La dynastie des Levasseur
Cet article a paru d'abord dans le numéro de mai 1975 de la revue Critère, L'art de vivre, Numéro 12. À ce moment, Raymonde Gauthier appartenait au groupe de recherche en art à l’Université Laval.
Un art de vivre et de créer: la Dynastie des Levasseur
Le mythe de l'artisan du Régime français inculte et malhabile a trop vécu.
Parmi l'effarante quantité d'oeuvres du Régime français, que recèlent les musées et les collections particulières, figure un certain nombre de pièces attribuables aux Levasseur. Seul le chercheur qui apprend l'histoire avec ses mains est préparé à les sortir de l'ombre.
Du milieu du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe, le nom des Levasseur se retrouve dans les recensements, dans les livres de comptes des paroisses, dans les greffes des notaires, dans les registres d'insinuations de la Prévôté, dans les annales des communautés religieuses, et ailleurs encore. Peu ou pas de signatures; l'oeuvre belle, selon eux, se reconnaît et s'attribue d'elle même. Elle est là pour durer. De Jean à François Noël ou Jean Baptiste Antoine dit Delort, de Pierre à René Michel, l'oeuvre se taille dans le bois de pin, s'affine, se détache, se peint ou se dore. Elle ne s'arrête pas. Et, comme si le XVIIIe siècle avait été trop lourd pour elle, elle disparaît sans s'étioler pour être reprise en charge par les Baillairgé, qui suivent, aussi habiles, mais respectant d'autres normes. Du menuisier presque charpentier au sculpteur presque menuisier, l'oeuvre de pin prend tout à coup des proportions et des visages et orne d'innombrables églises, navires et maisons particulières. Dans la famille, et sur quatre générations, on est à la fois charpentier puisqu'il faut tout faire tenir, menuisier puisqu'on doit meubler, sculpteur puisqu'on doit décorer et peintre, puisqu'il faut remplacer des absents. On crée peu importe le médium, et l'oeuvre naïve et gauche qu'on croit sortie de leurs mains est plus souvent originaire du début de ce siècle que du siècle des Lumières.
Les quatre générations n'ont pas su restreindre leur produc¬tion. Grand bien nous en fasse. Tellement de pièces sont disparues, que l'échantillonnage accidentel nous laisse au moins une idée de leur pouvoir de création.
Messieurs les Vasseurs, mettez vous en ligne, vous serez passés en revue.
Québec, 1666, recensement. Jean Le Vasseur, 44 ans, premier huissier du Conseil, huit enfants dont des jumeaux, Jean¬-François et Noël. Jean Levasseur est dit Lavigne; les surnoms sont importants. On ne sait quand il a débarqué au pays mais il était là, à Québec, en 1654, pour avoir soin d'entretenir les chassis de l'église paroissiale en luy fournissant le papier et l'huile. Au milieu du XVIIe siècle, l'église de Québec, devenue cathédrale par la suite, n'a pas de carreaux aux fenêtres, son plancher a besoin d'être refait et sa couverture n'est pas tout à fait étanche. Jean Levasseur dit Lavigne corrigera le tout, on le paiera en livres tournois et on lui offrira une place pour faire pesche d'anguille. L'immigrant de fraîche date se servira de son salaire pour faire paiement de son passage de luy et de sa famille pour venir de France dans le vaisseau Nantois.1
Nous sommes à l'époque des concessions; Jean dit Lavigne s'installe d'abord sur la terre de coulonge dans l'actuel Sillery2; il a son banc à l'église paroissiale de Québec, une place de quatre pieds neuf poulces de long et trois pieds un poulce de large la sizième au dessous du choeur contre la muraille3. En 1658, l'île d'Orléans est divisée en portions, Levasseur en reçoit une part4 qu'il laissera à d'autres le soin d'exploiter. Ce qu'il verra à exploiter, c'est la haute ville de Québec. En ce temps, la basse ville fait l'objet de toutes les convoitises et le secteur faisant face au couvent des Ursulines est encore en friche. Quelques artisans se sont déjà établis dans cette campagne vallonnée. Levasseur dit Lavigne achète de Charles Palantin un emplacement contenant 7 toises de terre tenant d'un costé à François Boucher dit vin d'Espagne, d'autre costé au dit Palantin, d'un bout au grand chemin qui va de Quebecq au Cap Rouge d'autre bout qui va du fort au lieu appelé le mont Carmel5. Les Levasseur qui suivront, si on excepte ceux qui s'établissent sur des terres, vivront dans un périmètre de cinq cents pieds de la maison construite par l'aïeul sur ce terrain.
