Les orientations présentes du dialogue oecuménique
L'essor des discussions à caractère bilatéral
Les dialogues oecuméniques se sont tenus jusqu'en 1965 environ entre plusieurs Eglises à la fois. Plus ou moins directement suscitées par le Conseil oecuménique des Eglises, formé en 1948, et par le Mouvement «Foi et Constitution», dont les origines remontent à 1910, les discussions oecuméniques d'envergure n'ont longtemps connu, en pratique, que le modèle multilatéral. La première conférence de «Foi et Constitution», tenue à Lausanne en 1925, réunissait 108 Eglises; celle de Montréal, en 1963, en comptait 138. Les rencontres de caractère local, national ou régional, plus modestes naturellement, pratiquaient pourtant la même formule, multilatérale.
Une espèce de révolution s'opère à l'époque du second concile du Vatican, dont l'influence, on le verra plus loin, est directe en cette matière. Sans bouder les grandes assises du Conseil oecuménique des Eglises et de «Foi et Constitution», c'est surtout deux à deux, ou selon un mode bilatéral, que les Eglises sont présentement en dialogue. On peut même dire que, depuis une quinzaine d'années, les discussions bilatérales forment l'élément le plus vivant et le plus prometteur du travail oecuménique en matière doctrinale. Il s'agit de conversations théologiques entreprises par des représentants officiellement désignés de deux Eglises, de traditions chrétiennes ou de familles confessionnelles, dans un dessein qui peut aller de la simple compréhension mutuelle à l'union organique. Comme dans la phase antérieure, le même type de dialogue, bilatéral cette fois, se pratique aux divers niveaux, international, national et local.
C'est presque simultanément, en une espèce d'imprévisible prolifération, que se sont amorcées les actuelles conversations entre les grandes familles confessionnelles mondiales. En gros, les travaux préparatoires se sont accomplis dans les dernières années de la décennie '60 et les sessions proprement dites de dialogue se sont tenues tout au long des années '70. Si on s'en tient au niveau international, on peut compter une vingtaine de dialogues bilatéraux en cours.1 Ils réunissent les principales familles confessionnelles mondiales et, en premier lieu, l'Eglise catholique romaine (engagée en quelque 10 dialogues), la Communion anglicane (6 dialogues), la Fédération luthérienne mondiale (6 dialogues), l'Alliance réformée mondiale (5 dialogues). Ainsi donc, un nouveau réseau d'échanges s'est tissé en quelques années, qui a relancé avec vigueur le dialogue oecuménique.
Si l'on veut apprécier le dynamisme respectif de ces entreprises, il faut considérer la durée de l'aventure, le nombre des sessions, le nombre et l'importance des sujets traités, surtout la clarté et la vigueur des accords auxquelles on est parvenu, l'ampleur et le sérieux des réactions qu'on a provoquées. Selon ces critères, les rencontres les p jus fructueuses se dérouleraient entre Anglicans et Orthodoxes, Anglicans et Catholiques romains, Luthériens et Catholiques romains. Le dialogue anglican-orthodoxe aboutissait, en 1977, à l'accord de Moscou; il était question notamment des sources de la Révélation et de la théologie trinitaire. On connaît mieux en nos milieux les remarquables accords anglicans-catholiques romains sur l'Eucharistie (Windsor, 1971), sur le ministère (Canterbury, 1973) et sur l'autorité dans l'Eglise (Venise, 1976). Le dialogue luthérien-catholique romain présentait, quant à lui, deux textes de grande qualité sur «l'Evangile et l'Eglise», en 1971, et sur «le repas du Seigneur», en 1978.
On s'en voudrait de ne faire aucune mention du dialogue luthérien-réformé, mené en Europe et qui a donné, en 1971, la Concorde de Leuenberg, d'un dialogue analogue poursuivi aux Etats-Unis et qui se concluait, en 1966, par le texte Marburg Revisited, du dialogue luthérien-catholique qui, aux Etats-Unis encore, a produit la précieuse série Lutherans and Catholics in Dialogue.
