Réconciliation d’un Québécois de souche avec son père immigrant

Stéphane Stapinsky

 

Voici que je te parle

Après des années de silence...

Czeslaw Milosz

 

 

Cher père,
 
Voilà bien longtemps que nous n’avons pas jasé de politique. Depuis ton décès survenu il y a maintenant vingt ans. 

 
Je sais que tu n’aimais pas trop aborder ces sujets-là. Originaire de Pologne, ton père était ukrainien, ta mère polonaise, et tu comparais souvent la rivalité entre Polonais et Ukrainiens dans ta Galicie natale aux affrontements entre Québécois et Canadiens. Tu avais aussi connu la guerre. Ton village d’origine, Bolestraszyce, était situé tout près de la ville de Przemyśl, sur le bord de la rivière San, ligne de démarcation entre les zones allemande et soviétique après le partage de la Pologne de 1939. Une communauté juive importante y vivait avant le conflit, qui a été exterminée lors de l’Holocauste. On trouve encore aujourd’hui dans la région plusieurs de ces cimetières juifs abandonnés, dont la seule vue vous étreint l’âme.

Dans un Canada anglophone...

Tu as quitté l’Europe à la fin de la guerre, dans la jeune vingtaine, et tu es arrivé ici – c’est-à-dire au Canada – et tu t’es établi à Montréal, dans un quartier, Pointe Saint-Charles, où il y avait déjà plusieurs autres Ukrainiens. J’ai vu, dans les albums de famille, des photos des banquets et des fêtes que les organisations ukrainiennes y organisaient. Pointe Saint-Charles, c’était aussi un quartier canadien-français, peuplé d’ouvriers comme toi. Sans doute en as-tu rencontrés. Nous n’en avons jamais parlé.
 
 Tu es de la génération de ceux qui, s’installant au Canada, arrivaient dans un pays anglophone. J’ai vu tes documents d’immigration. Tout y est rédigé dans la langue de Shakespeare. D’ailleurs c’est la langue que tu as parlée toute ta vie, même si, sur le tard, tu as fini par être en mesure de suivre nos conversations en français. Il faut dire que ce ne sont pas les Ukrainiens alors installés au pays qui t’auraient montré une autre voie. Ce n’est en effet que tout récemment que j’ai croisé des Québécois d’origine ukrainienne parlant français. 
 
Si je me souviens bien, tu avais rencontré ma mère dans un bar de l’ouest de l’île de Montréal, un coin anglophone. Ça ne me surprend pas puisque, même à cette époque, il était plus fréquent de voir un francophone parler anglais qu’un anglophone faire l’inverse. Tu ne devais pas trop avoir conscience à ce moment-là de qui était réellement son oncle, le chanoine Lionel Groulx. On a dû te dire que ce prêtre-historien avait une grande notoriété chez les Canadiens français. Je me souviens de ton trouble en 1991, dans les derniers mois de ta vie, alors que tu prenais connaissance, dans la Gazette, des propos de Mordecai Richler et d’Esther Delisle sur l’antisémitisme présumé de Groulx. Tu as dû être quelque peu perplexe quand on le présentait comme un raciste forcené, un opposant virulent aux mariages mixtes (qu’il avait évoqués dans son « infâme » roman L’Appel de la race). Tu as dû être perplexe en lisant tout cela puisque c’est lui, le chanoine haineux, qui vous avait mariés en 1961, ma mère et toi, et dans une église grecque-catholique ukrainienne de Montréal de surcroît, entouré de prêtres ukrainiens. Rien n’obligeait ce vieil homme de 83 ans à faire ce geste, même pour une de ses nièces; il aurait très bien pu se désister en raison de son état de santé. Groulx, que certains présentent comme le pire des catholiques rétrogrades, comme un affreux moraliste de l’ancien régime, avait pourtant obtenu, des autorités vaticanes, l’annulation d’un premier mariage que tu avais contracté (ta première femme ne se faisait pas au mode de vie nord-américain), vous facilitant ainsi grandement la vie. Il avait donc présidé aux épousailles d’un méchant divorcé…
 
Comme beaucoup d’immigrants de ta génération, le pays qui t’avait accueilli, c’était le Canada. Le Québec, c’était pour toi une province comme une autre, une division administrative, à peu de chose près. Aussi, n’avais-tu pas de sympathie pour les aspirations nationales des Québécois. Au référendum de 1980, tu faisais partie des 60% de la population qui avaient dit non. À la toute fin de ta vie, je dois le dire, tu étais quelque peu perplexe, parce que, après la chute du mur de Berlin, l’Ukraine avait recouvré son indépendance politique. Ce qui était bon pour les Ukrainiens…
 
Vingt ans ont passé, et l’échec du lac Meech, et puis un autre référendum perdu par les souverainistes. Sur le plan économique, nous sommes maintenant à l’ère de la mondialisation. Si tu avais été plus jeune, tu aurais sans doute perdu ton emploi, tu aurais dû te réorienter, car ton domaine d’activité, l’industrie textile, a connu ici une véritable hécatombe.

Un débat qui te rappellerait bien des choses...

Depuis quelques mois, le Québec est à nouveau plongé dans un autre de ces débats dont il a le secret. Tu te trouverais en fait en terrain familier. Les lignes de partage entre les camps sont les mêmes, à quelques nuances près, que celles que tu as connues de ton vivant. Comme à l’époque de l’adoption de la loi 101, à laquelle tu étais fermement opposé. L’Union nationale a maintenant été remplacée par l’ADQ, qui est devenue aujourd’hui la Coalition Avenir Québec. 
 
J’en viens au sujet de cette lettre. Le gouvernement du Parti québécois, formation politique que tu n’aimais vraiment pas, dirigée par une femme, Pauline Marois, a présenté récemment un projet de charte des valeurs destiné aux citoyens québécois et en particulier aux membres des communautés culturelles et aux immigrants de fraîche date. Cette charte, qui met de l’avant la laïcité de l’État, vise notamment à baliser l’usage de symboles religieux ostentatoires dans les institutions publiques. Elle concerne les communautés ethniques au premier chef, mais pas uniquement. Même les chrétiens y sont assujettis. Il faut rappeler une chose importante, car il y a beaucoup de désinformation à ce sujet de la part des adversaires de la charte: pas plus que la loi 101 ne cherchait à faire interdire l’usage de l’anglais dans la société québécoise, cette charte ne vise pas à empêcher quiconque, dans sa vie de tous les jours, chez lui ou à son travail – sauf s’il est au service de l’État – d’arborer des signes religieux.

