Brèves

Thème : Trump et l'Amérique post-libérale




États-Unis : 250 millions d'acres de forêts, de montagnes et sites autochtones en liquidation


Pendant que toute l'attention est tournée vers la situation au Moyen-Orient, le comité américain sur l'énergie et les ressources naturelles vient discrètement de rendre public un « projet de loi qui prévoit que le ministère de l'intérieur et le ministère de l'agriculture pourront vendre au moins deux millions d'acres de terres des service forestier et de gestion du territoire dans les 30 jours suivant son adoption. Par la suite, tous les 60 jours, de nouvelles terres doivent être identifiées et vendues jusqu'à ce que des objectifs arbitraires soient atteints. Cela se fera sans appel d'offres, sans transparence et sans consultation du public. Il ne s'agit pas de législation. Il s'agit d'une liquidation. 

Les partisans du projet de loi colportent déjà le mythe selon lequel il s'agit de rendre plus de terres disponibles pour le développement résidentiel et résoudre la crise de l'habitation. « Mais le texte de la loi ne contient aucune garantie significative que les terrains seront utilisés pour la construction de logements. Des études confirment que la plupart de ces terrains ne sont même pas adaptés au développement résidentiel. De quoi s'agit-il en réalité ? Il s'agit simplement une question d'argent. »

Un texte de Janessa Goldbeck, directrice de Vet Voice Foundation. On peut voir une carte des terres mises en vente sur le site de la Wilderness Society.

Jérôme Perrier: « Le populisme trumpien est totalement incompatible avec le logiciel libertarien de Musk »


« Une des grandes forces de l’entreprise trumpienne est d’avoir su faire cohabiter des hommes et des idées souvent fort différents, pour ne pas dire opposés. Reste que l’art de gouverner ne peut éternellement se jouer des lois de la physique politique et que la réalité finit toujours par s’imposer.

Il suffit en effet de prendre quelques exemples concrets pour comprendre que la vision libertarienne du monde et la vision populiste ne peuvent durablement coexister. Ainsi, la politique protectionniste néomercantiliste (et électoraliste) de Donald Trump est parfaitement incompatible avec le logiciel libertarien, pour lequel l’interventionnisme de l’État est à combattre sous toutes ses formes, et d’abord lorsqu’il remet en cause la liberté des échanges. »

Un texte de Jérôme Perrier dans La Croix. On lira également du même auteur, Le détournement populiste du courant libertarien, sur le site de Fondapol, un « Think Tank libéral, progressiste et européen ».

Déploiement des troupes à Los Angeles : l'administration Trump crée les conditions pour pouvoir imposer les mesures d'urgence


«L'historien Timothy Snyder, écrivant à l'occasion du trentième anniversaire de l'attentat à la bombe d'Oklahoma City, a averti que l'administration actuelle crée délibérément des conditions propices aux attaques terroristes, qui peuvent ensuite être exploitées pour justifier des mesures autoritaires. Le schéma est tristement familier à travers l'histoire : affaiblir les institutions conçues pour protéger les citoyens, permettre ou encourager les attaques, puis utiliser le chaos qui en résulte pour éliminer les libertés démocratiques au nom de la sécurité. »

La déploiement des troupes de la DHS - dirigée par Thomas Fulgate, un jeune de 22 ans dont la seule qualification est d'être un ardent partisan du président - à Los Angeles est le parfait exemple de cette stratégie.

Un cri d'alarme de Mike Brock.

Francis Fukuyama: la tragédie d'Elon Musk


« Musk illustre parfaitement le problème avec nos oligarques. Les États-Unis ont produit un groupe impressionnant d'entrepreneurs technologiques qui ont créé des entreprises de renommée mondiale. Mais un certain nombre d'entre eux ne savent pas comment rester dans leur voie. Ils pensent que parce qu'ils sont devenus riches et qu'ils ont réussi dans un secteur d'activité, ils seront bons dans n'importe quel domaine, et ils s'égarent dans des domaines où ils ne sont pas du tout à l'aise.

Le New York Times a récemment cherché à recréer le monde en ligne dans lequel Musk vit en suivant le millier de comptes X qu'il suit. Ce n'est pas le même monde que celui dans lequel je vis, et je suppose que c'est le cas de la plupart des personnes qui lisent ce billet. C'est un monde de théories du complot, de sombres pressentiments et d'attaques virulentes contre les "maniaques marxistes" qui occupent l'autre côté de l'échiquier politique.

Dans ce monde alternatif, le gouvernement américain est un État profond (Deep State) dirigé par des maniaques marxistes qui échappent totalement au contrôle des dirigeants démocratiquement élus. »

Un texte de Francis Fukuyama sur le site Persuasion.

