L'Encyclopédie sur la mort


L'annonce faite à Marie

Paul Claudel

Paul Claudel (1868-1955) développe une spiritualité chrétienne appuyée essentiellement sur une théologie du sacrifice* et du martyre*. Dans un contexte médiéval de la construction des cathédrales, de l'aventure des croisades et de la plaie des épidémies, l'amour au féminin est une longue ascèse d'autodestruction*, de réclusion et de culpabilité* faite de souffrances physiques et morales. La vie de Violaine, la préférée, est un calvaire librement assumé et parsemé de quelque joie désincarnée qui semble si peu de ce monde. Celle de Mara, sa soeur, la rejetée, une vie de haine et d'amertume. Aux Occidentaux du XXI° siècle, ce théâtre religieux, appelé «mystère», peut paraître baigner dans une atmosphère à peine respirable où la convivialité n'y semble exister qu'entre des hommes qui se donnent du prestige et qui idéalisent la Femme à leur convenance. Pourtant le texte est beau et est capable de nous emporter pour peu qu'on laisse aux comédiens le soin d'exprimer sa densité mystique selon toute sa musicalité.
RÉSUMÉ

Prologue: Violaine salue, au point du jour, le départ de leur hôte, le maçon Pierre de Craon, atteint de la lèpre, en lui donnant un baiser. Mara,sa soeur, la surprend.

Acte I: dans la matinée du même jour, Anne Vercors, le père des deux filles, annonce à sa femme Élisabeth qu'il part pour Jérusalem, et qu'il veut auparavant fiancer Violaine avec un voisin, Jacques Hury.

Acte II: Mara aime Jacques et réussit à semer le soupçon en lui, d'autant plus qu'il apprend de la bouche de Violaine même qu'elle est devenue lépreuse. Après lui avoir manifesté avec véhémence sa réprobation, il la conduit à une léproserie.

Acte III: sept ans plus tard, pendant la veillée de Noël: Mara arrive, apportant à sa sœur, désormais recluse et aveugle, la petite fille qu'elle a eue de Jacques et qui est morte soudainement. La douleur sauvage de Mara arrache à Violaine un miracle: la petite revient à la vie.

ACTE IV: Mais ce miracle redouble la haine de Mara contre sa sœur et, elle veut la tuer en la précipitant dans un grand tas de sable sous la charge de toute une charrette sur elle renversée. Violaine souffrante raconte à Jacques le secret de son enfant mort et revenu à la vie. Elle pardonne à sa soeur. À l'heure où Pierre porte dans ses bras Violaine agonisant, Anne Vercors revient au pays. Mara se justifie devant tous et Violaine meurt dans l'apaisement général.

http://www.paul-claudel.net/oeuvre/annonce-marie.html

EXTRAIT


ANNE VERCORS. - Qu'importe! la paix est bonne, mais la guerre nous trouvera munis.

O Pierre! voici le temps où les femmes et les nouveau-nés en remontrent aux sages et aux vieillards!

Voici que je me suis scandalisé comme un Juif parce que Ia face de l'ÉgIise est obscurcie et parce qu'elle marche en chancelant son chemin dans l'abandon de tous les hommes.

Et j'ai voulu de nouveau me serrer contre le tombeau vide, mettre ma main dans le trou de la croix.
Mais ma petite fille Violaine a été plus sage.

Est·-ce que le but de la vie est de vivre? est-ce que les pieds des enfants de Dieu seront attachés à cette terre misérable?

Il n'est pas de vivre, mais de mourir, et non point de charpenter la croix mais d'y monter, et de donner ce que nous avons en riant!

Là est la joie, là est la liberté, là la grâce, là la jeunesse éternelle! et vive Dieu si le sang du vieillard sur la nappe du sacrifice près de celui du jeune homme.

Ne fait pas une tache aussi rouge, aussi fraîche que celui de l'agneau d'un seul an !

O Violaine! enfant de grâce! chair de ma chair ! Aussi loin que le feu fumeux de ma ferme l'est de l'étoile du matin.

Quand cette belle vierge sur le sein du soleil pose sa tête illuminée,

Puisse ton père tout en haut te voir pour l'éternité à cette place qui t'a été réservée!

Vive Dieu si où passe ce petit enfant le père ne passe aussi!

De quel prix est le monde auprès de la vie? et de quel prix la vie, sinon pour la donner?

Et pourquoi se tourmenter quand il est simple d'obéir?

C'est ainsi que Violaine aussitôt toute prompte suit la main qui prend la sienne.

PIERRE DE CRAON. - 0 père! C'est moi le dernier qui l'ai tenue dans mes bras, car elle se confiait en Pierre de Craon, sachant qu'il n'y a plus désir en son cœur de la chair.

Et le jeune corps de ce frère divin était entre mes bras comme un arbre coupé qui penche !

Déjà comme l'ardente couleur de la fleur de grenade de tous côtés se fait voir sous le bourgeon qui ne la peut plus enclore,

La splendeur de l'ange qui ne sait point la mort s'emparait de notre petite sœur.

Et l'odeur du paradis entre mes bras s'exhalait de ce tabernacle brisé.

- Ne pleure point, Jacques, mon ami.

ANNE VERCORS. - Ne pleure point, mon fils.

JACQUES HURY. - Pierre, rends-moi cet anneau qu'elle t'a donné.

(Paul Claudel, L'Annonce faite à Marie, Paris, Gallimard, 1968, Acte IV- Scène V, p. 178-179)
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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