On bâtit peu à Québec avant 1680; la prospérité sera pour les fils de Jean qui exerce, en plus de son métier, la charge de premier huissier au Conseil Souverain.6, En 1671, il sera aussi concierge de prisons7. Sa tâche est de s'agripper au cap, d'autres viendront qui y plongeront leurs racines.
De Pierre dit l'Espérance, frère de Jean, venu à Québec en même temps que lui, nous savons peu de choses. Maître menuisier lui aussi. Il a neuf enfants. Au greffe de Peuvret de Mesnu un marché le liant à Vincent Poirier sieur de Belle poyre par lequel il s'engage à faire les travaux de menuiserie qui ensuivent. C'est à scavoir un plancher audessus de la cham¬bre es maison quil fait construire prosche la maison de la senechaussee iceluy embouvete... ce marche fait moyennant la quantite de 6 minots de ble froment bon et loyal8. Les contrats sont précis et la vie difficile; les notaires comme les menuisiers doivent s'assurer un emploi.
Il se déplace pour les besoins de son métier; en 1674, il est à Beauport pour y construire l'église.9 Plus effacé que son frère Lavigne, il sera cependant la souche qui portera les plus beaux rameaux de la dynastie.
Acte deux: les fils, toujours menuisiers. De Jean, Noël; de Pierre I, Pierre Il.
Noël est dit Lavigne, il travaille avec son père. Louis de Buade comte de Frontenac assiste à son mariage10; la communauté est petite encore. Noël habite une maison de bois rue des
Jardins, à côté de celle de son beau père aussi menuisier11. La tradition se conserve sans heurts.
Pierre II fait aussi fonction de charnière. Son atelier fonctionne, il prend des apprentis12 et des pensionnaires13, travaille à Notre Dame, c'est une oeuvre de famille14 se marie deux fois'15 et donne son avis lorsque requis à titre de maître-menuisier.16 À sa mort en 1731, l'inventaire de ses biens comprend une tasse à oreille deux cuillieres et deux fourchet¬tes grande et petite le tout dargent pes ensemble dix onces17 et quelques dettes18 . L'ascension dans l'échelle sociale est difficile; se fera t elle jamais?
Acte trois; les petits fils deviennent sculpteurs. Noël II, petit-fils de Lavigne, et Pierre Noël, petit fils de l'Espérance. C'est l'acte le plus important. Le champ de la menuiserie étant complètement occupé par les pères qui ont eux mêmes été formés par leurs pères, il ne reste aux petits fils qu'à s'orienter autrement. Les circonstances sont propices.
La fin du XVIIe siècle a connu une floraison d'oeuvres avec l'arrivée au pays de maîtres comme Denys Mallet et surtout Jacques Leblond de Latour. De Mallet, nous restent les grandes portes de sacristie de l'église des Jésuites de Québec; leur finesse et leur élégance sont issues du Grand Siècle. De Jacques Leblond de Latour, des tabernacles; celui de la chapelle des Ursulines est de 1709 et a vu s'ériger autour de lui un retable de Pierre Noël Levasseur, le nôtre.
Jusque là, la production des sculpteurs venus de France, jointe à une importation régulière, a suffi aux besoins de la jeune colonie. Peu d'églises, peu de navires, peu de maisons à décorer. À partir de 1720, tout change. Le découpage territorial des paroisses impose des constructions en province, ce seront autant d'églises à décorer. Les chantiers navals s'organisent et les navires du Roi ou des particuliers doivent être ciselés de la poupe à la proue. Les maisons des ri¬ches marchands honnêtes ou mal¬honnêtes doivent ê¬tre réchauffées de panneaux sculptés, car il serait bien mai venu de laisser la pierre nue dans un pays où il fait si froid et où on se soucie tant de recréer le luxe des intérieurs français. Une nou¬velle génération de sculpteurs doit naî¬tre. Il y a tout ce qu'il faut dans la famille Levasseur, surtout des mains habiles à travailler le bois.
