L'Encyclopédie sur la mort


«Se maintenir en vie»: ce qui faisait parler Paul Zumthor

Hans-Ulrich Gumbrecht

La vie est l'antagonisme de la mort. Se maintenir en vie, c'est garder éloignée la mort en tant que cessation de la vie, même si ce maintien dans la vie est un jeu ou un spectacle se déployant à l'intérieur de limites et de frontières qui en réduisent leurs mouvements dans l'espace. L'auteur cherche à découvrir le sens éthique de son passage préféré dans l'oeuvre de Paul Zumthor: «Ma responsabilité à moi [...], c'est de faire des projets pour, à travers eux, me maintenir en vie; et si possible, les réaliser jusqu'au bout pour prouver à la vie que je l'aime.»
Qu'est-ce que Paul Zumthor a pu vouloir dire quand il parlait de l'envie et de l'obligation de «se maintenir en vie»? Il ne s'agissait surtout pas là d'un exerce sportif ou de santé, et pas non plus, je crois de la dimension sociale ou de celle de la communication (verbale ou non verbale) avec les autres. J'ai l'impression que ce geste de «se maintenir en vie» chez Zumthor a une ressemblance avec la philosophie de la vie développée par Hans Jonas*. Pour Jonas, ce que nous appelons «vie», dès le moment de la naissance, est quelque chose qui ne dépend pas directement d'une autre vie. Mais l'aupoiésis comme base et phénomène de la vie (au moins sur notre planète) dépend du «métabolisme» dans le sens où la vie s'approprie et s'intègre physiquement la matérialité du monde qui l'entoure.

[...]

L'éthique* implicite de ce réseau de motifs philosophiques dans la pensée de Zumthor est une éthique qui ne doit pas compter sur la générosité de personne (et qui ne doit donc pas avoir recours ni à des niveaux normatifs du discours ni à des attitudes du doigt levé de la morale). Car vouloir et devoir contribuer au spectacle de la vie comme condition de vivre physiquement et d'exister ne suppose pas une éthique en accord avec le concept de Max Weber, Tout «agir» pour Weber est motivé par le désir d'une transformation permanente du monde («transformation» ici dans un sens morphologique), Paul Zumthor, au contraire, plutôt que d'une transformation du monde existant, parle de notre inscription dans ce monde comme faisant partie de la cosmologie où il faut trouver sa place (spirituelle et corporelle) au milieu du spectacle de la vie. «Agir», pour Zumthor, ce serait s'inscrire dans une cosmologie en laquelle nous sommes produits, conquis, réussis chaque fois par l'action de l'inscription, c'est-à-dire par l'effort de trouver sa place. Tout cela, bien évidemment, donne et ajoute à l'espace existentiel une nouvelle connotation subjective.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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