Dans l'ensemble des dialogues internationaux, l'on a abordé une trentaine de thèmes, qui vont de l'anthropologie aux divers modèles d'unité ecclésiale, à la libération et à la Trinité. Huit sujets sont plus souvent traités que les autres; le Christ et l'Esprit saint; l'Eucharistie, le mariage et les sacrements en général; l'unité de l'Eglise, l'autorité dans l'Eglise, l'épiscopat et le ministère. Trois de ces thèmes occupent nettement la vedette: l'Eucharistie, le ministère et l'autorité. Ces derniers sujets, qu'à peu près tous les dialogues ont touchés, sont aussi ceux qui ont donné lieu aux accords les plus nets et les plus développés.
L'organisation des discussions bilatérales
Trois traits caractérisent le fonctionnement des dialogues en cours et en assurent, dans une large mesure, la fécondité: une planification audacieuse et soignée, une mise en relation des diverses entreprises, le souci enfin de l'accueil que font les diverses communions chrétiennes aux accords des commissions théologiques.
Une planification audacieuse et soignée
La planification peut commencer de façon assez éloignée, par la création du climat psychologique et spirituel, par exemple, qui permettra la rencontre doctrinale. Ainsi, le «dialogue de la charité», où Orthodoxes et Catholiques romains prièrent ensemble et échangèrent des signes de respect et d'affection à partir de 1964, fut-il le long préambule des discussions théologiques qui se sont amorcées au mois de juin 1980. Une fois le projet de dialogue théologique formé, des commissions préparatoires se mettent à l'oeuvre; à l'intérieur de chaque communion d'abord, comme ce fut le cas de 1976 à 1978 pour le dialogue dont on vient de parler, et de 1966 à 1972 pour les rencontres entre Anglicans et Orthodoxes. On a ensuite la commission préparatoire mixte, dont le modèle pourrait bien être l'organisme anglican-catholique romain qui s'est réuni en 1967 et 1968, après que Paul VI et l'archevêque Ramsey eurent décidé que soit entrepris «un dialogue sérieux . .. qui puisse conduire à cette unité dans la vérité pour laquelle le Christ a prié».
Le Rapport de Malte, qui recueillait les recommandations de cette commission préparatoire, recensait les points d'accord et les divergences, soulignait les possibilités de collaboration dans l'immédiat et surtout traçait un programme précis pour les sessions du dialogue proprement dit. En particulier, on dressait la liste des thèmes qu'une commission "permanente" devait aborder et l'ordre dans lequel elle devait le faire: l'Eucharistie, le ministère et enfin l'autorité dans l'Eglise. On parlait encore de méthode, reprenant les indications du Pape et de l'archevêque sur le point de départ des discussions: «les Evangiles et les anciennes traditions communes», et signalant quelques principes généraux d'interprétation des sources. On prévoyait enfin les mécanismes divers: sous-commissions, comité de coordination et secrétariat, dont la commission aurait besoin. Ainsi donc, on n'aurait pas affaire à des réunions isolées ou ponctuelles, mais à un vaste plan de rencontres ou à l'agencement d'étapes reliées entre elles et ordonnées à rien de moins que l'union organique. La planification apparaît animée par une ardeur, une détermination et même un espoir de parvenir au terme; toutes dispositions qui, aux yeux de bien des observateurs, sont une nouveauté dans le mouvement oecuménique.
L'interrelation des dialogues
Une seconde caractéristique des dialogues actuels, c'est leur interfécondation. Se déroulant à peu près en même temps, portant largement sur les mêmes questions, menés par des Eglises qui sont souvent engagées simultanément sur plusieurs fronts, les dialogues s'appuient, s'interrogent et se répondent mutuellement. Ces interrelations existent d'ailleurs entre les commissions de caractère international, dont nous parlons ici, et les commissions régionales ou nationales qui regroupent des représentants des mêmes communions. On est en présence, pourrait-on dire, d'un dialogue de dialogues. Ainsi, le texte sur «le repas du Seigneur» de la commission luthérienne-catholique romaine renvoie fréquemment à la déclaration dite de Windsor sur l'Eucharistie, comme aussi aux textes apparentés de Foi et Constitution et du Groupe des Dombes, ce groupe oecuménique de langue française, non patronne par les Eglises mais dont l'influence est très grande.
Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'on retrouve une grande parenté dans la conduite générale des discussions et dans les résultats auxquels elles parviennent. La mise en train est semblable; de même le choix des thèmes et la séquence dans laquelle on les aborde: Eucharistie, ministère et autorité dans l'Eglise, ainsi qu'on l'a déjà mentionné. Il y a similitude encore dans l'adoption d'un certain nombre de notions particulièrement riches, celles de mémorial (anamnèsis) et de communion (koinônia), par exemple; similitude encore dans le caractère biblique de l'univers mental où l'on évolue et dans l'importance qui est attachée, pour la réunion, aux traditions communes.
Le souci de la participation des Eglises
L'organisation des discussions bilatérales se caractérise encore par le souci de l'accueil qui sera fait dans les Eglises aux consensus des commissions du dialogue. Cette préoccupation incite à publier et à diffuser les textes où il y a eu accord, à les faire discuter dans les milieux théologiques, à examiner les commentaires et les critiques, à soumettre enfin les travaux aux autorités des Eglises pour qu'elles les entérinent et les conduisent à leur fin. A propos de la première phase de ce processus, le cardinal Willebrands suggérait en 1978 qu'on publie le dossier complet des travaux - assorti, bien sûr, d'un certain nombre de conclusions - plutôt qu,une «déclaration», genre littéraire, estimait-il, qui oblige à des adoucissements et des arrangements non toujours dénués d'artifice, et dont le statut ecclésial risque d'être surestimé par les communautés.
Aussi longtemps qu'elle n'est pas acceptée et vécue par tout le Peuple de Dieu, une doctrine théologique demeure la théorie de quelques-uns. Même des déclarations conciliaires n'ont leur plein effet que si elles prennent corps dans la pensée et dans la vie des fidèles. il est donc indispensable que nos frères chrétiens répondent à notre témoignage commun sur l'Eucharistie, qu'ils en deviennent responsables avec nous. C'est pourquoi nous nous adressons à eux en leur demandant d'examiner nos considérations, d'y réfléchir, de les améliorer autant que cela est nécessaire et, dans toute la mesure du possible, de les faire leurs.
(Texte luthérien-catholique romain sur «le repas du Seigneur»)
Commentaires et critiques seront d'ailleurs l'occasion, comme le disent les Elucidations que la commission anglicane-catholique romaine a données de ces deux premiers documents, non seulement de préciser ou d amender le document initial, mais encore de tenter d'exposer et d'expliquer à ceux qui ont répondu «quelques-uns des points soulevés».
C'est enfin aux autorités ecclésiastiques qu'il reviendra d'approuver et de mettre en oeuvre les résultats de ces discussions.
Des accords doctrinaux, fruits de commissions théologiques, ne peuvent pas, par eux-mêmes, atteindre le but qu'est l'unité chrétienne. Nous soumettons donc nos déclarations à nos autorités respectives, les priant d'examiner si ces déclarations expriment, au niveau de la foi, une unité qui non seulement justifie, mais qui encore requière l'adoption de mesures qui associeraient plus étroitement nos deux communions dans la vie, dans le culte et dans la mission.
(Texte anglican-catholique romain sur l'autorité dans l'Eglise)
La méthode des discussions bilatérales
Plus encore que les éléments d'organisation dont on vient de parler, la méthode de ces dialogues, ou leur régime épistémologique, est déterminante ' les dirigeant de l'intérieur. La méthode, cela implique ici les sources conjointement acceptées par les partenaires, les instruments conceptuels: vocables et formes de pensée, les perspectives générales enfin où s'engage la réflexion.