Noël II, quittant l'atelier de son père qui poursuivra son activité jusqu'en 1731, fait un séjour à Montréal; brève période d'indécision. Il rentre à Québec. Le voile n'est toujours pas levé sur ses années de formation, mais à vingt cinq ans, peu après son mariage avec une Montréalaise,19 on lui confie déjà des travaux de sculpture et plus seulement des ouvrages de menuiserie. En 1705, il fait marché pour la boisure de deux cheminées et une basse de viole20. En 1713, il doit à son cordonnier neuf livres.21 Il est vivant; sa carrière n'a pas encore d'éclat. Il attend les commandes. Oeuvre religieuse, oeuvre profane, le ciseau et la gouge seraient aussi agiles. On l'imagine cueillant de petits emplois au nord et au sud.
En 1715, il travaille à la sculpture d'un navire22. Il se déplace, Ses fils François Noël et Jean Baptiste Antoine ne peuvent encore le suivre. On le paie, en argent quand il y en a, en blé comme à Saint Laurent de l'île d'Orléans
au Sieur Le Vasseur qui a fait le retable de cette paroisse pour le prix et somme de mille livres dont il a reçu en 1710 la Somme de 408# paye la somme restante de cinq cent quatre vingt douze livres partie en blé livré a plusieurs fois.23
Ainsi commence sa carrière de sculpteur. Il revient à Québec, repart pour Beaumont pour y laisser un tabernacle24
En 1721, Monseigneur de Saint Vallier, qui a quitté son Palais épiscopal au profit de l'Hôpital Général, lui confie la réfection du mobilier religieux qu'il a apporté avec lui 25. Désormais sa réputation de sculpteur est bien assise; plusieurs paroisses et plusieurs particuliers attendent qu'il soit disponible.
La première étape de la décoration d'une église consiste à lui fournir un tabernacle. A partir de ce qu'ont fait ses prédéces¬seurs et de ce qu'il a pu voir dans les traités d'architecture circulant à Québec et les gravures publiés par les grands architectes français, Noël Levasseur élabore un style qu'il devra garder, bien malgré lui quelquefois. Les paroisses et les paroissiens s'envient; on commande un tabernacle comme celui de la paroisse voisine et on paie... en nature. Ainsi à l'Islet:
donné au Vasseur Sculpteur, Sur la façon du tabernacle qu'il fait pour l'Église 80 minots de Bled a quarante trois sois le minot auec cent quatre vingt Livres de Lard a cinq Sols la Liure, 5 Liures de Sucre a Six Sols la Liure Et quatre aulnes de toille à vingt cinq Sols L'aulne et dans L'automne soixante et quatre Liures de Boeuf à cinq Sols la Liure Et un minot de pox à quarante Sols le tout faisant ... 241# 16 (26)
Le sculpteur Noël travaille à Trois Rivières27, Lauzon28, Saint-Augustin. Il a fort à faire et ne suffit pas toujours. Ainsi, dans cette dernière paroisse, il installe, le 28 août, une chaire qui lui vaudra plus de deux cents livres quoy quelle ne doive estre achevee que vers Noël y devant y ajouter le cû de lampe toutes les pommes et la sculpture qui en doit faire le parfait ornement29.
Mais déjà les fils, comme leur père avant eux, ont commencé de participer aux travaux de l'atelier. Pour eux, évidemment, pas de contrat d'apprentissage; ils sont, de fait et de droit, intégrés à l'atelier. Et les fils peuvent, si besoin est, prendre la place du père. Avoir vécu et travaillé à côté d'un maître confère des droits et des devoirs. Aussi dans la cause qui oppose Noël Levasseur aux autres membres de la confrérie de Sainte Anne qui a sa chapelle particulière à l'église paroissiale de Québec, c'est François Noël, fils de Noël qui comparaît en son lieu et place. Le quatrième acte est sur le point de commencer.30
Mais dans l'autre famille, il y a encore Pierre Noël. Impossible de le tenir dans l'ombre, c'est le créateur. Lui mieux que personne sait donner visage humain à une bille de bois. Il s'adonne à la statuaire et peuple les églises de saints et de saintes aux proportions harmonieuses, drapés dans des tuni¬ques dorées ou polychromes où le bleu de France et le rouge reviennent constamment.