 
La présentation de cette charte s’inscrit dans le prolongement direct de la crise des accommodements dits raisonnables de 2007-2008 et du rapport de la commission dirigée par l’historien Gérard Bouchard et le philosophe Charles Taylor qui avait la prétention de l’éclairer. Un rapport que le gouvernement de Jean Charest a pour ainsi dire mis sur les tablettes. Cette charte des valeurs se présente comme une solution à certains des problèmes soulevés lors de cette crise des accommodements.

Je dois te dire que tout l'exercice risque de se révéler finalement assez vain, puisqu’il est très peu probable que le projet de charte passe au travers de l’ensemble du processus législatif dans le contexte de cette administration minoritaire. Mais le mérite du gouvernement péquiste aura tout de même été de mettre à l’avant-plan, avec courage – ce qui contraste avec le climat de lâcheté morale de l’administration libérale précédente, pour ne rien dire de plus –, un problème dérangeant, que bien trop de gens veulent voir balayer sous le tapis.

Ce débat, il est comme tous les débats dont je me souvienne depuis que je suis en âge de suivre la politique : on y recycle les mêmes idées sous de nouveaux oripeaux, on censure, on diabolise l’adversaire, sans que rien ne soit jamais réglé. Ce qui est le plus décourageant, c’est le caractère prévisible des positions des uns et des autres, et des arguments utilisés pour soutenir l’une ou l’autre position. On a l’impression de tourner toujours autour du même pot. Pour le vérifier, il suffit d’aller voir ce qu’on disait à l’époque des « accommodements raisonnables ». Je suis sûr que les débats au moment de la loi 101 devaient être de la même eau. Le copier-coller de nos ordinateurs déteint manifestement sur nous...
 
Comme toujours, les libéraux québécois et les autres partis pro-canadiens sur la scène fédérale, les meilleurs garants du système multiculturaliste, s’opposent vigoureusement au projet. Position bassement intéressée de la part des libéraux, tant fédéraux que provinciaux, puisqu’ils ont pris l’habitude de rafler la quasi-totalité des votes desdites « communautés culturelles » – une situation que j’ai toujours trouvé des plus malsaines – et c’était vrai même de ton vivant. Seule la Coalition Avenir Québec, qui a pris le relais de l’ex-Action démocratique du Québec, appuie avec moult réserves le gouvernement dans sa démarche. Pour des raisons électoralistes, bien évidemment. Difficile de croire aujourd’hui que c’est la première mouture de ce parti, l’ADQ, qui a lancé en 2007, le débat sur les accommodements raisonnables… Mais, on peut se poser la question : ses électeurs suivront-ils la politique de réserve des dirigeants du parti ?
 
On voit bien des absurdités dans le cadre du débat actuel. La position de la gauche, par exemple, qui est tout à fait critique de l’initiative gouvernementale. Comme l’écrit avec justesse un commentateur, « la gauche québécoise (a) intériorisé le discours public dominant du multiculturalisme », elle « ne défend plus une laïcité d'inspiration républicaine qui aura jusqu'à récemment toujours été associée au progressisme ». C’est vraiment le monde à l’envers : la gauche québécoise du même bord que l’Église catholique qu’elle n’a cessé de pourfendre, du même bord aussi que celui des intégristes musulmans…

Autre prise de position délirante : pour Yves Lavertu, historien estimable mais journaliste des plus contestables, « les assises historiques de la Charte des valeurs sont (…) à chercher du côté de l'abbé Groulx ». Incroyable! : accuser le prêtre Groulx d'être l'inspirateur d’une charte qui met de l’avant la laïcité de l’État québécois! Décidément, notre Chanoine est vraiment un démiurge qui a enfanté l’ensemble de la réalité québécoise d’hier et d’aujourd’hui, de l’intégrisme religieux à la laïcité radicale. Si tu le rencontres là-haut, il doit bien rire de tout cela. Près de cinquante ans après sa mort, certains croient donc qu’il est toujours vivant… Il est véritablement l’Elvis du nationalisme québécois…
 
Dans les médias d’ici, pétris de progressisme et de canadianisme, une opposition transparaît chez une majorité de leaders d’opinion, d’éditorialistes et de chroniqueurs, quant à l’opportunité et au contenu même du projet de charte. On dénonce l’électoralisme du gouvernement. On ressort la ribambelle d’accusations rituelles, dont tu as pu prendre connaissance par le passé, lors d’autres querelles intra-québécoises : le populisme (ce vice des populations qui ne s’aplatissent pas devant les désirs de leurs maîtres), le racisme, la xénophobie, avec son cortège de qualificatifs : frileux, replié sur soi, fermé, etc. En somme, les prises de position habituelles mises au service des mêmes intérêts. Tout cela baigne dans la bien-pensance, la soumission la plus complète aux « valeurs » de l’époque. Tout cela est de l’aplatventrisme pur et simple. Pour tous ces commentateurs, « au Canada et au Québec multiculturels, rien, surtout, ne doit changer ». 

Autour de moi, les commentaires les plus souvent entendus sur la charte sont négatifs. Pourtant, d’après les sondages, lorsqu’on considère certains aspects spécifiques de celle-ci, on obtient des résultats qui vont dans le sens de la proposition gouvernementale. Aurais-je rencontré une concentration particulièrement élevée d’opposants, ou bien les gens trouveraient-ils bien, trouveraient-ils chic, d’en dire du mal en public, tout en l’appuyant en privé ? Je ne sais trop.

Des opposants qui me laissent perplexe...

Je te dirai que, même si, pour plusieurs raisons, je suis critique de cette charte et de certains aspects de la démarche du gouvernement, je n’entends pas me joindre à la cohorte de ceux qui dénoncent le projet.
 