Le point de départ, les sources communes
Désireux de s'approcher autant que possible du noyau de la foi, on veut se situer d'emblée en deçà des théologies respectives d'après la division, qui ont souvent durci et multiplié les divergences. Aussi est-ce par les Evangiles même et les traditions anciennes communes que Paul VI et l'archevêque Ramsey ont demandé à leur commission de commencer leur travail. Explorant l'aire commune de départ, le Rapport de Malte, préparatoire au dialogue anglican-catholique romain, écrit:
Nous rappelons avec beaucoup de reconnaissance notre foi commune en Dieu notre Père, en Notre Seigneur Jésus Christ et dans l'Esprit saint; notre commun baptême dans l'unique Eglise de Dieu; notre commune adhésion aux saintes Ecritures, au credo des Apôtres et à celui de Nicée, à la définition de Chalcédoine et à l'enseignement des Pères; notre commun héritage de plusieurs siècles avec ses traditions vivantes de liturgie, de théologie, de spiritualité, de structures ecclésiales et de mission.
On recensera alors le plus grand nombre possible de points communs que l'une et l'autre partie auront aperçus dans l'héritage de leurs traditions communes. C'est ce qu'on voit, par exemple, à propos de la nature et des formes du ministère dans l'Eglise et à propos du sens des rites d'ordination, dans le document dit de Cantorbery. L'induction à laquelle on se livre sur l'histoire commune de l'Eglise catholique romaine et de la Communion anglicane dans les deux derniers documents de la commission internationale montre à la fois l'importance qu'on accorde, de part et d'autre, à la tradition pour l'intelligence de la révélation divine et le profit qu'un examen attentif de cette tradition peut apporter.
Quant aux thèses opposées que les derniers siècles ont cru devoir tirer de ce fonds commun, le dialogue cherche l'intention qui en a suscité l'apparition, puisqu'il s'est déjà avéré, dans bien des cas, que cette intention était partagée par l'un et l'autre groupe. Ainsi en est-il du désir des Anglicans et des Réformés, dans leur opposition au caractère sacrificiel de la messe, de sauvegarder la transcendance et l'unicité de l'action salvifique du Christ. Ainsi en est-il encore du désir des Catholiques romains, à propos de la Présence réelle dans l'Eucharistie, de préserver le réalisme du don que Dieu fait de lui-même à sa créature et l'antériorité de la grâce sur les dispositions de celui à qui le don est fait. Que l'on regarde les textes de la commission anglicane-catholique romaine; ils tendent à montrer que les refus dont fut assortie l'intention de foi n'avaient pas toujours un caractère nécessaire et que les divergences n'étaient pas inscrites dans un attachement, qui était commun, lui, à certaines valeurs.
Les instruments de la pensée, concepts et formes mentales
Pour ce qui est des instruments conceptuels, c'est de propos délibéré qu'on a délaissé les expressions et les formes de pensée du temps des polémiques, et qu'on s'est tourné vers les ressources de l'univers biblique. Ce n'est pas «dans l'intention d'échapper aux difficultés réelles qui ont provoqué les polémiques (qu'on a abandonné le vocabulaire de la théologie des derniers siècles), lit-on dans le texte anglican-catholique romain sur l'autorité, mais parce que les associations émotives de ce langage ont souvent obscurci la vérité». Est-ce qu'on n'imitait pas ainsi Paul VI et le patriarche copte Shenouda 111 qui dans une profession de foi commune sur l'Incarnation évitaient les termes litigieux de «personne» et de «nature» et s'en tenaient, tout en respectant les positions prises par leurs Eglises respectives à partir du concile de Chalcédoine, au vocabulaire du concile de Nicée?
D'autre part, en empruntant à la Bible vocables et catégories générales de pensée, on se trouve d'emblée sur un terrain familier et commun. Ainsi peut-on se féliciter de J'emploi qu'on a fait dans les divers dialogues des notions de mémorial (anamnèsis) au sujet de l'Eucharistie, de communion (koinônia), de ministère (diakonia) et de supervision (episkopè), à propos des structures fondamentales de l'Eglise, d'alliance (diathèkè) au sujet du mariage. Si ce retour à un langage commun peut masquer des différends tenaces, n'offre-t-il pas la chance de désamorcer bien des préventions et de relancer une conversation bloquée?
