Décadence de l'empire romain

Edward Gibbon
Dix siècles s'étaient déjà écoulés depuis que Romulus avait rassemblé sur quelques collines près du Tibre, une petite bande de pasteurs et de brigands I. Durant les quatre premiers siècles, les Romains, endurcis à l'école de la pauvreté; avaient acquis les vertus de la guerre et du gouvernement. Le développement de ces vertus leur avait procuré , avec le secours de la fortune, dans le cours des trois siècles suivants, un empire absolu sur d'immenses contrées en Europe, en Asie et en Afrique. Pendant les trois cents dernières années, sous le voile d'une prospérité apparente, la décadence attaqua les principes de la constitution. Les trente-cinq tribus du peuple romain, composées de guerriers, de magistrats et de législateurs avaient entièrement disparu dans la masse commune du genre humain: elles étaient confondues avec des millions d'esclaves habitants des provinces, et qui avaient reçu le nom de Romains, sans adopter le génie de cette nation si célèbre. La liberté n'était plus le partage que de ces troupes mercenaires, levées parmi les sujets et les Barbares des frontières, qui souvent abusaient de leur indépendance. Leurs choix tumultuaires avaient élevé sur le trône de Rome un Syrien, un Goth, un Arabe, et les avaient investis du pouvoir de gouverner despotiquement les conquêtes et la patrie des Scipions.

Les frontières de l'empire s'étendaient toujours depuis le Tigre jusqu'à l'océan occidental, et depuis le mont Atlas jusqu'aux rives du Rhin et du Danube. Le vulgaire aveugle comparait la puissance de Philippe, à celle d'Hadrien ou d'Auguste: la forme était encore la même, mais le principe vivifiant n'existait plus; tout annonçait un dépérissement universel. Une longue suite d'oppressions avait épuisé et découragé l'industrie du peuple. La discipline militaire, qui seule, après l'extinction de toute autre vertu, aurait été capable de soutenir l'État, était corrompue par l'ambition ou relâchée par la faiblesse des empereurs. La force des frontières, qui avait toujours consisté dans les armes plutôt que dans les fortifications, se minait insensiblement, et les plus belles provinces de l'empire étaient exposées aux ravages, et allaient bientôt devenir la proie des Barbares, qui ne tardèrent pas à s'apercevoir de la décadence de la grandeur romaine.


Notes
1. Selon le calcul reçu de Varron , Rome fut fondée sept cent cinquante-quatre ans avant J.- C.; mais la chronologie de ces temps reculés est si incertaine, que sir Isaac Newton place le même événement dans l'année 627 avant J.-C.

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