALIEN. PAR LA TROUPE ALLEMANDE, Die Zauber Floete.
J'estime sans doute beaucoup les gens à principes ; mais je regrette qu'ils sacrifient à des idées absolues la doctrine de l'utilité et des circonstances, qui, après tout, est le plus souvent de mise en ce bas monde. C 'est avec une inflexibilité semblable et un dédain des prévisions, qu'ils compromettent le succès dans les choses les plus sérieuses. Cela est bien autrement vrai dans les arts qui ne tiennent leur puissance que du consentement général, et par des moyens qui agréent au plus grand nombre. Ainsi, dût-on m'accuser d'irrévérence, je regretterai toujours que l'immortel auteur de la Zauberflœte n'ait pas calculé que cette admirable musique ne pourrait être exécutée que rarement, de manière à en faire ressortir toutes les beautés, et qu'il ait écrit sous la seule dictée de l'inspiration tant de belles phrases qui doivent le plus souvent rester lettre close pour les amateurs, faute d'exécutans suffisans et en assez grand nombre. Si nous calculons bien, il y faut huit rôles de soprani chantans, savoir: la reine de la nuit, ses trois femmes, sa fille Pamina, Papagena, et les deux voix hautes des trios des jeunes garçons ; plus, deux ténores, indépendamment de ceux chargés de petits bouts de duos ou de récits ; des gardiens du temple ou des prêtres isolés, et qui, pour être plus courts, ne doivent pas moins être chantés juste ; enfin deux basses. Sans doute tous ces chanteurs ne sont pas tenus, même d'après l'intention du compositeur, d°être de premier ordre, quoique cela ne valût que mieux; mais enfin il n'est pas un de ces personnages dont la voix ne soit plus ou moins à découvert dans des duos, trios, quatuors et quintetti, où des sons inégaux et vacillans, pour ne pas dire faux, risquent de faire évanouir l'effet et de diminuer le charme. Or, nous ne nous figurons guère de troupe qui puisse satisfaire à de telles exigences, pas même celle de Feydeau, si riche en premiers sujets équivoques. Qu'on juge donc de ce que peut devenir une pareille obligation à la charge de la troupe foraine d'Aix-la-Chapelle. Aussi n'avons-nous pas besoin d'ajouter qu'il y a eu bon nombre de désappointemens chez nos dilettanti si ardens, et si peu disposés à tenir compte des obstacles. D'ailleurs, cette musique, sans paraître encore vicible, a le défaut d'avoir été remplacée pendant long-temps chez nous par des compositions où tous les moyens d°effet sont employés ; et les inspirations de Mozart ont tellement le caractère de la correction et de la régularité, que les amateurs superñciels, ou même seulement déshabitués, se surprennent à leur demander actuellement une chaleur plus entraînante. Disons-le : pour trouver le plaisir qu'on s'était promis, il a fallu le don d'une réflexion patiente. Si l'exécution, en laissant deviner des effets avortés, a le plus souvent irrité le sens musical sans le satisfaire, nous avons lieu de nous étonner qu'elle ait pu être aussi passable. Les choristes, transformés en femmes de la reine de la Nuit, ne pouvaient prétendre à charmer ; mais elles ont mis dans leur impuissance un tel savoir-faire, que nous n'avons à leur reprocher qu’un petit nombre de notes fausses ; du reste, un sentiment d'ensemble excellent. Les morceaux où interviennent les trois jeunes garçons, ont été d'un effet plus satisfaisant. Madame Fischer a le malheur de n'avoir à chanter dans cet opéra que deux airs les plus diaboliques du monde, dont l'introduction est belle à la vérité, mais dont la coda est du genre de bravoure à la mode il y a quarante ans, c'est-à-dire le plus détestable et le plus ridicule que nous connaissions.