Quant au cadre général de la pensée, c'est-à-dire à ces repères fondamentaux de métaphysique et d'anthropologie que comporte tout discours, c'est le personnalisme communautaire de la Bible, assez voisin de la mentalité de notre époque, qui l'a fourni aux dialogues bilatéraux. Tout s'y ordonne, en effet, autour des notions de personne, foyer de conscience et de décision; de dialogue avec Dieu et les autres sujets; de communauté, lieu de formation, d'échange et de partage; de devenir historique aussi, pour qui le temps n'est pas une réalité cyclique où s'endort la liberté, mais une donnée irréversible où s'affirment et se forment des volontés en marche vers un terme.
Les perspectives générales
Deux principes, d'ailleurs apparentés, donnent leur orientation majeure aux dialogues bilatéraux - la hiérarchie des vérités dans la doctrine chrétienne et, en second lieu, l'intégration de toute donnée autre que Dieu lui-même dans un ensemble ou, en langage chrétien, dans une économie. Les textes d'entente se réfèrent explicitement plusieurs fois à cette hiérarchie des vérités que le Décret de Vatican II sur l'oecuménisme voyait fondée sur la «variété des rapports de ces vérités avec les fondements de la foi chrétienne». Le Rapport de Malte rapproche de la distinction anglicane des fundamentals et des non fundamentals le principe catholique de la hiérarchie des vérités, auquel font cortège à Vatican II, d'une part, la distinction entre les vérités révélées et la manière de les exprimer, et, d'autre part, la reconnaissance du caractère complémentaire, plutôt que conflictuel, des formulations diverses de la théologie. Le dialogue luthérien-catholique romain souligne, quant à lui, une certaine convergence entre l'idée catholique de la hiérarchie des vérités et la perception luthérienne d'une structuration de l'Evangile autour d'un élément central.
Le second paramètre du projet oecuménique actuel pourrait s'appeler la mise en perspective, ou l'intégration de tout élément particulier dans un ensemble. Une telle mise en rapport oblige à des distinctions clarifiantes dans les acceptions d'un même mot (ministère et présence, par exemple); elle dégage des dépendances et des finalités, qui éclairent parfois mieux qu'une définition par le genre et la différence spécifique sur la signification profonde des réalités (l'Eucharistie, par exemple, ou l'autorité dans l'Eglise); cette opération relativise, par hypothèse, ce qui, présenté isolément, prend des faux airs d'absolu (l'Eglise et les sacrements, par exemple). Ainsi, l'Eucharistie est située par rapport au Christ et à l'Eglise; la présence eucharistique est reliée aux divers modes de présence et d'action du Christ, et mise au service de la relation personnelle du Christ avec le croyant (Windsor). Le ministère est mis en relation avec le Serviteur par excellence et avec l'Eglise, dont le ministère assure la cohérence, en vue de la réconciliation du monde (Cantorbery). L'autorité à l'intérieur de l'Eglise n'est étudiée qu'après l'autorité dont jouissent à l'égard de l'Eglise la Parole de Dieu et l'Esprit saint; l'episkopè du ministère ordonné prend place dans une «hiérarchie d'autorités», qui comprend la sainteté, par exemple, et les charismes dont l'Esprit gratifie l'Eglise (Venise).
Les raisons de l'apparition et de la fécondité des discussions bilatérales
Pour rendre compte de l'essor des dialogues oecuméniques bilatéraux, il convient de parler d'abord des antécédents qu'ils ont eus et du climat où ils se sont déroulés. Les discussions récentes, si elles se sont substituées à l'activité multilatérale que nous avons décrite plus haut, ont largement profité de ses résultats. Les travaux de caractère multilatéral ont, en effet, suscité et nourri la préoccupation de l'unité dans le monde chrétien; ils ont créé et mis au point les méthodes du dialogue en une matière spécialement épineuse; ils ont identifié et clarifié bon nombre de problèmes; ils ont surtout fait émerger d'importantes convergences, comme l'atteste cette somme des travaux de Foi et Constitution, l'accord proposé en 1974 sur le baptême, l'Eucharistie et le ministère.
