À ma Nyctale préférée

Ma Nyctale préférée n'est pas la Petite Nyctale ou la Nyctale de Tengmalm, deux petits rapaces nocturnes que l'on peut observer au Québec, mais c'est Andrée Mathieu, mon amie qui aime les oiseaux et qui utilise ce nom dans son adresse électronique (nyctalenz@yahoo.fr).

Je fais la connaissance d'Andrée au début de notre baccalauréat en physique, en 1970. Quelques mois plus tard, une occasion survient où elle me présente sa grande amie Denise que je remarque rapidement. Après avoir découvert que chacun de nous peut supporter les pires travers de l’autre, nous nous marions. Andrée est témoin de notre engagement tout comme nous vivons un jour de bonheur lorsque notre chère amie et Réal unissent leurs destinées. Denise et moi lui devons l’une des plus belles réussites de notre vie.

Les années passent et nos contacts deviennent un peu plus sporadiques alors que la vie nous amène à emprunter des voies différentes. Nous routes se croisent parfois, toujours avec grand plaisir, notamment à l’occasion des retrouvailles annuelles de notre promotion de physique et génie physique. Mais en 2013, les astres sont alignés et nous essayons de rattraper le temps envolé. Nous nous découvrons plus que jamais sur la même longueur d’onde pour ce qui est des valeurs et du sens à donner à la vie. Elle me parle avec passion d’Environnement et de biodiversité, ce tissu vivant en symbiose dans l’environnement physique que forment la terre, les eaux et l’atmosphère, un tout qui s’avère un système chaotique. J’ajoute que ces systèmes chaotiques sont présents également dans le monde physique et que la météorologie en fournit un brillant exemple dont nous ne devenons pleinement conscients qu’à la suite d’une découverte fortuite d’Edward Lorenz dans les années 1960. Nous savons aujourd’hui que, même si nous pouvions disposer d’ordinateurs d’une puissance illimitée, de modèles mathématiques d’un raffinement extrême et d’une infinité d’observations pour satisfaire à ce que nous appelons la sensibilité aux conditions initiales, notre capacité à prévoir frappe un mur infranchissable. La Nature est ainsi faite et Henri Poincaré l’a pressenti dès le début du XXe siècle. C’est tout un changement de paradigme qui séduit Andrée. Nous reconnaissons avec beaucoup d’humilité que notre Savoir est bien limité mais que nous avons la chance de vivre à une époque passionnante.

En l’écoutant partager avec moi sa démarche et sa quête pour une meilleure compréhension du monde, je ne peux m’empêcher de lui faire part d’une remarque d’Albert Einstein qui a dit à peu près ceci, à savoir qu’il ne cherche pas tant à comprendre l’œuvre du créateur, l’Univers, qu’à savoir ce que ce créateur avait en tête lorsqu’il l’a créé. Par moments, lui dis-je en souriant, tu lui ressembles.

Andrée est profondément accueillante et affable. Elle apprécie la sagesse des Premières Nations et particulièrement celle des Maoris qui, suite à ses fréquents séjours hiémaux en Nouvelle-Zélande, lui ont appris que nous sommes connectés à la Terre individuellement et collectivement. Chaque être humain mérite le respect. Alors qu’elle est au chevet de son père hospitalisé, entre un médecin entouré d’un groupe d’étudiants. Il est venu leur parler du « cas du patient de la chambre X ». Andrée lui rappelle alors gentiment que « le cas » en question est un être humain, un homme, qu’il a un nom, Paul Mathieu, et qu’il est son père.