Au vu des images des manifestations de ses opposants, je serais bien mal à l’aise en pareille compagnie. Ces parades « spontanément planifiées » sentent par trop l’hypocrisie. On se drape dans le fleurdelisé parce que ç’aura de l’effet dans les médias, mais on n’oserait jamais l’accrocher à son balcon un 24 juin. C’est trop beau pour être vrai. On professe un attachement au Québec, à la démocratie, à l’égalité qui ne me paraît pas évident en dehors de ces démonstrations.

 

Manifestation d'opposants à la charte des valeurs québécoises, organisée au centre-ville de Montréal, le 14 septembre 2013

Auteur: Matias Garabedian. Fichier disponible selon les termes de la licence Creative Commons Paternité – Partage des conditions initiales à l’identique 2.0 générique


Ce qui est assez troublant, c’est de voir, dans plusieurs manifestations, des femmes voilées en première ligne, et les hommes à l’arrière. Comme si l’on voulait absolument nous faire croire qu’elles avaient, au sein de ces communautés, un statut très important. Ça sent la manipulation à plein nez.
 
Une autre chose me frappe. J’en ai glissé un mot plus haut mais il importe de le répéter : à ne lire que les pancartes des gens qui prennent part à ces protestations, à entendre leurs propos, on a vraiment l’impression que le gouvernement péquiste veut interdire tous les symboles religieux partout et en tout temps. Ce qui n’est évidemment pas le cas. Mais c’est vraiment l’impression qu’on a et je pense que c’est celle que les organisateurs de ces manifestations veulent implanter subrepticement dans les esprits. Car c’est en entretenant la confusion qu’ils sont les plus susceptibles de mobiliser des opposants. A l’époque de la loi 101, je me souviens très bien que tu m’avais dit, un jour, que le Parti québécois projetait d’interdire aux anglophones de parler l’anglais au Québec. Rien de moins. Bien sûr, là encore, c’était une fausseté totale. Mais je puis très bien comprendre, aujourd’hui, comment tu as pu gober cela. Le même mécanisme est à l’œuvre dans le débat actuel.  

Une pareille confusion me paraît régner avec l’accusation d’« islamophobie » qu’on porte à l’endroit des Québécois. Parler d’« islamophobie » en général, arrange certaines personnes parce que, encore une fois, on brouille tout. Il est vrai que beaucoup de Québécois ont un rapport malaisé avec l’islam. Mais ce fait n’est pas propre au Québec. C’est une réalité occidentale. Par ailleurs, ce n’est pas tant, à mon avis, d’un rapport malaisé avec l’islam dont il faudrait parler, que d’un rapport malaisé avec une variété extrémiste, radicale, fondamentaliste de l’islam. Oui, bien des gens ont de la difficulté à admettre qu’une femme puisse circuler en société en étant entièrement voilée. Moi y compris. Oui, bien des gens trouvent inacceptable que soient mis sur pied, sur notre territoire, des cours religieuses qui ont juridiction, par exemple, sur les mariages de telle ou telle communauté immigrante. Moi y compris. Avant de prétendre que les Québécois sont « islamophobes », il faut dissiper cette confusion et bien voir de quoi l’on parle. 

J’ai par ailleurs été dégoûté de voir le philosophe de réputation internationale, Charles Taylor, ancien président de la commission sur les accommodements raisonnables, prendre part à l’une de ces « manifestations monstrueuses (…) qui font de nous, Québécois, des suppôts de l’intolérance », au milieu de femmes en foulard et d'immigrants enturbannés, dont plusieurs tiennent en piètre estime, c’est un euphémisme de le dire, les droits de la personne auxquels l’intellectuel se réfère constamment. J’imagine ce qu’un écrivain génial comme Philippe Muray aurait pu tirer de ce rapprochement. Je te l’avouerai, à ce moment-là j’ai perdu le respect que j’avais encore pour Taylor. 
 



La semaine précédente, à Québec, on avait pu lire, sur une pancarte, lors d’une manifestation organisée par les mêmes groupes, ces propos véritablement infâmes : «Ne nous laissez pas seul-e-s avec les Québécois de souche». Cette haine a été accueillie par l’indifférence des médias, des leaders d’opinion, des personnalités politiques. Personne n’a dénoncé ces paroles traduisant un mépris effrayant pour la majorité de la population québécoise, celle qui a simplement le tort de ne pas être issue de l’immigration. On peut seulement imaginer le tollé dans les médias internationaux qu’aurait causé une manifestation, organisée par un autre regroupement, où l’on aurait pu lire, par exemple, « Débarrassez-nous des immigrants, ou des Noirs, ou des asiatiques »… Mais il ne s’agit ici en l’occurrence que des Québécois francophones…

Ces propos témoignent par ailleurs d'un total aveuglement de la part de ceux qui les prononcent (ou est-ce une suprême manipulation de leur part?) quant à leur propre situation. En effet, n'est-il pas évident que ces communautés culturelles, par définition, sont des communautés « de souche »? L'inconscience de ces gens est proprement stupéfiante.
 
Tu as toi-même connu en ton temps, en Europe, les conflits ethniques. On essaie souvent de culpabiliser les Québécois en leur disant qu’ils se créent des problèmes que les autres n’ont pas.  Mais c’est inexact. Dans tous les pays occidentaux la gestion de la diversité ethnique et religieuse pose aujourd’hui des problèmes aux gouvernements et aux populations majoritaires. Dans tous les pays où il est appliqué, le multiculturalisme génère des dysfonctionnements et des tensions sociales : en France, aux États-Unis, en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne, dans les pays scandinaves, en Australie, etc. Dans les pays qui l’ont adopté récemment comme dans ceux qui font l’expérience de la diversité depuis longtemps. Tant de pays, tant de gens peuvent-ils être tous dans l’erreur ? L’histoire du XXe siècle nous a appris que des peuples entiers pouvaient parfois errer. Mais je ne crois pas qu’autant de gens dans autant de pays, en dépit du matraquage idéologique des médias, des groupes de pression, de certains partis politiques, soient tous dans l’erreur.
 
Je pense que la mondialisation, qui commençait à se mettre en place au moment où tu nous as quittés, avec la dissolution des frontières qu’elle implique – libre circulation de tout et de n’importe qui – contribue à créer, dans les populations, une grande inquiétude.