Une statue sans dorure ou sans peinture est inimaginable dans le Québec du XVIIIe siècle. La finesse de l'exécution doit se révéler à travers elles. Les ors et les couleurs protègent le bois dans les églises et les couvents peu ou pas chauffés, attirent l'oeil sur les retables, captivent l'attention et donnent idée de grandeur. Le bois ouvragé sort encore odoriférant de l'atelier du sculpteur pour un séjour obligatoire chez les Ursulines ou les Augustines de l'Hôpital général, chargées d'appliquer l'or à la feuille et de peindre des visages à tous ces personnages qui s'établiront à demeure dans des niches.
Pierre Noël de la famille des l'Espérance épouse la fille d'un architecte, François de la Joue3l. Déjà il est un cran au dessus de son cousin Noël très sollicité mais qui a peu de prétentions. Il s'entend mal avec sa belle mère et son demi frère qui a pris le nom de Chanverlange,32 car, selon la coutume, Pierre II a vite remplacé sa femme à la mort de celle ci. Mais il crée, et une oeuvre majeure nous est restée de lui qui est le seul exemple intact du savoir faire des artisans du XVIIIe siècle: le retable de la chapelle des Ursulines de Québec33. Pierre Noël y travaillera six ans. Il passe marché le 13 juin 1730(34). Les Ursulines lui demandent de faire un retable sous trois ans au plus tard pour le maitre autel de nôtre Église suivant le plan quil nous a fait lequel nous avons paraphé et a luy remis pour luy tenir lieu de modelle... Pierre Noël sera payé au fur et à mesure que l'ouvrage progressera.
La première inscription au compte est un trop perçu; l'Eco¬nome voit à tout et le sculpteur a peu de chances de s'enrichir facilement;
Ce 23 janvier 1730, trop payé pour la corniche de Nôtre Église la somme de.....48# 12’
On lui déduit ensuite l'herbage d'une vache; sa maison est voisine du monastère et il confie sa bête aux domestiques des Religieuses. On le paie en argent, en produits du jardin, en billets nombreux, en biscuits et confitures, en monnaie de cartes, en fromages maigres, en aulnes de toile, en poivre, en huile à brûler, en racines et herbes salées... Quoi d'autre encore? Et de temps à autres,
un oublié de marquer 1#10’(35)
Le seul livre de comptes des Ursulines nous en apprendrait beaucoup sur la qualité de la vie au XVIIIe siècle, mais là n'est pas notre propos.
Pierre Noël Levasseur trime dur et produit une oeuvre merveil¬leuse, un décor de théâtre religieux, grandiose, né du besoin d'artifice d'européens transplantés. Ce retable est appliqué sur le mur du choeur. Les colonnes de son ordre ne soutiennent qu'un entablement décoré de statues. Strictement, il ne sert à rien. Et par là il est beau. Qu'on mette tant de soins à créer un décor dans une ville petite, froide, éloignée du coeur de la civilisation, tient du prodige. D'autres parleront de ferveur religieuse, nous parlerons du luxe, du superflu essentiel à l'homme, du luxe payé en produits du jardin. Les ors ont noirci, la polychromie des statues s'est un peu défraîchie, Pierre Noël a fait oeuvre utile: encore aujourd'hui elle nous apprend les choses et les gens du XVIIIe siècle.
Mais le sculpteur statuaire a des ennuis; son fils René Michel s'enfuit à Montréal et prend logis chez un menuisier apparenté à sa famille, François Filliau Dubois. Le 15 juillet 1745, Pierre Noël écrit au menuisier de Montréal:
.. je vous remercie du bon accueille que vous luy avez fait... je compte que vous luy donnerez quelques momans pour lire et écrire et dessiner et que vous veillerez sur sa conduite comme sil vous appartenait afin quil fréquente les Églises et le sacremens et quil ne ante point les hivrognes et les libertins sil a besoint de papier pour Écrire je luy en envoyeré... il me quitte dans le temp que je suis seul et que jai besoin daide ... 36
Pour satisfaire aux souhaits du sculpteur, le menuisier prend René Michel comme apprenti pour quatre ans lui promettant de luy montrer Et Enseigner pendant le dit temps Son métier de Menuisier et La marchandise dont il Se mesle Sans luy Rien cacher ... 37.