Il faut tenir compte aussi du climat créé, depuis 1960 environ, par des personnalités charismatiques et des événements libérateurs. Que l'on songe à l'impulsion donnée au mouvement oecuménique par le pape Jean XXIII, le patriarche Athénagoras, l'archevêque Ramsey et le cardinal Bea. A l'esprit de méfiance et de confrontation, ces hommes ont fait succéder l'estime, la compréhension et la fraternité évangélique. Puis, la tenue du second concile du Vatican, un événement qui ne touchait, en principe, qu'une Eglise connue jusque-là pour sa réserve envers le mouvement oecuménique, ranimait paradoxalement la cause de l'unité dans l'ensemble du monde chrétien. Par la création du Secrétariat pour l'unité, par l'invitation lancée aux autres Eglises d'envoyer des observateurs au concile, par le maintien du souci de l'unité tout au long des travaux, par l'adoption enfin d'un Décret sur l'oecuménisme, l'Eglise catholique romaine s'engageait résolument dans l'aventure oecuménique. D'autre part, la nouvelle situation incitait avec force les autres Eglises à réorganiser leurs rapports entre elles et avec l'Eglise de Rome.
Les raisons majeures du déblocage auquel on té ces dernières années, nous semblent être une perception plus juste de la réalité ecclésiale présente, un réalisme plus grand dans les conditions formelles de la discussion théologique, enfin un engagement plus résolu et plus compromettant de la part des diverses Eglises ou communautés ecclésiales.
La perception nouvelle de la réalité ecclésiale porte d'abord sur le caractère indispensable de relations avec Rome. Quels que soient, en effet, les griefs que l'on ait à l'égard de l'Eglise catholique romaine, le prestige dont elle jouit depuis les origines dans la tradition chrétienne, l'ampleur de son rôle historique, la solidité de sa doctrine et de ses institutions, son importance numérique - environ 60% du monde chrétien -, sa présence mondiale et son rayonnement en font une réalité avec laquelle toute communauté ecclésiale soucieuse d'unité doit entrer en dialogue. L'Eglise catholique romaine est, en outre, au centre de la division, peut-on dire, puisque c'est entre elle et l'Orient chrétien que se produisit la brisure du XIe siècle et que c'est d'elle que les communautés de la Réforme se sont séparées au XVIe siècle. or, comme elle s'est résolument associée au mouvement oecuménique depuis Vatican il et que, pour diverses raisons, théoriques et pratiques selon certains, uniquement pratiques selon d'autres, elle ne fait pas partie du Conseil oecuménique des Eglises, c'est sur un mode bilatéral que les relations pouvaient, de fait et rapidement, s'établir avec elle. D'autre part, les grandes traditions chrétiennes, regroupées en des organisme comme la Communion anglicane, la Fédération luthérienne et l'Alliance réformée, prenaient, probablement en liaison avec l'attitude romaine, une conscience nouvelle de leur identité ainsi que du caractère universel de leur influence et de leur responsabilité. Elles se sont dès lors perçues comme les interlocuteurs les plus naturellement désignés des dialogues venir.
Le type de discussions qu'on adoptait alors - ce que nous avons appelé les conditions formelles du dialogue théologique -présentait de soi plus de chances de succès et suscitait d'emblée plus d'ardeur et d'espoir. En effet, le dialogue bilatéral permet une confrontation plus précise des doctrines et une discussion plus serrée des points litigieux. Il s'occupe des différends particuliers surgis entre deux communions données et des vicissitudes historiques qu'ils ont pu connaître. Il s'appuie non seulement sur les Evangiles, mais encore sur les traditions communes de pensée, de culte et d'action des deux Eglises en cause. Il ne suscite pas, d'autre part, l'impression d'accablement qu'ont souvent provoquée, dans les débats multilatéraux, la multiplicité des opinions et des pratiques, de même que la diversité des méthodes dans l'étude des questions doctrinales. En un mot, la division des Eglises n'ayant pas été un éclatement unique, mais une série de brisures entre partenaires chaque fois divers, il y a bien des chances que le regroupement doive se faire de proche en proche, et non pas en bloc et instantanément.
