La Belgique et la dérive euthanasique

Suzanne Philips-Nootens

L’Assemblée nationale vient d’adopter le projet de loi no  52 concernant les soins de fin de vie.  L’accent mis sur les soins palliatifs et sur les directives médicales anticipées est des plus louables, malgré la présence d’un encadrement juridique excessif à bien des égards.

On ne peut en dire autant des dispositions portant sur l’aide médicale à mourir. Celles-ci sont directement inspirées de celles qui régissent l’euthanasie en Belgique, tant pour les conditions d’accès à ce geste ultime que pour le contrôle administratif par le biais d’une Commission, dont le rôle est d’éviter et, si nécessaire, de sanctionner le non-respect desdites conditions. Les documents précurseurs du projet de loi, à savoir le Rapport de la Commission « Mourir dans la dignité » et le Mémoire du Barreau du Québec sur le sujet, ont nié l’existence de « dérives associées à la pente glissante appréhendée ».  Il est déplorable que les élus n‘aient pas considéré davantage l’évolution de la situation en Belgique. En 2013, ce pays a légalisé le recours à l’euthanasie pour les mineurs « doués de discernement », sans limite d’âge. « Depuis que la Belgique est devenue, en 2002, l'un des rares pays au monde à autoriser l'euthanasie, les chiffres connaissent une croissance exponentielle. En 2013, selon un projet de rapport de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie, 1.807 personnes ont choisi de mourir euthanasiées. Soit cinq par jour. C'est une hausse de 27 % par rapport aux 1.432 cas enregistrés en 2012. Après un bond de 25 % par rapport à 2011… » (Journal Le Figaro, 30 mai 2014 et le Rapport de la Commission de contrôle).  La souffrance psychique n’a pas à être associée à la souffrance physique : ainsi ont pu obtenir l’euthanasie un écrivain célèbre dès le diagnostic de maladie d’Alzheimer, des jumeaux de 40 ans atteints d’une maladie génétique en voie de les rendre aveugles, un patient de 44 ans après l’échec d’un changement de sexe, des personnes atteintes d’affections psychiatriques ou frappées par des affections liées à l’âge… Le président de la Commission de contrôle de l’euthanasie, le Dr Wim Distelmans, est lui-même un médecin qui pratique des euthanasies : il est actuellement l’objet de deux plaintes en justice de la part de membres de familles pour avoir euthanasié deux patientes souffrant apparemment de dépression.  Le président Distelmans reconnaît par ailleurs la persistance d’un grand nombre d’euthanasie non déclarées. Depuis 2002, jamais ladite Commission n’a sanctionné un seul médecin. Tout récemment, un professeur chef de service des soins intensifs, le Dr Vincent, estime qu’il est temps de considérer davantage la pratique de l’euthanasie non demandée par la personne, et même en l’absence d’inconfort, en considération des souhaits de la famille, dans « le processus des soins palliatifs terminaux chez des malades sans perspective d’une récupération qui ait un sens » (Journal Le Soir, 25 février 2014).  

Les Québécois pourront « mourir dans la dignité », titre La Presse de ce vendredi 6 juin en rapportant l’adoption du projet de loi, perpétuant ainsi malheureusement l’association entre mort dans la dignité et aide médicale à mourir.  Il est tout de même rassurant de constater que 22 députés ont eu le courage de s’y opposer. Le premier Ministre M. Couillard les a laissés libres de voter selon leur conscience et veut s’assurer de « maintenir une vigilance extrême ».  Instruits par les leçons tirées des modèles étrangers, les élus doivent cette vigilance aux plus vulnérables de leurs concitoyens.   Ceux-ci ne peuvent être sacrifiés pour répondre aux désirs d’une minorité désireuse, au nom de son autonomie, de contrôler sa vie jusqu’à choisir le moment de sa mort.

 

Suzanne Philips-Nootens

Professeure associée, Faculté de droit, Université de Sherbrooke, 6 juin 2014




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