Pierre Noël restera un solitaire. il tentera d'intéresser à la sculpture son fils Stanislas, pour laisser en des mains sûres les traditions familiales; mais malheureusement, Stanislas ne fera pas carrière à Québec et quittera la ville avec sa famille pour aller s'établir au pays des Illinois, l'année de la mort de son père. L’aîné de la famille, Pierre Noël II était auparavant disparu en France; prétextant un intérêt pour la sculpture navale, il avait obtenu de son père permission de quitter l'atelier.
Durant la période difficile de sa vie, Pierre Noël Levasseur s'astreint à une autre tâche. Il reçoit, en 1747, une commission d'arpenteur juré.38 Ses plans auront la rigueur nécessaire mais les cartouches les décorant trahiront l'artiste. Elles seront aussi des créations.
De la famille des l'Espérance, nous n'entendrons plus parler ou si peu. La tradition s'arrête là, belle, sans faille, et c'est peut¬-être bien ainsi. Dans la famille des Lavigne, l'histoire va se poursuivre durant une autre génération.
Acte quatre: François Noël et Jean Baptiste Antoine dit Delort, fils de Noël 11, qui ont fait leur apprentissage avec leur père et qui ont travaillé avec lui jusqu'en 1740, année de sa mort. Deux vieux garçons habitant avec leurs domestiques. François Noël se mariera à quarante cinq ans, Jean Baptiste Antoine, le petit frère, à trente ans.39 Pas question de fonder une famille quand c'est le père qui est aux commandes de l'atelier. Les frères Levasseur auront un très long apprentissage et ils mettront du temps à s'en libérer.
Jusqu'en 1750, leurs oeuvres varieront peu. Noël II a créé des modèles, on y reste fidèle et la production ne discontinue pas. C'est vraisemblablement avec la participation des sculpteurs aux chantiers navals royaux40 qu'on renouvelle le vocabulaire ornemental et qu'on découvre de nouveaux motifs décoratifs comme le rocaille, qu'on transposera ensuite sur les pièces de mobilier religieux. L'autorité religieuse sera servie de la même manière que l'autorité royale.
François Noël et Jean Baptiste Antoine travaillent aux chan¬tiers navals en même temps que leur oncle Pierre Noël. L'occasion est bonne d'apprendre à fouiller le bois suivant d'autres données, puisqu'on reçoit régulièrement des autorités françaises les planches de modèles à exécuter sur les navires.
Pour satisfaire aux commandes des paroisses, les frères Levasseur font équipe; on reconnaît leur passage dans les livres de comptes par la mention paye aux Vasseurs. L'habi¬tude de payer en nature a presque disparu maintenant; le blé seul sert quelquefois de monnaie.
La plupart des églises de la région de Québec, et la région est grande, sont maintenant dotées de tabernacles et ne peuvent s'offrir de retables. Les Vasseurs s'affairent à sculpter des chaires, des chandeliers, des croix de procession, des reliquai¬res, à réparer des pièces plus anciennes et, comme à Beaumont, à transformer l'apparence de statues dont on apprécie moins maintenant les tuniques écourtées.
Paye au Sr Levasseur pr couleur et façon pour l'habillement de la Statüe de St Etienne au portail.....12#41
La période où ils vivent en est une de stagnation; peu importe, ils se renouvelleront quand même et leurs oeuvres religieuses prendront les courbes dansantes du Louis XV, pour plaire à la belle société de Québec et à la province qui met beaucoup d'énergie à l'imiter. Les bouquets de roses fleuriront partout, détachant leur rondeur dorée sur des meubles blancs, et les intérieurs, tels ceux de la maison Fargues, seront découpés en panneaux finement moulurés et décorés de crêtes de coq. Pour pallier à la disparition des artistes peintres, on peindra dans l'atelier de François Noël et de Jean Baptiste Antoine les figures religieuses qui doivent entrer dans les moulures dorées déjà sculptées, car l'époque veut que le cadre soit plus important que la toile.
De la mort de leur père à celle de leur oncle, l'atelier produit sans cesse. La Conquête se passe sans drame et l'atelier ralentit à peine sa production. L'oncle Pierre Noël fatigué ou trop occupé par son second métier, les statues sortent des mains de François Noël, mais avec moins de splendeur: les anges sont plus sages, les saints plus statiques.
Après quatre générations, les mains s'essoufflent un peu et il n'y a plus de petites mains pour apprendre les secrets. François Noël et Jean Baptiste Antoine meurent sans succes¬seurs42.
