L'Encyclopédie sur la mort


La mort sara

Robert Jaulin, La mort sara, L'ordre de la vie ou la pensée de la mort au Tchad, Paris, Plon, CNRS, « Terre Humaine », 2011 (1967 et 1981).

Robert Jaulin (1928-1996) était un ethnologue engagé contre la politique et la pratique de qu'il appelait l' « ethnocide », il a créé à l'université Paris VII l'unité de recherche et d'enseignement d'ethnologie, d'anthropologie et de sciences de religions à laquelle ont participé Jean Rouch. Michel de Certeau, J.T. Desanti, Jean Malaurie, etc.

Les vents m'ont poussé vers le Tchad. En 1954, je fis ma première enquête; soucieux de tout ce qui concernait les Sara, je m'informai de l'initiation, comme je m'informai des jeux d'enfants, de l'organisation pénale, des quantités de mil consommées et de maints détails ou aspects de la vie des gens du Moyen-Chari (o.c., p. 15).

Les morts envahissent l'univers sara, habitent les vivants : la société des Indiens Bari produit l'effet contraire. La présence des morts y est abstraite, vécue paisiblement et non de façon ostentatoire, abusive, envoûtante et quasi physique. Les pleurs, les cris, la souffrance sont réduits ou dominés; le veuvage ne paralyse pas l'individu, ses sens et son corps, il ne concerne que l'esprit, le souci collectif d'ordre : la veuve bari est vite reprise sexuellement en charge par un parent de son défunt mari, mais elle reste à l'emplacement familial qui détermine une loi de voisinage au terme de laquelle tout chef de famille doit avoir pour voisin un allié et non un parent; le mari est donc même mort, abstraitement synbolique de ce lieu où demeure l'épouse (o.c., p. 262-263).

[...]

La femme sara accompagne la mort de ses cris, de son corps, alors que l'homme oppose son esprit, affirme le désordre, le scandale. Les attitudes de l'homme et de la femme saras sont différentes et complémentaires, alors que celles de l'Indien et de l'Indienne sont semblables. Selon que l'unité sociale, le quartier sara, est générée à partir d'hommes de même sang - frères réels ou classificatoires - ou que l'unité sociale, la maison collective bari, entrecroise et équilibre les paternels et les maternels - tous mâles -, le traitement de la mort opposerait ou non mâles et femelles. Les femmes sara tentent de se mutiler lors des enterrements, tout en ayant soin de n'y point parvenir, sinon on en déduirait que la mort - justice non point transcendante mais immanente car le monde des cadavres est inséré dans celui des vivants - se venge ou tout du moins désigne la coupable en provoquant le contre-versement d'un sang équilibrant le sien.

L'outrance des pleurs et des cris, la dureté du veuvage et les violences n'ont-elles pas toutes pour objet d'affirmer (affirmation logique) l'innocence de cet adversaire potentiel qu'est tout allié, en l'occurrence l'épouse, qui représente son groupe puisque les hommes, ses frères, sont absents de l'unité sociale en laquelle elle vit - le quartier marital. À l'inverse de la solution bari, où la femme est non seulement près de son mari et des alliés mais encore près de son frère et de ses parents.

Les relations entre unité et résidence, traitement de la mort, organisation des mariages et éducation des enfants - initiatique ou progressive -, pour être rigoureuses ne sont néanmoins pas totalement déterminées et disposent d'un certain coefficient de la liberté. D'autre part, il est évident que l'examen de la société et de l'initiation nous a conduit dans une certaine direction que nous n'avons fait qu'indiquer ici. Il faudrait se référer de façon attentive à des modèles sociaux bien différents avant de procéder à une réduction formelle qui permette tout à la fois de rapprocher et d'opposer diverses structures. Les réflexions précédentes ne sont que de vagues indications.

Répétons-le, ce livre aimerait se prétendre une étape - s'il ne craignait les illusions du lendemain (o.c., p. 263-264).

 

 

Date de création:2012-03-28 | Date de modification:2012-03-28

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