Virgile et le mystère de la IVe églogue
Jeudi le 19 décembre 2002
Recension de l'ouvrage de Jérôme Carcopino: Virgile et le mystère de la IVe Églogue, Paris, L’Artisan du livre, 1930, 221 p.
Le deuxième millénaire de la naissance de Virgile, célébré cette année même, a remis à l’ordre du jour l’examen des questions controversées que soulèvent ses poèmes. Il n’en est aucune qui ait provoqué plus de débats que l’interprétation de la IVe Églogue. Quel est cet enfant mystérieux dont Virgile a chanté la venue au monde, coincidant avec le début d’une ère nouvelle de bonheur? Le poète a-t-il voulu faire allusion à la fondation du régime impérial par Auguste ou même, comme le prétendait déjà Eusèbe, à l’avènement du christianisme? M. Carcopino s’est méfié des conclusions aventureuses de ceux qui ont étudié avant lui la IVe Églogue comme un texte affranchi de la loi commune, en dehors des règles invariables de la méthode historique. C’est à la stricte application de ces règles – analyse des expressions et des pensées de l’auteur, détermination des sources auxquelles il a puisé, recherche des idées et des sentiments qui avaient cours dans le milieu ou il vivait -, qu’il demande la solution du problème. Sa démonstration, élégante et convaincante, est double et porte successivement sur la mystique et sur l’histoire. Il établit d’abord que la IVe Églogue n’est pas, quoi qu’en aient dit encore MM. Salomon Reinach et Norden, un poème messianique. L’enfant qui va naître est un mortel, non un dieu; il assistera au renouvellement du monde et en suivra les étapes, mais il n’en est pas l’auteur. Seulement Virgile, comme tant d’esprit cultivés de son temps, est imbu des doctrines néopythagoriciennes, qui impliquent la croyance au rajeunissement périodique de l’univers. Déjà l’hypothèse néopythagoricienne avait permis à M. Carcopino d’interpréter les particularités remarquables de la basilique souterraine de la Porta Maggiore; il n’hésite pas à reconnaître dans l’Églogue l’influence des mêmes données philosophiques et mystiques. D’autre part, il replace le poème exactement à sa date, octobre-novembre 40 av. J.-C., au moment de la paix de Brindes, qui fut saluée avec joie, comme marquant la fin des guerres civiles; Pollion, à qui Virgile a dédié son œuvre, était alors consul et c’est la naissance d’un de ses enfants qui est annoncée, non pas Gallus, mais Salonius, comme le disaient déjà la plupart des scholiastes anciens. La IVe Églogue est un poème de circonstance. Les événements ont démenti les grands espoirs qu’elle exprime : la paix de Brindes n’a pas empêché les luttes intestines de reprendre et Salonius est mort en bas âge. Virgile s’est enthousiasmé pour l’astrologie néopythagoricienne, aujourd’hui bien oubliée, et pour des personnages inconsistants. Mais son idéalisme, son art raffiné, les trésors de sa fantaisie et de sa tendresse ont transformé ces éléments caducs en une matière admirable et éternelle. La connaissance précise des conditions de son travail ne fait que mieux ressortir la grandeur de son génie et M. Carcopino lui a rendu, à l’occasion de son anniversaire, l’hommage le plus délicat et le plus mérité.