L'Encyclopédie sur la mort


Partage de midi

Paul Claudel

Partage de midi est autobiographique. En effet, Paul Claudel, consul en Chine, connaît une «passion» amoureuse avec Rosalie Vetch, femme mariée, suivie d'une rupture jugée par lui comme une «trahison» et, beaucoup plus tard, des «retrouvailles». Sur ce drame intime il bâtit une pièce symbolique à caractère biblique* inspirée par le prophète Osée: l'amour de Yavhé pour Israël. «Ils n'ont pas compris que je m'occupais d'eux, je les tiens avec des cordes humaines, des liens d'amour [...] Mon coeur a changé, ma compassion* brêle...» À Rosalie dont une lettre vient de rompre un mutisme de treize ans, Claudel répond: «Il y a un rêve infiniment triste et déchirant que je n'ai cessé de faire pendant bien des nuits et beaucoup d'années après ce jour du mois d'août dont c'est aujourd'hui l'anniversaire et où j'ai vu pour la dernière fois votre petit mouchoir s'agiter dans la grande lumière de Pagoda: - Je suis de retour à Foutcheou [...], je revois la maison que vous connaissez [...] J'y pénètre, mais toutes les pièces sont désertes, il n'y plus aucun meuble, tous les domestiques sont partis [...]. Je monte au premier, là aussi toutes les chambres sont abandonnées, exceptée une seule où il y a une femme assise, et qui me tourne le dos, et jamais je ne vois son visage, jamais je n'ai le temps d'entendre la réponse à cette question toujours la même que je lui pose du fond de mon grand amour et de ma grande douleur, sans que le réveil ne vienne arrêter sur ses lèvres ce mot qu'elle allait peut-être m'adresser.» (4 août 1917)
Ce drame met aux prises quatre personnages : Ysé - seule femme - et trois hommes : de Ciz, son mari, Amalric, son amant, et Mesa, sa passion. Son sujet, tel que la citation d'Osée (11, 4), qui en est la clé secrète, le donne à comprendre dans la Préface de 1948, est la souffrance du jeune Mesa qu'une passion amoureuse destructrice reconduit paradoxalement à Dieu, après qu'une fausse vocation monastique l'en avait éloigné.

À la fin de la pièce, sur un coup de tête, Ysé abandonne son amant Amalric. Comme entre-temps Ciz est mort, ce qui lève l'interdit de l'Église qui pesait sur l'union d'Ysé et Mesa. Ceux-ci s'épousent à l'article de la mort dans un rituel où la passion profane se mêle à la foi et aux sacrements de l'Église. Le rideau tombe au moment où Mesa achève de dire la «messe d'août» à laquelle ils fournissent, en mourant réellement, le corps et le sang d'un sacrifice* symbolique.
http://www.paul-claudel.net/oeuvre/partage.html

À l'instar de Saint-Augustin* dans De liberio arbitrio libri III, 9,26, Claudel estime que même le péché comporte son bien. Il ose joindre à la formule sacramentelle du consentement des époux les paroles du Christ: «ceci est mon corps» et reprendre à son compte le «Tout est consommé» de Jésus sur la croix. Par la magie poétique, Claudel parvient à réconcilier l'amour et la foi, le mal et la mort. Voici donc comment Mesa et Ysé célèbrent leurs retrouvailles:

YSÉ: Mesa, je t'annonce que notre enfant est mort.
MESA: Cela est mieux ainsi.
YSÉ: Tu ne l'as point vu, Mesa.
MESA: Je vais le voir tout à l'heure et il me reconnaîtra.
YSÉ: O infinie amertume! O fils de ma honte! ô mon enfant très cher, ô fils de mon sein, pardonne à ta misérable mère!

[...]

MESA: Que vois-tu encore?
YSÉ: O peine! ô douleur poignante!
MESA: Que vois-tu?
YSÉ: O mes enfants! O quelle mère j'ai été pour vous! Je regarde, levant les yeux,
Comment ils regardent pendant que je leur lis tout haut
La chère maman de leurs yeux confiants et tranquilles!
Et je pense que je les ai trompés et abandonnés et assassinés!

[...]

Je ne comprends pas! Je ne suis qu'une femme infortunée! Comment est-ce que tout cela est arrivé?

MESA: C'est l'amour qui a tout fait. Eh quoi? N'est-il plus donc pour nous la seule chose bonne et vraie et juste et signifiante? Est-ce que les mots ont perdu leur sens? et n'appelons-nous plus
Le bien, ce qui facilite
Notre amour, et mal ce qui lui est opposé?

[...]

Et
Puisque tu es libre maintenant,
Et qu'en nous près d'être détruits la puissance indestructible
De tous les sacrements en un seul grand par le mystère d'un consentement réciproque
Demeure encore, je consens à toi, Ysé! Voyez, mon Dieu, car ceci est mon corps!
Je consens à toi! et dans cette seule parole
Tient l'aveu et dans l'embrassement de la pénitence
La Loi, et dans une confirmation suprême
L'établissement pour toujours de notre Ordre.
YSÉ: Je consens à toi, Mesa.
MESA: Tout est consommé, mon âme.
YSÉ: Ne crains donc point.
MESA: Je ne crains point, Ysé.




Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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