Les torts et les responsabilités sont partagés...

Cela étant dit, il ne faut pas faire preuve d’angélisme. Les Québécois francophones ont toujours eu un rapport ambivalent avec les immigrants et les « communautés culturelles ». On verra plus loin les raisons historiques de cette attitude. Il y a du racisme au Québec, comme il y en a dans toutes les sociétés. Dire cela, ce n’est pas le banaliser. La situation des Noirs et des autres « minorités visibles » est particulièrement difficile au quotidien, c’est un fait. Tu as toi-même été victime de ce racisme lorsque tu es arrivé ici.
 
Certains Québécois dits « de souche » expriment des reproches à l’endroit des immigrants. J’en parle plus loin. Mais il ne faudrait surtout pas oublier la part de responsabilité que nous avons dans le fouillis actuel.
 
On critique souvent les ghettos ethniques, avec raison. Mais ces ghettos, bien souvent, nous, de la communauté majoritaire, portons aussi une part de responsabilité dans leur création. Avons-nous toujours accepté la rencontre avec l’immigrant ? Sommes-nous toujours allés, quand il le fallait, à sa rencontre ? Si, à chaque fois qu’un Noir, qu’un Arabe, un Chinois cogne à notre porte afin de louer un logement, on lui referme ladite porte sur les doigts, il n’est que normal que, pour échapper au mauvais sort, ils se rapprochent de ceux qui leur ressemblent le plus, les personnes ayant la même origine ethnique. Il s’agit d’une simple stratégie de survie.

Mais, à mon sens, l’essentiel de nos problèmes dans nos relations avec les communautés culturelles et les immigrants résulte du fait que nous avons été, collectivement, incapables de trancher la question nationale de la bonne manière, à savoir de faire le choix de l’indépendance. Quand tu as mis pied à terre en Amérique, tu es entré, à l’époque, dans un seul pays, le Canada, où tout se faisait en anglais ou presque. Aujourd’hui, l’immigrant qui s’installe au Québec, lorsqu’il en franchit la frontière, arrive en fait dans deux pays, le Canada et le Québec, ayant chacun leur approche de la diversité, leurs buts et leurs règles en matière d’immigration, leur politique linguistique distincte, leur explication de l’histoire différente, etc. Je puis comprendre que, encore aujourd’hui, certains immigrants qui s’installent au Québec ne parlent que l’anglais et portent sans gêne le voile ou le turban. Ils sont entrés par la porte canadienne, qui leur a parlé de multiculturalisme, de bilinguisme d’un océan à l’autre, etc. Ceux qui empruntent cette porte sont sans doute les plus nombreux mais, heureusement, depuis quelques années, on voit de plus en plus de nouveaux-venus emprunter la porte québécoise. Mais tant qu’il y aura ces deux portes, comment s’étonner que les immigrants aient le tournis ? C’est ma conviction, et je ne suis pas seul à la partager : si le Québec était indépendant, cela simplifierait grandement les choses en uniformisant les règles permettant d’obtenir la citoyenneté. Tout ne serait pas réglé, loin de là. Le contexte géopolitique serait le même. Mais les choses seraient plus simples pour l’immigrant.
 
Certains esprits malveillants ont une curieuse façon de poser le problème du racisme, en le mettant en rapport avec les clivages politiques. Si l’on suit leur logique tordue, on pourrait être amené à se demander si le racisme serait davantage le fait des souverainistes que des fédéralistes et des partisans du multiculturalisme. Mon expérience personnelle ne me permet d’établir aucun rapport précis, causal entre les deux. J’ai entendu un jour les pires propos antisémites de ma vie de la bouche d’un partisan acharné du Parti libéral fédéral, qui avait pourtant épousé une femme d’origine asiatique.

Il est vrai, les milieux nationalistes, surtout le « vieux nationalisme », ont souvent eu des rapports malaisés avec les immigrants. Je t’expliquerai plus bas comment je comprends ce phénomène. Dans les années 1970 et 1980, un nom comme le nôtre, Stapinsky, ne passait pas inaperçu, même si je n’avais pour ma part aucun accent étranger discernable. Durant mon cours primaire, j’étais, dans certaines classes, le seul à posséder un nom avec une consonance étrangère, hormis deux ou trois Italiens d’origine. Même s’il y avait déjà, dans la classe politique, des Ferretti et des Burns, lors de ma fréquentation des milieux nationalistes de l’époque, mon nom en faisait tiquer quelques-uns. Je l’avais remarqué lorsque j’assistais à des événements sociaux, à la Fondation Lionel-Groulx ou à la Saint-Jean-Baptiste. On voulait bien passer outre en raison de mon lien de parenté avec l’illustre chanoine. Mais je dois dire qu’avant la fin des années 1980, toute cette méfiance était disparue. Mon patronyme ne jurait plus…

Mais j’aurais tort de n’évoquer que cet aspect négatif. Je pense que tu as fini par le reconnaître : les Québécois, nationalistes y compris, sont, à juste titre, réputés pour leur tolérance (d’aucuns diraient même que leur tolérance va jusqu’à la faiblesse, comme on dit de la « bonnasserie »). S’il est un reproche qu’on ne saurait leur faire, c’est bien de dire qu’ils manquent d’ouverture face aux diverses cultures du monde … Mais tout n’est pas parfait. Il y a des violents, des extrémistes, comme dans tous les pays.
 
Une angoisse justifiée de l’assimilation
 
Certaine personnes, notamment de l’étranger, qui nous connaissent un peu superficiellement, s’étonnent parfois du fait que les Québécois francophones soient à ce point anxieux quant à l’avenir de leur nation et à celui de leur langue. Qu’ils soient aussi hypersensibles face à une question comme l’immigration. Toi-même tu comprenais mal cette réaction.
 