L'IA utilisée pour imposer des politiques d'austérité et créer une instabilité permanente


Photo de Chris Yang sur Unsplash

«Aux Etats-Unis, la collusion entre les géants de la tech et l’administration Trump vise à “utiliser l’IA pour imposer des politiques d’austérité et créer une instabilité permanente par des décisions qui privent le public des ressources nécessaires à une participation significative à la démocratie”, explique l’avocat Kevin De Liban à Tech Policy. Aux Etats-Unis, la participation démocratique suppose des ressources. “Voter, contacter des élus, assister à des réunions, s’associer, imaginer un monde meilleur, faire des dons à des candidats ou à des causes, dialoguer avec des journalistes, convaincre, manifester, recourir aux tribunaux, etc., demande du temps, de l’énergie et de l’argent. Il n’est donc pas surprenant que les personnes aisées soient bien plus enclines à participer que celles qui ont des moyens limités. Dans un pays où près de 30 % de la population vit en situation de pauvreté ou au bord de la pauvreté et où 60 % ne peuvent s’offrir un minimum de qualité de vie, la démocratie est désavantagée dès le départ”. L’IA est largement utilisée désormais pour accentuer ce fossé. »

Une recension de Hubert Guillaud - Dans les algorithmes

Trump : et si le chaos était le véritable objectif ?


Des voix de plus en plus nombreuses commencent à émettre l'hypothèse que les très nombreuses volte-faces de Trump auraient pour objectif de créer de l'incertitude et de la volatilité au sein des marchés. Instabilité qui profiterait aux proches du président et aux membres du cabinet. 

«Il est facile de rejeter le comportement de Trump en le qualifiant de fou ou d'incompétent. Mais il soulève une question troublante : s'agit-il d'un effort délibéré - tout droit sorti du guide pour le parfait autocrate - pour créer une volatilité que le président et ses acolytes peuvent exploiter ?  Et s'il ne s'agissait pas d'incompétence, mais d'une stratégie ?

Le chroniqueur du Financial Times Robert Armstrong a inventé le terme parfait pour moquer l'inconstance apparente de Trump: TACO - Trump Always Chickens Out. Mais M. Armstrong nous a dit lors d'un podcast que le chaos était peut-être le but recherché : Trump et son équipe ont un tel mépris pour le système qu'ils ne voient aucun risque à brûler le village pour le sauver.

Ces fluctuations politiques ont créé une association d'« incertitude toxique » avec la marque USA. L'annonce de plus de 50 politiques tarifaires nouvelles ou révisées en l'espace de quelques mois n'a aucun sens, jusqu'à ce qu'elle en ait un. La manipulation du marché par Trump fonctionne comme un jeu de carnaval - elle est truquée. La maison gagne toujours, car elle sait quand la musique est sur le point de s'arrêter.»

Un texte du Prof Galloway (en anglais).

Quand l'industrie des cryptos finance la parade militaire de Trump


Il est loin le temps où les pionniers des cryptomonnaies défendaient à grands coups d'idéaux l'utilité des nouvelles monnaies digitales, leur autonomie totale vis-à-vis des systèmes financiers et des gouvernement. À la récente conférence Bitcoin, à Las Vegas, Coinbase, le plus grand détenteur de bitcoins au monde, annonçait en grande pompe que la compagnie serait un commanditaire majeur d'America250, la grande et coûteuse parade militaire dont rêve le président Trump depuis qu'il a assisté à la parade du 14 juillet sur les Champs-Élysées. Il est bon de rappeler qu'il n'y a pas si longtemps le patron de Coinbase, Brian Amrstrong, se targuait d'éviter de mêler politique et affaires, que sa compagnie devait demeurer "un refuge contre la polarisation de plus en plus présente dans le monde".

Ce qui ressort clairement de la conférence (dont le prix d'entrée variait de 200$ à 21 000$ - sans compter un souper à 1M$ avec le président et sa famille), est que le parti républicain est à vendre et qu'il existe des façons très claires d'accéder aux bonnes grâces de l'administration Trump. Entre autres, en finançant généreusement les coffres du parti pour s'assurer d'une autre victoire républicaine en 2028. 

« Les crypto-monnaies ont fait élire Trump », affirme Greg Grseziak, un agent d'influenceurs crypto-monnaies. « Dans quatre ans, la Bitcoin Conference sera le plus grand événement de la course à la présidence. »

Les purs et durs, qui croient toujours au projet initial d'un outil d'échange au service de tous, ont pu faire valoir leur indignation face au dévoiement de l'industrie. À grands coups de "f... y..", ils ont dénoncé l'absence de morale - dénonciation paradoxale lors d'un événement qui s'annonce comme un des hauts lieux de la dépravation, où les drogues de synthèse et la prostitution attirent autant l'audience très largement masculine que les discussions sur les cryptomonnaies - des grandes plateformes qui se sont alliées avec la famille Trump. "Ce que vous faites est en fait immoral et mauvais. Vous blessez les gens. Vous voulez activement utiliser l'État pour mettre en œuvre la violence contre les autres", de dire Eric Cason, l'auteur de Cryptosovereignty. Encore, aurait-il fallu que leurs voix se rendent jusque dans les salons feutrés réservés à ceux qui avaient acheté le Whale Pass à 21 000$ en échange d'un accès direct aux sénateurs ou aux hauts-cadres de l'administration américaine qui attendaient leurs courtisans.