Les discussions bilatérales impliquent enfin plus de sérieux dans l'engagement des Eglises. Elles se compromettent de façon singulière en décidant la tenue d'un dialogue de ce genre, en formant des équipes de théologiens qui interviendront à titre de représentants officiels de leur Eglise ou de leur famille confessionnelle, en leur conférant dès lors un crédit spécial non seulement auprès de leurs partenaires de dialogue, mais aussi auprès des membres de leur propre Eglise au sujet des rapports avec telle autre communion chrétienne. Les Eglises sont interpellées directement par de telles discussions et elles ne peuvent se défiler, comme c'est facilement le cas au terme d'échanges où des centaines d'Eglises reçoivent les mêmes projets ou résolutions «pour étude et décision». De plus, les dialogues bilatéraux appellent des consultations plus sérieuses et suscitent une participation plus étendue, les membres d'une communion, théologiens et pasteurs surtout, se sentant directement rejoints en leurs convictions et leurs préoccupations propres.
Conclusion
Si le bilan de l'oecuménisme récent est, à nos yeux, nettement positif, il ne faudrait pas croire que toutes les difficultés ont été surmontées. Un immense effort d'éducation est encore nécessaire à tous les niveaux - d'autant qu'on assiste parfois à d'étranges retours en arrière pour qu'on saisisse l'importance de l'enjeu, pour qu'on approfondisse et épure sa propre foi, pour qu'on exorcise la peur d'autrui et le besoin de se définir par opposition aux autres.
Quant aux dialogues bilatéraux, si féconds et prometteurs qu'ils soient, ils se doivent de rester ouverts à l'ensemble de l'activité oecuménique et à la totalité du monde chrétien. il leur faut communiquer entre eux et profiter de cette activité multilatérale dont ils sont nés et qui les soutient. Ils doivent encore se soucier du monde de ce temps, qui interroge et conteste les Eglises, et ne pas se laisser hypnotiser par les problèmes classiques qu'elles entretiennent depuis des siècles. Ces dialogues bilatéraux ne doivent pas enfin relâcher l'effort qu'ils ont déployé dans la dernière décennie - l'élan nous semble s'être ralenti, ces derniers temps. La tâche exige l'étude et la discussion des textes d'entente auxquels on est si laborieusement parvenu; elle exige aussi l'humilité et le courage qui fera passer des textes aux actes. «Je souhaite sincèrement, écrivait le pape Jean-Paul Il au patriarche oecuménique Dimitrios 1, que nous continuions la marche avec l'humilité et le courage qui nous feront suivre l'inspiration de cet Esprit qui continue à parler aux Eglises.»
ANNEXE
1 Voici la liste des dialogues bilatéraux en cours au plan international. La date dont nous les accompagnons est celle des premières discussions formelles.
Anglicans /Luthériens (1970)
Anglicans/ Vieux-Catholiques (1972) Anglicans/ Orthodoxes (1973)
Anglicans /Réformés (1978)
Anglicans/ Catholiques romains (1970)
Anglicans /Catholiques romains (mariages mixtes) (1975) Baptistes/ Réformés (1974)
Christian Church (Disciples of Christ) / Catholiques romains (1977) Coptes orthodoxes/ Catholiques romains (1974)
Orientaux chalcédoniens /Orientaux non chalcédoniens (1964)
Luthériens /Méthodistes (1979)
Luthériens/ Orthodoxes (1972)
Luthériens/ Réformés/ Catholiques romains (mariage) (1971)
Luthériens/ Réformés (1970)
Méthodistes/ Catholiques romains (1967)
Orthodoxes/ Vieux-Catholiques (1973)
Orthodoxes/ Catholiques romains (1980)
Réformés/ Catholiques romains (1970)
Pentecôtistes /Catholiques romains (1972)