Il faut le rappeler, cette anxiété, cette angoisse même, n’est pas un sentiment imaginaire, une vue de l’esprit fantasmée, une exagération, comme on ose parfois le prétendre. Pour la comprendre, un détour par l’histoire s’impose. On peut dire qu’elle est apparue, dans notre histoire, avec la conquête britannique, et qu’elle s’est nourrie de la dure réalité des nombreuses tentatives d’assimilation qui furent mises en œuvre durant plus de deux siècles par les nouveaux maîtres de la colonie et par les dirigeants du Dominion du Canada qui ont pris leur relais. Ce phénomène ne doit pas t’être complètement étranger. Dans le coin où tu es né, à la confluence des empires austro-hongrois et russe, des politiques d’assimilation linguistique ont aussi été mises en œuvre.

Pour la plupart des lecteurs, cette histoire est connue, et je m’excuse d’avoir à évoquer encore une fois ces faits. Mais les nouveaux arrivants, les immigrants ne la savent peut-être pas assez. Comme l’écrit l’historienne Lucia Ferretti à propos d’un ouvrage récent de Marcel Martel et Martin Pâquet, « On a beau connaître l’histoire des rapports de forces linguistiques au Canada, il y a de quoi être glacé à la lire en concentré (…). Que de haine contre le français, les Acadiens, les Québécois et les francophones de partout en ce pays, une haine ancienne et malheureusement toujours neuve ! » En cette période d’amnésie historique, en particulier chez les jeunes générations, ce rappel n’est peut être pas complètement inutile.

Le moment-clé, le texte archétypal qui expose cette volonté délibérée d’assimilation dans toute son amplitude, c’est bien sûr le rapport de lord Durham, remis au gouvernement britannique à la suite des rébellions de 1837 et 1838. « Peuple sans histoire et sans littérature ». Donc peuple sans avenir.
 
 Disons un mot de lord Durham. Une certaine tradition nationaliste en a fait l’exemple parfait de l’Anglais raciste et dominateur, qui, emporté par sa haine, veut éradiquer toute trace de la vie française en ce pays. En fait, c’était loin d’être le cas. Comme le rappelle l’historien Gilles Laporte, Durham était plutôt une figure éclairée, et s’il prônait l’assimilation, c’était, de son point de vue, pour assurer un avenir aux Canadiens français, c’était, en somme, pour leur venir en aide. Il ne faut donc pas lire son rapport comme un bréviaire de la haine.
 
Le sociologue Marcel Rioux en rappelait les grandes lignes dans son ouvrage célèbre, La question du Québec. Permets-moi de le citer, même si c’est un peu long :
 
«Durham constate qu'il était venu au Canada en pensant trouver un conflit entre le peuple et l'exécutif, mais qu'au lieu de cela, il avait trouvé « deux nations se combattant au sein d'un même État : je trouvai un conflit non de principes mais de races »... « Le désaccord national s'impose à tous les sens, irrésistiblement et de façon palpable, comme l'origine ou l'essence de toute dispute qui divise la société, nous découvrons que les dissensions qui semblent avoir une autre origine ne sont que des formes différentes de cette querelle constante qui pervertit tout, et que toute contestation en est une de Français et d'Anglais dès le début ou le devient avant la fin. » »
 
Durham suggère aux autorités britanniques une recette qui s'avèrera durable en politique canadienne :
 
« Le remède de Durham est simple : il propose l'assimilation du Bas-Canada, très majoritairement francophone, au Haut-Canada, très majoritairement anglophone. « Je n'ai aucun doute au sujet du caractère national qui doit être donné au Bas-Canada ; ce doit être celui de l'Empire britannique, celui de la grande race qui, dans une courte période de temps, sera prédominante dans tout le continent nord-américain. Sans effectuer le changement tellement rapidement ou rudement qu'il choquerait les sentiments ou piétinerait le bien-être de la génération actuelle, ce doit être dorénavant le but premier et constant du gouvernement britannique d'établir une population anglaise, ainsi que les lois et la langue anglaises, dans cette province et de ne confier son gouvernement à aucune autre législature que positivement anglaise  . » Durham ajoute : « Je serais vraiment surpris si la partie la plus réfléchie des Canadiens Français entretenait quelque espoir de continuer à conserver sa nationalité. En dépit de leur résignation acharnée, il est évident que le processus d'assimilation est déjà commencé. La langue anglaise gagne du terrain, comme doit le faire naturellement la langue des riches et des employeurs de main-d’œuvre. » On peut difficilement être plus explicite! »

Dans le siècle qui a suivi le rapport Durham et l’instauration du régime de l’Union, « des politiques systématiques d’assimilation des Canadiens français ont été appliquées » d’un océan à l’autre. On a pu assister, « de la part du gouvernement fédéral et des gouvernements des provinces anglophones à des actions incessantes en vue de cantonner le français et le catholicisme dans la seule province de Québec. Ces années sont celles des conflits scolaires dans les provinces anglophones ; de la répression des Métis et de leurs droits ; ainsi que des politiques fédérales d’immigration et de colonisation de l’Ouest résolument hostiles à l’élément français. » (Ferretti)  

Cette politique d’assimilation entrait même, des décennies plus tard, dans les vues de certains hommes politiques américains, comme Franklin D. Roosevelt, comme en fait foi cette lettre stupéfiante (voir document associé) écrite au premier ministre canadien à peu près à l’époque où tu arrivais au Québec.
 
Cette peur de disparaître, amplifiée par toutes ces persécutions, et par l’hémorragie démographique de l’immigration aux États-Unis, a été le fait des élites mais aussi de la population canadienne-française en général. Et les immigrants, tant anglophones qu’allophones, ont de tout temps été vus comme le fer de lance de la minorisation des Canadiens français au sein du Canada. Avec raison, il faut le dire. Les premiers, tout naturellement, accroissaient la proportion de l’élément anglo-saxon et irlandais dans la population du pays, les seconds, en s’assimilant à eux, amplifiait le phénomène.
 
On entend certains (par exemple les éditorialistes de La Presse et des magazines de l’élite branchée) dire aujourd’hui: « Oublions toutes ces querelles, ces récriminations des Canadiens français d’autrefois. Soyons tous ensemble les Québécois (et les Canadiens) d’aujourd’hui et de demain. » Grave illusion, ou inconscience, ou volonté délibérée d’endormir, car, comme l’écrit encore une fois Ferretti, « l’homogénéisation du territoire canadien par la langue anglaise est encore bel et bien au programme ! » En cette matière, le passé, assurément, n’est pas encore passé.
  
