Avant-propos de Theo Colborn
Le nom de Theo Colborn est à jamais associé à Our Stolen Future (L'homme en voie de disparition ?) comme celui de Rachel Carson est rattaché à Silent Spring, (Le printemps silencieux): deux époques dans les découvertes relatives à la pollution par les produits chimiques.
Vilain petit canard nous plonge au coeur d’une des pires catastrophes de notre époque : l’invasion de tous les recoins de notre planète et de nos corps par les composés organiques de synthèse. Dès 1991, un aréopage d’experts internationaux constatait les effets pernicieux de ces produits sur la fonction endocrinienne et lançait cet avertissement : « Si la présence de ces perturbateurs hormonaux dans le milieu naturel n’est pas réduite et contrôlée, une dysfonction à grande échelle au sein de la population mondiale est à craindre. »
Quelques années plus tard, dans L’homme en voie de disparition ?, Pete Myers, Dianne Dumanoski et moi prédisions que ces composés toxiques auraient une large influence sur la vie animale et humaine. Ce livre précurseur a suscité un débat public et politique crucial qui fait toujours rage et que Vilain petit canard contribue à nourrir. Quand on sait que la plupart des perturbateurs endocriniens courants sont dérivés du pétrole et du gaz naturel, on comprend mieux pourquoi le public ignore à peu près tout de leur nature, de leur origine et des voies par lesquelles ils empoisonnent nos vies. La ploutocratie pétrolière place depuis longtemps son intérêt avant la santé publique. La croissance débridée de la demande d’énergies fossiles est allée de pair avec la synthèse de quantités de plus en plus grandes d’une gamme sans cesse croissante de molécules aux emplois toujours plus variés, dont les dangers ont été soigneusement dissimulés sous une avalanche de dollars.
Le débat sur le changement climatique mobilisant de plus en plus l’attention, il importe de clarifier le lien entre les GES et les autres polluants. Notre dépendance aux carburants fossiles cause non seulement cette pollution atmosphérique, mais aussi des perturbations endocriniennes dont les effets nocifs sur l’appareil reproducteur, le cerveau et le comportement représentent une menace peut-être plus immédiate que le réchauffement climatique. Depuis quatre générations, les êtres humains sont contaminés avant même leur conception et jusqu’à la fin de leur période de croissance. Les chiffres confirment cet état de siège. Les pressions exercées par les entreprises sur les gouvernements ont produit dans l’hémisphère nord une authentique pandémie de pathologies hormonodépendantes qui accable les familles, ruine les services sociaux, fragilise l’économie mondiale et affecte la sécurité de la planète.
Un enfant né aujourd’hui a de fortes chances de souffrir d’au moins une des maladies suivantes : hyperactivité avec déficit d’attention, autisme, troubles de l’apprentissage, diabète, obésité, cancers précoces, anomalies génitales, infertilité. À cette liste de désordres liés à une contamination prénatale s’ajoutent désormais les cancers du sein et de la prostate ainsi que les maladies de Parkinson et d’Alzheimer.
Des efforts ont été faits pour interdire la vente de produits pour enfants contenant des substances toxiques. Des mesures sont prises pour mettre fin à l’emploi et à la production de poisons comme ceux dont les auteurs de ce livre ont choisi de traiter et auxquels ils se sont délibérément exposés. Des programmes publics ont été mis sur pied, des milliards de dollars dépensés pour soigner ou pallier les problèmes de santé irréversibles provoqués par des perturbations hormonales d’origine chimique. Mais les sociétés pétrolières dont les sous-produits toxiques servent de matière première aux fabricants des perturbateurs endocriniens ne sont presque jamais inquiétées. Vilain petit canard ne fera certainement pas plaisir à ce puissant groupe d’intérêts. Pour éradiquer le mal, notre société doit renoncer au plus tôt aux combustibles fossiles qui fournissent les précurseurs des perturbateurs endocriniens. Un exemple parmi d’autres : le benzène, molécule tirée du charbon, du pétrole et du gaz naturel, est un composant essentiel d’une quantité phénoménale de simulateurs hormonaux comme le bisphénol A, les phtalates, le triclosan, les PCB et les PBDE dont il sera question plus loin. Le mercure (traité au chapitre 5) qui contamine le milieu naturel (et le corps humain) provient principalement des centrales au charbon.
Quel que soit l’angle sous lequel le problème du changement climatique est considéré – municipal, régional, provincial, national ou international – le fait est que notre sujétion à l’énergie fossile nous fait courir plus de risques que ce qui est communément admis. En attendant, les citoyens doivent être renseignés sur leur charge corporelle et sur les moyens de protéger leur santé et celle de leurs proches. Vilain petit canard peut jouer un grand rôle dans cette démarche-là. Seule une population bien informée saura apporter le soutien et l’encouragement nécessaires aux initiatives politiques intelligentes et audacieuses dont nous avons si cruellement besoin pour mettre fin à toutes les formes de pollution. Vous aurez du mal à ne pas lire d’une traite Vilain petit canard. C’est un livre facile à comprendre et typiquement canadien – précis et raisonnable. Il explique de manière distrayante les défis auxquels nous faisons face et les moyens que nous devons prendre pour protéger notre santé et celle de la planète. Vilain petit canard est appelé à devenir un succès de librairie international, peut-être même « Le livre canadien ».
Theo Colborn co-auteur de L’homme en voie de disparition ?