L'Encyclopédie sur la mort


La conservation des souvenirs privés

David Charles Sloane

Le titre complet de cet article est le suivant : « La conservation des souvenirs privés. Le cimetière américain et la commémoration publique », paru dans la revue Frontières, volume 7, n° 3, hiver 1995, p. 18-23. L'auteur est professeur adjoint. School of Urban and Regional Planning, University of Southern California.

UNE VISION NÉBULEUSE DE LA MÉMOIRE COLLECTIVE
Les milieux universitaires se sont beaucoup penchés récemment sur les expressions collectives de la mémoire et de la tradition. Soutenus par des travaux de grande envergure menés par des historiens européens et britanniques, les chercheurs nord-américains se sont livrés à une recherche approfondie des processus de développement de la production. Le livre de Michael Kammen, intitulé Mystic Chords of Memory: The Transformation of Tradition in American Culture, illustre bien cette nouvelle discipline. Il a valu à son auteur le prix Pulitzer et a été considéré comme un ouvrage de base pour toute recherche future portant sur la mémoire collective, la tradition, la commémoration et la conservation aux États-Unis, Kammen y décrit la montée d'une véritable industrie de la tradition à partir des origines naïves dejà nation démocratique. Tout au long des sept cent quatre pages de ce livre, il passe en revue un grand nombre d'institutions, d'individus et d'événements mais, ironiquement, fait à peine mention du cimetière en tant que lieu de commémoration de la mémoire individuelle ou collective.

Lorsqu'une nation érige un monument en l'honneur d'un chef disparu ou de vaillants soldats, elle grave ainsi dans la mémoire collective le nom de celte personne ou de cet événement. Certains événements controversés, tels que la guerre du Vietnam ou la Ligue des droits civils, sont illustrés par des monuments qui les évoquent, grâce à l'insertion dans le présent d'un passé que font renaître historiens, conservateurs de musées, politiciens ou même citoyens ordinaires. Il arrive parfois que le passé, tel que certains individus ou générations le représentent, soit contesté par des contemporains ou des écrivains qui, dans une période ultérieure, se penchant à nouveau sur telle personne ou tel événement, le voient sous un angle différent. La mémoire publique du passé se bâtit à partir d'une variété d'institutions et d'individus travaillant parfois ensemble mais parfois aussi en compétition. De ces échanges surgit une certaine compréhension du passé, un certain nombre d'événements dont on choisit de se souvenir et qui constituent la mémoire collective de la société.

Le fait que Kammen exclue le cimetière privé de sa réflexion sur la mémoire collective et la commémoration est propre aux études académiques. Les chercheurs, en effet, ont plutôt orienté leurs travaux vers certains sujets tels que les monuments publics (par exemple le Mémorial des vétérans du Vietnam), la conservation de certains lieux historiques (comme à Williamsburg en Virginie), et certains événements communautaires (tels que les défilés religieux dans les quartiers italiens à Pittsburg au début du XXe siècle). On a défini la mémoire collective à partir d'événements ou d'artéfacs à caractère public ou impliquant les membres d'une communauté. On a fait peu de cas de la contribution d'institutions privées ou même de la vie privée des gens à la mémoire collective. Ainsi Kammen et d'autres auteurs, dans leur chronique de la mémoire collective, en écartant le cimetière, ont mis en danger la survie d'une institution culturelle majeure, souvent considérée de façon étroite comme une simple entreprise commerciale se suffisant à elle-même.

L'oeuvre de Kammen souffre de cette omission. Les lieux de sépulture, comme nous en témoignons dans cet article, ont joué un rôle primordial dans la définition et l'enrichissement de la mémoire collective et des traditions américaines. Bien avant l'érection de monuments le long du National Mail de Washington, D.C., certains cimetières privés érigeaient des statues pour honorer les fondateurs de la cité et les héros de la guerre de la Révolution. Longtemps après que certains critiques d'art eurent traités les monuments publics de simples reliques d'une pensée révolue, on vit des cimetières privés ériger des mémoriaux en l'honneur de groupes de citoyens éminents et de vétérans de la guerre du Vietnam. Le lieu de sépulture a toujours constitué un endroit qui permet à la mémoire collective d'exprimer les traditions communes et les valeurs fondamentales de la communauté et de la nation.

Suite de l'article

UNE NATION DÉMOCRATIQUE

PARCS MÉMORIAUX ET VALEURS COLLECTIVES

UNE INSTITUTION MENACÉE
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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