J’ai essayé de te présenter brièvement les circonstances entourant la présentation de ce projet de charte des valeurs. Je vais maintenant t’entretenir de ce qui me turlupine dans ce débat.
 
Tout d’abord, ce qui m’agace au plus haut point, c’est de voir, parmi les défenseurs de la charte, que certains profitent de ce débat pour régler leurs comptes non pas avec toutes les religions, mais avec une en particulier, la catholique. Le sociologue Mathieu Bock-Côté a évoqué avec pertinence la question sur son blogue. La focalisation de l’attention sur le crucifix à l’Assemblée nationale est à cet égard très significative. Il est évident que des anticatholiques féroces sont à l’oeuvre pour liquider les derniers vestiges existants du catholicisme dans notre société.  

Il est interdit de distinguer les religions et les cultures...

Ce qui m’amène à parler de sujets plus délicats encore. Je veux dire des tabous qui entourent la question de l’immigration, des communautés ethniques et du multiculturalisme. Et ces tabous, ils sont nombreux. Celui qui tente de les lever, même partiellement, s’expose aux accusations habituelles de racisme, de xénophobie, etc. Je m’expose à cela bien sûr. Mais comment débattre sérieusement de la charte des valeurs qui nous est présentée alors que tant de sujets sont tus quand ils ne sont pas carrément niés.
 
Je viens d’évoquer le catholicisme. Eh bien ! dans le débat actuel, comme dans tout débat sur ces questions, il est interdit de distinguer parmi les religions. Toutes doivent être placées sur le même pied, de l’hindouisme aux Témoins de Jéhovah, du catholicisme à l’Islam, en passant par les Mormons. Il est tout à fait proscrit de hiérarchiser les religions, de porter quelque jugement que ce soit, par exemple, sur le caractère plus ou moins agressif de leur prosélytisme ou sur leurs symboles religieux. On ne peut pas soutenir, par exemple, que tous les symboles n’ont pas la même portée. Que le voile intégral, qui évoque, on l’a assez répété, l’oppression de la femme, mais qui peut aussi être vu comme un élément traduisant l’aspect conquérant d’une certaine mouvance islamique, est moins acceptable, dans notre société, qu’une croix au cou de dimension modeste ou une kippa. 

On ne peut jamais évoquer de différences en ce qui a trait aux communautés ethniques présentes sur notre territoire. Toute lecture un tant soit peu « ethnique » vous fait immédiatement taxer de raciste, de xénophobe. Je me souviens avoir lu, dans les années 1970, un livre sur les « vrais propriétaires » de Montréal. On y décrivait les biens immobiliers possédés en insistant sur l’origine ethnique des propriétaires, étrangers comme québécois. Il va sans dire que la publication d’un livre semblable serait aujourd’hui impensable.

Ce voile du multiculturalisme qui recouvre le passé raciste canadien-anglais...

Ce qui, dans la société canadienne-anglaise, précède l’ère du multiculturalisme, en matière de relations inter ethniques, ne doit pas, ne peut pas être discuté. En fait, tout ce qui a eu lieu auparavant est disparu de notre champ de vision, a été transmué sous l’effet des politiques multiculturalistes. Ce qui était là auparavant ?  Je veux parler du fait que, historiquement, la société canadienne-anglaise a été l’une des plus intolérantes et des plus racistes qui soient. Tu as bien dû t’en rendre compte lorsque tu as débarqué sur nos rives.

Au Canada, le multiculturalisme semble être ce grand voile qui a tout recouvert et qui a absout tous les péchés du passé. Alors que dans le cas du Québec, nos adversaires n’ont de cesse d’insister sur le fait que le passé obscurantiste de notre société serait en continuité avec le Québec actuel – par exemple, en soutenant que le nationalisme actuel tirerait encore et toujours son influence du Chanoine –, pour ce qui est du Canada anglais, cette règle ne s’appliquerait pas. La tradition séculaire de racisme anti-francophone, l’antisémitisme largement diffusé, le Ku Klux Klan, les politiques contre les immigrants asiatiques, les discriminations contre les Ukrainiens et d’autres communautés, l’eugénisme, tout cela, l’influence de toute cette haine, de ce racisme, de cette intolérance, tout cela a disparu, en 1972, par la grâce de la loi sur le multiculturalisme. Par celle-ci, le Canada anglais aurait acquis une nouvelle virginité antiraciste…
 
Ce passé nauséabond du Canada anglais, qu’a décrit il y a quelques années le journaliste Normand Lester dans un ouvrage polémique dont j’ai fait ici la recension, est de fait constamment minimisé, euphémisé, quand il n’est tout simplement pas passé entièrement sous silence. Et malheureusement, bien souvent par pur intérêt, les communautés ethniques s’associent à ce travail d’oblitération du passé.

On a fait grand cas, il y a quelques années, d’une poignée d’esclaves noirs à l’époque de la Nouvelle-France. Je dirais pour ma part que s’il y avait des champs de coton en Alberta, nous aurions eu là-bas, au siècle dernier, des communautés d’esclaves. L’eugénisme, que j’évoque dans l’article sur l’affaire Carrel en Outaouais, était aussi fort répandu dans les milieux anglo-saxons du pays.
 
Je viens de dire que les communautés ethniques s’associaient à ce travail volontaire d’effacement du passé.  J’en donnerai pour exemple certains membres et certains organismes de la communauté juive de Montréal, qui orchestrent depuis des années des attaques contre Groulx, contre Le Devoir, contre les préjugés antisémites des nationalistes canadiens français supprimer d’autant, allant même jusqu’à demander qu’on débaptise les lieux qui honorent leur mémoire (pensons ici à l’affaire maintes fois réactivée de la station de métro Lionel-Groulx, à Montréal).

Ces militants et intellectuels juifs, si prompts à juger les francophones, sont étrangement silencieux au sujet des manifestations de l’antisémitisme au sein des communautés anglophones du Québec et du Canada en général. On me dira, et c’est exact, que plusieurs ouvrages ont été écrits sur le sujet, certains même par des chercheurs juifs. C’est vrai mais, étrangement, ces travaux ne sortent que très rarement de la sphère universitaire. Le passage se fait mal entre le domaine scientifique et le domaine civique. Et ces publications, étrangement, ne sont pas diffusées par ces militants et intellectuels dans leurs campagnes de dénonciation.
 
