L'honneur
Par exemple, pour que le besoin d'honneur soit satisfait dans la vie professionnelle, il faut qu'à chaque profession corresponde quelque collectivité réellement capable de conserver vivant le souvenir des trésors de grandeur, d'héroïsme, de probité, de générosité, de génie, dépensés dans l'exercice de la profession.
Toute oppression crée une famine à l'égard du besoin d'honneur, car les traditions de grandeur possédées par les opprimés ne sont pas reconnues, faute de prestige social.
C'est toujours là l'effet de la conquête. Vercingétorix n'était pas un héros pour les Romains. Si les Anglais avaient conquis la France au XVe siècle, Jeanne d'Arc serait bien oubliée, même dans une large mesure par nous. Actuellement, nous parlons d'elle aux Annamites, aux Arabes ; mais ils savent que chez nous on n'entend pas parler de leurs héros et de leurs saints ; ainsi l'état où nous les maintenons est une atteinte à l'honneur.
L'oppression sociale a les mêmes effets. Guynemer, Mermoz sont passés dans la conscience publique à la faveur du prestige social de l'aviation ; l'héroïsme parfois incroyable dépensé par des mineurs ou des pêcheurs a à peine une résonance dans les milieux de mineurs ou de pêcheurs.
Le degré extrême de la privation d'honneur est la privation totale de considération infligée à des catégories d'êtres humains. Tels sont en France, avec des modalités diverses, les prostituées, les repris de justice, les policiers, le sous-prolétariat d'immigrés et d'indigènes coloniaux... De. telles catégories ne doivent pas exister.
Le crime seul doit placer l'être qui l'a commis hors de la considération sociale, et le châtiment doit l'y réintégrer.