Elle est aussi fière de son identité québécoise francophone qu’elle redécouvre au contact des Maoris. Chacun de nous est un Tangata whenua, un être lié à la terre par ses racines ou par le cœur. Au lendemain de la tuerie à la mosquée de Québec, le « Quebec bashing » surgit à nouveau et cette nouvelle est reprise par des dizaines de médias de langue anglaise dans le monde entier (51 référencés par Google). ». Andrée devient furieuse comme jamais, de son propre aveu, lorsqu’elle en prend connaissance dans le New Zealand Herald. Elle écrit à la rédaction du journal et leur demande de rétablir les faits. Elle leur parle des Maoris et de certains éléments clés de leur culture, leur rappelle que nous sommes non seulement des Tangata whenua mais aussi des Kaitiaki, des gardiens (du ciel, des océans et de la terre). Elle ajoute aussi que le Premier ministre fédéral canadien, dans le style ampoulé qu’on lui connaît, est prêt à accueillir à bras ouverts les gens de toute identité, race ou religion mais refuse de nous reconnaître comme peuple. Les Québécois sont des gens tolérants et pacifiques, ajoute-t-elle. Mais son courriel demeure sans réponse et sans effet.

Nous partageons tous deux la même vision sur l’avenir du Québec et de notre peuple. Nous sommes indépendantistes et, toujours sans surprise, étions membres d’Option nationale que nous représentons au Sommet sur l'éducation en matière d’environnement et d'écocitoyenneté à l'UQAM en mars 2017.

Andrée a aussi en horreur le capitalisme sauvage, débridé et inhumain qui ravage tout, de l’environnement à la vie des gens. Elle qui cherche le sens de la vie, qui voit une place pour chacun dans l’Univers ne peut accepter qu’un système économique sacrifie tout au nom du dieu dollar. Elle achète et lit la plaquette « La fin des exils » de Jean-Martin Aussant. Elle m’en parle plus d’une fois avec grand enthousiasme car, pour changer le monde, il faut des femmes et des hommes authentiques et courageux. Il en fait partie, me dit-elle. Elle m’écrit aussi « ... [c’est] le genre de politicien que j'aime ! Un vrai chef d'État, avec une colonne vertébrale comme Monsieur Parizeau ». Elle aurait aimé l’entrevue du Bangladais Muhammad Yunus, prix Nobel de la Paix en 2006 pour avoir fondé la première institution de microcrédit quarante ans plus tôt. Ce dernier insistait à l’émission Tout le Monde en Parle sur la nécessité d’une économie sociale, axée sur les gens, ce sur quoi Aussant insiste tout autant.

Andrée a eu une existence trépidante mais j’ai constaté avec peine que la vie n’a pas ménagé notre chère amie. La perte rapide de ses deux parents, le décès prématuré de Réal, du décès tout aussi prématuré de son cher ami Peter et de sérieux problèmes de santé furent autant d’embûches qui se sont dressées devant elle. Compte tenu de sa santé quelque peu fragile, je sais que si je suis un moment sans avoir de ses nouvelles c’est que quelque chose ne va pas. Mais elle fait preuve d’une résilience peu commune. Fille unique, elle puise son énergie auprès de ses nombreux amis et à l’Agora, particulièrement auprès de Jacques et d’Hélène.

Sa vie a été bien remplie mais elle nous quitte, me quitte bien trop tôt, bien trop tôt pour rattraper le temps envolé. Nos rencontres et nos longues et enrichissantes conversations de fin de soirée, qui se prolongeaient parfois bien après minuit, n’auront pas suffi. Nos échanges me manqueront énormément car nous avions encore tant à partager, à apprendre l’un de l’autre de tout ce que la vie nous avait inculqué pendant quelques décennies.

Je garde d’Andrée le souvenir d’une femme fière de ses origines, aux vastes connaissances, prête à partager et constamment en réflexion. Elle aura abordé le monde de façon globale, très réceptive aux esprits créateurs et rebelles de notre époque, dans sa quête pour mieux le comprendre. Éprise d’environnement, elle aura éprouvé un profond respect tant pour les gens que pour la sagesse des Maoris. Si vous voulez mieux connaître cette personne, aussi attachante que brillante et toujours en quête d’authenticité, faites-vous plaisir et lisez les écrits qu’elle nous laisse en legs dans l’Agora.




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