Je ne prendrai qu’un exemple. A Montréal, à proximité du stade où jouent les Alouettes de Montréal, se trouve le gymnase Arthur Currie, baptisé en l’honneur d’un chef militaire canadien qui s’est illustré lors de la Première Guerre mondiale. Currie, qui fut de 1920 à sa mort, en 1933, recteur de l’Université McGill, a également été l’instaurateur de la politique des quotas sur les juifs dans cette institution anglophone. Ce fait est rapporté par Pierre Anctil dans ses ouvrages sur la communauté juive et se retrouve dans les écrits de plusieurs autres chercheurs.

Sir Arthur Currie. Photo prise en 1917

 
Pourtant, l’histoire officielle est bien peu loquace sur le sujet. Sur le site web de McGill, dans la page consacrée à cet ancien dirigeant institutionnel, nulle mention n’est faite de son rôle dans la mise en place des quotas. Ni dans la notice qui lui est consacrée dans l’Encyclopédie canadienne. Wikipedia, dans la longue notice qui traite de la carrière de Currie, ignore totalement la question. Si The Gazette a donné maintes fois la parole à ceux qui proposent de débaptiser la station de métro Lionel-Groulx, le journal anglophone n’a jamais évoqué le fait qu’on pourrait changer le nom du gymnase qui honore la mémoire de cet antisémite canadien-anglais. En fait, The Gazette n’a jamais discuté de cet aspect de la carrière de Currie, comme elle n’a jamais évoqué le passé raciste, pour le dénoncer ou simplement lancer l’idée d’un examen de conscience, au sein de la communauté anglophone, d’aucune autre personnalité anglo-saxonne de l’histoire canadienne et québécoise.
 
Cette occultation, volontaire ou non, du passé crée parfois des situations assez cocasses. Par exemple, dans le Westmount Examiner, un certain Bram Eisenthal publie, en 2010, un article sur les cent ans du Young Men’s and Young Women’s Hebrew Association (YM-YWHA), un club sportif qui aurait été, dès ses débuts, tout aussi accueillant pour les non-Juifs que pour les Juifs. Évoquant la vie de son père, l’auteur rappelle que, durant la première moitié du XXe siècle, les Juifs n’étaient pas les bienvenus dans les grandes institutions et que l’université McGill avait même instauré des quotas pour l’admission des Juifs. Quelques lignes plus loin, il rappelle qu’il a fréquenté l’école Sir Arthur Currie, une institution située à Notre-Dame-de-Grâce appartenant à la PSBGM (commission scolaire protestante de Montréal). Chose incroyable, ce journaliste juif ne fait pas le moindre lien entre Currie et la politique de quotas qu’il vient d’évoquer plus haut. 

L’exemple de Currie me paraît très révélateur de l’attitude de la communauté canadienne-anglaise à l’égard de son passé raciste. Exigeant sans cesse des Québécois francophones qu’ils se repentent, qu’ils procèdent à un examen critique de leur passé, ils sont tout à fait réticents, pour ce qui est de leur propre histoire, à faire de même. J’ai lu quelque part, dans un article écrit par un historien sur l’antisémitisme de l’entre-deux-guerres au Québec, que, selon lui, l’antisémitisme des Canadiens français était bien plus marqué que celui que pratiquaient les anglophones. Est-ce si sûr ? Ne serait-ce pas, en partie, parce que le racisme des anglophones est plus hypocrite, plus discret. Je rappellerai simplement, à titre d’exemple, que la politique des quotas, à McGill, n’était pas une politique écrite, affichée noir sur blanc. Elle était mise en œuvre implicitement par les dirigeants de l’institution. N’est-ce pas aussi que les recherches faites sur cette question, au sujet de la communauté anglophone québécoise, sont bien moins avancées que celles faites sur les francophones ? À mon sens, il ne faut pas trop compter sur les historiens anglophones pour creuser à fond le sujet. Ce serait, sur le plan de la carrière, une thématique très peu porteuse d’avenir… Par ailleurs, chez les francophones, peu de chercheurs travaillent sur l’histoire anglo-québécoise. C’est bien sûr dommage car cela n’aide pas à la compréhension mutuelle. C’est aussi une faiblesse et une erreur tactique. On se prive ainsi de faits historiques, scientifiques, pour répliquer aux attaques injustes de nos adversaires.
 
Le cas Currie est aussi révélateur de l’attitude de certaines communautés ethniques face au passé anglo-saxon du Canada. Ici, on l’a vu, la communauté juive, si prompte à relever le moindre travers antisémite des Canadiens français d’autrefois – et ce d’autant plus qu’ils sont nationalistes – , fait visiblement tout pour ne pas déplaire, encore aujourd’hui, à l’élément anglo-saxon en n’examinant pas de trop près l’histoire du Québec anglais. Donc, chez les militants et chez les intellectuels juifs, sur le glorieux passé militaire canadien, hormis quelques références dans des publications scientifiques à diffusion limitée, motus et bouche cousue. 

Le « système » multiculturaliste

Un autre tabou qu’il ne faut pas transgresser, c’est d’oser soutenir que le multiculturalisme canadien est un système bien organisé, j’oserais même dire une véritable industrie. En effet, dans une multitude d’organismes représentant les diverses communautés ethniques, des groupes de pression existent, qui sont financés à même les fonds publics. Nul doute que leur statut privilégié fait en sorte qu’ils vont chercher, auprès du public en général et du secteur privé, des sommes tout aussi importantes que celles qu’ils reçoivent de l’État. Ces organismes sont les garants du système multiculturaliste canadien. Ces organismes ont bien des intérêts dans le maintien de l’idéologie multiculturaliste. Il la défendront à tout prix. Peu leur importe qu’une des conséquences du multiculturalisme soit la fragmentation, la ghettoisation de notre société. L’important, pour ces organismes, qui ont contribué à bâtir moult carrières, qui font vivre bien des professionnels (avocats, enseignants, conseillers de toutes sortes, etc.) dans le domaine, est que le système actuel continue à leur assurer argent, pouvoir, influence.
 