Franchement les airs de bravoure d'aujourd'hui, sans être meilleurs, ont au moins l'avantage de l'apparence. Les omemens se rattachent au fond du morceau avec plus d'adresse, et sont presque toujours calculés de manière à offrir à la voix, au lieu d'écueils inévitables, des occasions de briller. A notre sens, la fin des deux airs de la reine de la Nuit n'a rien à reprocher à la Fauvette et au Papillon de Grétry, ni même au Guerrier qui vole aux combats, de Méhul. Nous ne savons vraiment pourquoi on n'ose se permettre de simpliñer un pareil placage. Vouloir chanter toutes ces fioriture, telles que le musicien les a écrites, n'est pas du respect, c'est du fanatisme, et du plus mal employé. Toujours est-il que la pauvre madame Fischer paraissait aussi triste d'avoir à surmonter de pareils cassecous, que nous de l'y voir condamnée, et que nous avons admiré le bonheur avec lequel elle a pu s'en tirer. A la deuxième représentation, sa tâche a été allégée de moitié : on a supprimé l'air du 3e acte.
Mademoiselle Greis qui débutait dans le rôle de Pamina, est une jeune beauté toute fantastique, dont l'ensemble, tient plus de la famille des filles aériennes d'Odin, que de la nature positive des nymphes grecques. Considérée comme cantatrice, elle nous paraît être de celles qui, pour se hâter de courir après le brillant de l°école modeme italienne, ont négligé les solides avantages de l'ancienne, sans laquelle nous ne croyons guère qu'il soit possible d'acquérir un talent véritable. Sa voix est belle et flatteuse ; elle fait bien le trait, en s'y prenant avec précaution ; mais elle n'a encore ni chaleur, ni fermeté. Elle se fatigue aisément, et le son tend toujours à baisser, surtout vers la fin de la soirée. ll est vrai qu'il lui reste encore beaucoup de temps pour acquérir ces qualités ; car elle compte, nous assure-t-on, à peine dix-huit ans. Présentement, c'est un sujet de grande espérance.
M. Haitzinger a consolidé son succès d'une manière inébranlable. L'air du portrait, celui qui dialogue avec la flûte, et surtout un air du Serraglio, Oh! wie aengstlich, ajouté par lui au quatrième acte, ont soulevé des applaudissemens frénétiques. Il nous a semblé supérieur dans l'air de la flûte. Il est impossible de faire valoir des phrases entrecoupées, avec un sentiment plus vrai, une chaleur plus entraînante. Dans l'air intercallé, des mélodies touchantes et légères, rendues avec un goût exquis, la facilité de déployer sans efforts sa voix dans les cordes les plus élevées, devaient assurer son triomphe. Ce morceau a été redemandé.
M. Wieser, qui remplissait le rôle de Papageno, n'est point un chanteur, mais bien un comédien septentrional d'un naturel parfait et d'une naïve bonhomie fort amusante. II a eu le privilège de dérider tous les fronts, même de ceux qui ne comprenaient que l'expression de sa voix et de sa physionomie. Il met d’ailleurs, en chantant, autant de bonne volonté et de soin que s'il devait y réussir. M. Riese, chargé du rôle de Sarastro, nous a fait entendre une voix de basse vibrante, grave, mais sans intensité suffisante. Nous croyons qu'avec du travail il pourrait arriver à en tirer un meilleur parti. Les chœurs ont été, comme auparavant, excellens. Pourquoi faut-il que nous ayions à nous plaindre de l'orchestre, ou plutôt d'un seul individu ? Au tort d'avoir exécuté avec un classicisme tout bourgeois la partition romantique du Freyschütz, est venu se joindre celui de manquer fréquemment d°ensemble, et de s°endormir dans la musique si pure de Mozart. On assure que M. Grasset, dont nous ne contestons nullement le mérite et la science, s'est fait un point d'honneur de ne pas céder à un étranger le sceptre de la direction, et de ne point obéir aux indications domiées par le capellmeister de la troupe d'Aix-la-Chapelle. De là résultent deux directions simultanées, mais souvent à contre-temps, et des tiraillemens fréquens et très-sensibles. Il nous semble que M. Grasset, eût-il raison au fond, devrait pourtant céder; car c'est surtout en exécution musicale, que la dictature est éminemment salutaire ; et d'ailleurs le capellmeister qui connaît les habitudes de sa troupe, et ce qu'on peut demander à chacun des chanteurs, doit naturellement être plus à même qu'aucun autre de la bien diriger. Enfin, ces étrangers sont ici pour leur compte, et il nous semble qu°une fois les conditions auxquelles ils se sont soumis envers le directeur privilégié, remplies, ils doivent être considérés comme chez eux, et maîtres de se gouvemer ainsi qu'ils l’entendent.
A S