Guy Debord: le spectacle négation visible de la vie
Après avoir évoqué l’importance de la vie intérieure dans Le Jeu des perles de verre, de Herman Hesse, Éric Volant précise sa pensée sur l’éthique à partir d’une citation éclairante de Guy Debord. Cette réflexion revêt une signification dans la cadre des opérations policières et des commissions d'enquête qui se poursuivent au Québec depuis une dizaine d'années.
(Photo : Éric Volant )
« Cette manière d'habiter et de bâtir le monde à partir du recueillement et de l'intériorité ne semble guère appréciée par une mentalité dominante, tout axée sur la performance et la réussite à court terme, sur la création fébrile de méga-projets et de méga-fusions autant que sur l'extériorisation médiatique et la production superficielle d'images qui font de la politique et des affaires un immense spectacle. A ce propos, Guy Debord écrit : "Considéré selon ses propres termes, le spectacle est l'affirmation de l'apparence et l’affirmation de toute vie humaine, c'est-à-dire sociale, comme simple apparence. Mais la critique qui atteint la vérité du spectacle le découvre comme la négation visible de la vie." Le spectacle de l'action contemporaine ne dit rien de plus que "ce qui apparaît est bon, ce qui est bon apparaît". Or si l'intervention publique ne s'appuie pas sur la liberté intérieure d'une pensée réfléchie et longuement mûrie, il est fort à craindre que tôt ou tard elle ne s'écroule sous le poids des scandales ou des faillites. Un esprit de conquête sans recueillement ne tient pas longtemps la route. Il ne suffit pas d'approuver un code d'éthique ni de nommer un commissaire à l'éthique, ni de former des comités d'éthique, ni même de produire une nouvelle législation accompagnée de discours qui soulignent avec beaucoup de tapage sa promulgation. Toutes ces opérations de camouflage jouent le jeu des apparences et participent à la société du spectacle. Il est urgent que, parmi le peuple, des hommes et des femmes se lèvent afin de dénoncer cette mascarade et que l'éthique du spectacle et des apparences, des programmes et des sommets, cède la place à une éthique de teneur et de sens. Une éthique sans mystique ou sans intériorité n'est que la façade d'un édifice vidé de son contenu. On aurait envie de regretter avec nostalgie la disparition de la république des philosophes, à moins que ceux-ci, dans la pratique du pouvoir, n'y perdent à leur tour leur âme. »