L'éthique à l'ère du soupçon

André Lacroix
Marx, Nietzsche et Freud ont jeté le soupçon sur la religion, la morale et une certaine culture. Des spécialistes réunis sous les auspices de la chaire d'éthique appliquée de l'université de Sherbrooke offrent une série de réflexions visant à répondre à ce soupçon qui risque de désagréger toute tentative pour construire une légitimité pour l'intervention dans les affaires humaines de notre temps. La réponse des chercheurs regroupés dans le recueil semble unanime: elle réside dans le fondement d'une anthroplogie philosophique qui semble située dans le sillage de Kant. La démocratie, l'affectivité, la liberté de croyance et de moeurs, la nation, la communication sont autant de concepts questionnés radicalement par les auteurs du recueil.
" La question du fondement anthropologique de l'éthique est amenée par plusieurs des intervenants comme étant une condition nécessaire pour répondre au soupçon. En effet, si le trio Marx-Nietzsche-Freud a instauré un soupçon sur la religion, la morale et la culture, il faut essayer de réduire le soupçon afin d'éviter le chaos communicationnel issu du relativisme absolu des valeurs et des droits. Les différents auteurs cherchent une voie rationnelle solide, résistante au soupçon, par laquelle on pourrait gérer et légiférer les problèmes engendrés par notre nouvelle société.

C'est précisément la nécessité d'une rationalité pour fonder l'éthique appliquée que Jean Ladrière affirme dans le texte d'ouverture: «Ce que la philosophie apporte en propre, c'est le point de vue de la rationalité et le souci de justification rationnelle qui anime sa réflexion» (p. 18). Le professeur de Louvain énonce ensuite ce que l'on pourrait considérer comme l'horizon théorique d'où peut partir notre réflexion. Il s'agit du paradigme kantien: «Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d'une législation universelle» (p. 19). À la lecture des différentes contributions qui suivent le texte de Jean Ladrière, il semble que le paradigme kantien soit peut-être le seul socle pouvant à la fois résister aux trois maîtres du soupçon et pouvant constituer le socle de l'anthroplogie philosophique nécessaire pour fonder l'éthique appliquée. Cependant, dans son étude sur Hannah Arendt, Jean-François Malherbe émet une réserve sur l'universalité inhérente au schéma kantien qu'il oppose à l'individu concret de H. Arendt: «en insistant davantage sur la pluralité et la singularité que sur l'universalité chère au philosophe de Köhnigsberg» (p. 137).

Pourtant, Ghislaine Florival essaie de décrire «la structure de l'affectivité, en tant qu'elle est une dimension universalisable de l'existant» (p. 35). Elle applique ensuite à l'action éthique cette «médiation corporelle affective» (p. 42). On peut compléter sa description de l'affect par la typologie qu' André Duhamel fait dans son essai sur le rapport entre l'éthique et le tragique, qu'il subdivise en trois extensions: tragique de l'événement, tragique de la condition et tragique de l'action. Duhamel développe abondamment cette dernière qui aboutit à des tâches à accomplir pour régler nos dilemmes éthiques: responsabilité, imputabilité et culpabilité (p. 129).

C'est le texte d'André Lacroix qui travaille directement la nécessité. d'«un humanisme postmoderne anthropologiquement fondé» (p. 81): «toute éthique présuppose une anthropologie, fût-elle négative, afin d'ancrer le sujet porteur de valeurs» (p. 88). Cette nécessité est encore confirmée par Georges A. Legault, autre contributeur au recueil, dans son étude proprement épistémologique de la représentation éthique composée en fait d'un mélange de savoirs et de croyances : «il ne peut exister de position morale ou éthique sans anthroplologie philosophique» (67). Alain Létourneau, dans une étude qui décrit le rapport entre l'éthique et l'environnement, propose un modèle «communicationnel et polycentrique»."

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