Un article à la lire dans The Verge (en anglais).

La classe moyenne américaine est-elle si mal en point?


Noah Smith, un commentateur économique néolibéral influent, proche de Paul Krugman, estime que le discours protectionniste qui sous-tend la politique américaine actuelle ne tient pas la route. Aux dires des conservateurs, la classe moyenne a été victime de la mondialisation et son niveau de vie et son pouvoir d'achat dramatiquement amputés suite aux accord de libre-échange internationaux qui ont ouvert la porte aux biens produits en Asie, notamment. Il semble aller de soi qu'en refermant les portes des États-Unis, la classe moyenne retrouvera de meilleurs emplois et la crise opioïde sera reléguée aux mauvais souvenirs du passé.

À l'aide d'une série de graphiques bien choisis, Noah Smith nous rappelle cependant que, comparée à 36% pour l'Allemagne, 32% pour la France, à 14% aux USA, la part des importations sur le PIB est une des plus faibles parmi les nations riches. Blâmer tous les malheurs sur la Chine ne règlera rien non plus : elle ne compte que pour 3.2% des bien manufacturés consommés en sol américain (le Canada est le 2e producteur à 1.2%). Si on compare le revenu médian, la classe moyenne américaine demeure la plus prospère sur la planète.

«Il a fallu quelques décennies, mais nous constatons aujourd'hui que Bill Clinton avait raison : l'Américain moyen est suffisamment intelligent et compétent pour effectuer un travail lié à l'écononie du savoir. Et cela se reflète dans les salaires et les revenus. Cela ne veut pas dire que l'industrie manufacturière n'est pas importante. Mais le récit principal du protectionnisme est tout simplement beaucoup plus un mythe qu'une réalité. Certes, la concurrence des importations chinoises a quelque peu nui à l'Amérique dans les années 2000. Mais dans l'ensemble, la mondialisation et les déficits commerciaux ne sont pas la principale raison pour laquelle le rôle de l'industrie manufacturière dans l'économie américaine s'est réduit. La mondialisation n'a pas non plus vidé la classe moyenne de sa substance - parce qu'en fait, la classe moyenne n'a pas été vidée de sa substance.

Une fois que nous aurons admis que ce discours protectionniste commun est profondément erroné, nous pourrons commencer à réfléchir plus clairement à la politique commerciale, à la politique industrielle et à bien d'autres choses encore.»

À lire sur Noahopinion.

Trump: 100 jours de ressentiment


Pour Francis Fukuyama, seule l'analyse psychologique peut donner une certaine cohérence au comportement du président Trump depuis le début de son 2e mandat (3e mandat pour les MAGA purs et durs). Selon l'auteur de la Fin de l'histoire et le dernier homme:
«le trumpisme est essentiellement une mentalité imprégnée de ce que Nietzsche appelait le ressentiment, c'est-à-dire une rancœur aiguë à l'égard des autres, fondée sur une fierté blessée, un manque de considération perçu, des craintes d'inadéquation et un désir de se venger de ceux qui n'ont pas fait preuve d'un respect adéquat.»
«Il est bien connu que Trump a souffert d'un manque de respect : c'était un parvenu effronté et inculte du Queens qui n'a jamais été pris au sérieux par l'élite culturelle de New York. Il pouvait faire la une de l'Enquirer, mais pas du New York Times. Le comble du mépris a peut-être été atteint lors du dîner des correspondants de la Maison Blanche en 2011, au cours duquel Obama s'est moqué de lui en pleine face. Il brûlait de haine pour l'ensemble de l'establishment libéral et comprenait parfaitement le ressentiment partagé par les nombreuses personnes des couches populaires qui faisaient vivre ses casinos et que ce même establishment méprisait. C'est sur cela, plus que sur une idéologie cohérente, que s'est construit le mouvement MAGA.»
Pour étayer sa thèse, Fukuyama fait également appel à la notion de thumos - le siège du courage, du sentiment de dignité, de fierté selon Platon, qui dans le cas de Trump s'est transformé en désir de vengeance et destruction: «J'ai écrit à plusieurs reprises sur l'importance du thumos - le mot grec pour "fougue", ou le désir de reconnaissance - et son importance pour la politique. Dans La fin de l'histoire et le dernier homme, j'ai même parlé de Donald Trump qui, en 1992, semblait n'être qu'un riche homme d'affaires. Je soutenais que dans le système capitaliste américain, on pouvait satisfaire son désir de reconnaissance supérieure à celle des autres en s'enrichissant par des moyens socialement inoffensifs.
Ce que je n'avais pas vu à l'époque, c'est comment le thymos de cet individu particulier le pousserait à rechercher non seulement la richesse, mais aussi la destruction systématique des institutions mêmes qui constituaient la démocratie américaine.»
À lire sur Frankly Fukuyama.