«Paul Chanel Malenfant (1950-), professeur de littérature à l'université du Québec à Rimouski, poursuit avec Rue Daubenton un itinéraire de mémoire mettant en scène des souvenirs réels ou inventés. Par effet de contrepoint surgissent au fil de la plume des faits marquants de l'enfance, de l'apprentissage de la mort à celui de l'écriture, de l'écoute de la mer à la rêverie du silence du père» (op. cit., page 4 de la couverture).
Je n'ai pas vu mon père mourir. J'ai vu mon père mort.
Dies irae. Devant le corps de mon père mort, j'ai été encombré de mon propre corps. J'étais là. Papa n'y était plus. Et cette partie de moi-même qui était moi vivant venait de lui. Mort.
Impossible d'imaginer la solitude où s'est soudain trouvée ma mère. Entre le silence éperdu et l'aveuglement. Quand je l'ai vue sortir de la chambre, toute de noir vêtue, il m'a semblé qu'elle portait, d'elle-même, le deuil. Devant la tombe, ses gestes nerveux. (Elle tournait, à l'annulaire, ses anneau d'or. Ou elle tâtait, de sa main gauche tremblante, un petit bijou d'argent qu'elle voulait mettre à son revers et dont elle avait, par maladresse et tremblement, brisé l'épingle.)
Dehors, un vent d'aubépine. Un oiseau sur le sable de l'allée. Les draps noirs tendus aux fenêtres de l'église. Les nuages d'encens. Les grandes orgues. Rumeur de marche militaire.
J'avance au bras de ma mère veuve voilée de noir. Je suis un orphelin de vingt-quatre ans, je sais que je n'aurai pas de fils, et je rêve de devenir écrivain. Intérieurement, je répète, la remaniant, décalque de ma dérive, la phrase inaugurale, laconique, de L'Étranger d'Albert Camus: Aujourd'hui, papa est mort.
Dies irae. Devant le corps de mon père mort, j'ai été encombré de mon propre corps. J'étais là. Papa n'y était plus. Et cette partie de moi-même qui était moi vivant venait de lui. Mort.
Impossible d'imaginer la solitude où s'est soudain trouvée ma mère. Entre le silence éperdu et l'aveuglement. Quand je l'ai vue sortir de la chambre, toute de noir vêtue, il m'a semblé qu'elle portait, d'elle-même, le deuil. Devant la tombe, ses gestes nerveux. (Elle tournait, à l'annulaire, ses anneau d'or. Ou elle tâtait, de sa main gauche tremblante, un petit bijou d'argent qu'elle voulait mettre à son revers et dont elle avait, par maladresse et tremblement, brisé l'épingle.)
Dehors, un vent d'aubépine. Un oiseau sur le sable de l'allée. Les draps noirs tendus aux fenêtres de l'église. Les nuages d'encens. Les grandes orgues. Rumeur de marche militaire.
J'avance au bras de ma mère veuve voilée de noir. Je suis un orphelin de vingt-quatre ans, je sais que je n'aurai pas de fils, et je rêve de devenir écrivain. Intérieurement, je répète, la remaniant, décalque de ma dérive, la phrase inaugurale, laconique, de L'Étranger d'Albert Camus: Aujourd'hui, papa est mort.