Se dessine au loin la silhouette des Baillairgé; mais c'est là une autre histoire.
Notes :
1 Archives Judiciaires de Québec (AJQ), Greffe de Audouart, 13 août 1654.
2 AJO, Greffe de Audouart, 20 octobre 1655.
3 AJO, Greffe de Audouart, 10 avril 1657.
4 AJO, Greffe de Audouart, 17 août 1658.
5 AJO, Greffes de Duquet, 10 décembre 1665.
6 Inventaire des Jugements et délibérations du Conseil Supérieur de la Nouvelle France de 1717 à 1760, Vol. VII p. 39.
7 Inventaire d'une collection de Pièces judiciaires et notariales, Vol. I, p. 13.
8 AJQ, Greffe de Peuvret, 25 novembre 1658.
9 Inventaire d'une collection de pièces judiciaires et notariales, no 114 1/2, 18 décembre 1674.
10 AJO, Greffe de Rageot, 25 juin 1679.
11 AJO, Greffe de Genaple, 27 mai 1689.
12 AJO, Greffe de Rageot, 23 octobre 1689.
13 AJO, Greffe de Chambalon, 4 août 1694.
14 Archives de Notre Dame de Québec, Livre de comptes, 1696 1697 1698.
15 AJO, Greffe de Rageot, 3 novembre 1686 et greffe de Genaple, 17 mars 1696.
16 AJO, Greffe de Chambalon, 8 juin 1705.
17 AJO, Greffe de Hiché, 28 mars 1731.
18 AJO, Greffe de Hiché, 6 novembre 1731, inventaire des biens de Anne Ménage veuve de Pierre Levasseur.
19 Voir Tanguay, abbé C. Dictionnaire généalogique, Vol. V, p. 387 et 388.
20 AJO, Greffe de Rivest, Inventaire de Dominique Bergeron, 21 mai 22 juin 1710.
21 AJO, Greffe de Rivest, Inventaire de Pierre Vallières, 20 avril 1713.
22 AJO, Greffe de Rivest, 12 octobre 1715.
23 Saint Laurent, Ile d'Orléans, Livre de comptes I, 1710 1711.
24 Beaumont, Livre de comptes I, 1719 1720.
25 Hôpital Général de Québec, Livre de comptes, 1722. Cité dans Inventaire des Oeuvres d'Art de la Province de Québec, dossier Hôpital Général.
26 L'Islet, Livre de comptes I, 1728.
27 Trois Rivières, Livre de délibérations de la Fabrique, Vol. I, 1731.
28 Lauzon, Livre de comptes I, 1731.
29 Cité dans Béchard, A. Histoire de la paroisse de Saint Augustin, Québec. Léger Brousseau, 1885, p. 80
30 Inventaire d'une collection de pièces judiciaires et notariales, No. 1031, 3 août 1732.
31 AJO, Greffe de Lacétière, 21 novembre 1718.
32 Inventaire des jugements et délibérations du Conseil Supérieur de la Nouvelle France, Vol. II p. 319, 30 juin 1733, et Vol. III p. 89. 10 mai 1735.
33 Voir Trudel, Jean, Un chef d'oeuvre de l'art ancien du Québec, la chapelle des Ursulines, Québec, Presses de l'Université Laval, 1972.
34 Reproduit dans Trudel, op. cit., Annexe 3.
35 Le compte de Pierre Noël Levasseur chez les Ursulines de Québec a été reproduit in extenso dans Trudel, op. cit., annexe 4.
36 Lettre annexée au contrat d'apprentissage qui suit.
37 AJM, Greffe de Simonnet, 8 septembre 1745.
38 Inventaire des ordonnances des Intendants de la Nouvelle France, Vol. II p. 223 31 mai 1737.
39 AJO, Greffe de Dulaurent, 18 août 1748 et Greffe de Pinguet, 9 avril, 1747.
40 Voir à ce sujet, Mathieu, Jacques, La construction navale royale à Québec 1739 1759, Québec, Société Historique de Québec, 1971.
41 Beaumont, Livre de comptes I, 1745.
42 AJO, État civil de Notre Dame de Québec 1774 1777, p. 72 (1775) et Archives de l'état civil de l'Hôpital Général de Québec, 21 mars 30 octobre 1794, Fol.