Pour continuer à prospérer, ces organismes ont besoin du soutien des membres des communautés qu’ils prétendent représenter. J’écris bien : « qu’ils prétendent représenter ». Car même si ces organismes parlent le langage de la démocratie, ils ne sont pas véritablement démocratiques. Seuls ceux qui sont intéressés y participent. Il est certain, pour moi, que ces organismes, à travers leurs publications, par l’intermédiaire des médias qui leur sont sympathiques, contribuent à façonner l’opinion publique au sein de ces communautés culturelles. Parmi ces médias, je fais une place toute particulière à The Gazette. Je t’en parle parce que je ne sais pas combien de fois, de ton vivant, tu m’as parlé de choses que tu avais lues dans ce journal qui m’ont fait dresser les cheveux sur la tête, tant elles étaient empreintes de malhonnêteté intellectuelle. Pour moi, The Gazette est l’exemple parfait de ces publications dont la vocation consiste à jeter de l’huile sur le feu en matière de relations interethniques.  

Seuls les Québécois francophones seraient racistes...

Le tabou suprême, celui qui peut vous vouer aux gémonies pour l’éternité, c’est peut-être d’oser dire que le racisme, au Québec, n’est pas que l’apanage de la majorité francophone… On peut affirmer sans danger pour sa réputation ou sa sécurité, que les Québécois francophones, les Québécois « de souche » sont racistes, que les nationalistes d’antan l’étaient, que les souverainistes d’aujourd’hui le seraient en fait encore. Et ce racisme, il sera toujours expliqué par le ressentiment qu’éprouveraient depuis toujours les Québécois à s’éprouver comme victimes. Et ceux qu’il vise, c’est tout le monde en fait : les minorités culturelles, les Anglais, les Amérindiens, les musulmans, etc.
 
Mais, par contre, vous n’allez jamais entendre que le racisme pourrait aussi exister chez les Anglophones et au sein des communautés ethniques. Oh non! N’allez pas sur ce terrain là. Non, les anglophones et les minorités ethniques ne sont que des victimes du racisme, ils ne le pratiquent pas… Ne rappelez jamais non plus que les communautés ethniques sont par définition des communautés « de souche! ». 

En ce qui te concerne, cher père, je t’ai entendu plusieurs fois énoncer des préjugés assez grossiers sur les Québécois. A t’entendre, je fulminais. Je me souviens, d’une fois – ça ne venait visiblement pas de toi, pas de ton fond propre – ou tu m’avais dit que les Québécois francophones étaient des paresseux, qu’ils aiment mieux encaisser un chèque de bien-être social, qu’ils étaient un peuple de locataires, contrairement à la plupart des Ukrainiens que tu connaissais, qui, en travaillant beaucoup, s’étaient enrichis et avaient tous deux ou trois maison. Je t’en ai voulu de l’injustice de ces propos. Mais au fond, tu m’as bien ouvert les yeux. Déjà à l’époque, j’étais très jeune, bien avant l’affaire Richler, certains, dans les journaux, affirmaient que le Chanoine avait encouragé le racisme contre les anglophones. J’étais trop ignorant pour savoir si ce qu’on disait était vrai, mais je me suis alors rendu compte que les préjugés, toutes les communautés ethniques ou religieuses peuvent en être captives. Le temps a confirmé cette observation de ma prime jeunesse. J’ai pu voir par la suite des arabes détestant des noirs, des latinos s’en prenant à des asiatiques, des anglophones méprisant les francophones, et vice-versa, sans bonnes raisons à chaque fois. Aussi, quelle ne fut pas ma perplexité, à mesure que les années passaient, de ne plus voir accolée l’épithète infamante de « racistes » qu’aux seuls Québécois francophones!

Ce qui parfois indispose les Québécois dits « de souche »...

On entend donc des propos assez durs de part et d’autre. Le débat actuel ne fait pas exception. Parfois même, certains posent des gestes répréhensibles. Si les raisons des critiques des membres des communautés ethniques qui dénoncent la charte sont assez claires, on est moins au fait de ce qui indispose les Québécois dits « de souche » dans les propos ou dans les attitudes de certaines communautés ethniques.
 
Beaucoup de Québécois francophones, et pas seulement des nationalistes ou des souverainistes, voient d’un assez mauvais œil les immigrants, surtout ceux arrivés récemment, qui ne font pas au moins un effort pour apprendre le français. Je dois te dire que bien des gens, dans les années 1970 et 1980, étaient assez étonnés du fait que tu ne parles pas français. Quand ils apprenaient que le Chanoine était dans ta famille, leur étonnement faisait place à la stupéfaction. C’est une question de génération, bien sûr, et c’est ce que je leur disais. Tu es donc à même de comprendre que les Québécois d’aujourd’hui sont encore plus sourcilleux sur ce point.
 
A tort ou à raison, plusieurs interprètent ce refus d’apprendre la langue français comme un manque de solidarité envers la nation québécoise. Le vote très orienté vers certaines formations politiques, comme le Parti libéral du Canada, qui défendent une vision unitariste du Canada, et qui placent au cœur de leur vision de la société le multiculturalisme, est perçu de manière similaire, comme une volonté de ne pas se lier au destin de la majorité québécoise, y compris dans ses aspects les plus douloureux, les plus problèmatiques.
 
Certains intellectuels issus des communautés ethniques revendiquent d’ailleurs clairement cette position. Je me permets, une fois n’est pas coutume, de citer un des mes articles sur la mémoire québécoise, paru en 1995, dans la revue Possibles. J’y écrivais ce qui suit à propos de l’une de ces intellectuels :

« Évoquant son propre cheminement, Régine Robin résume sans doute le sentiment de plusieurs de ceux-ci (i.e. les Néo-Québécois) lorsqu’elle écrit : 
 
« (…) je peux partager une Histoire comme conscience critique, un imaginaire ouvert, une littérature (voire les fantasmes d’indianité, le coureur des bois, les paysages, la neige, le survenant, la ville), je peux partager tout cela, mais pas la mémoire victimaire d’un groupe. »
 
Là réside sans doute une des principales difficultés : ce que Robin désigne péjorativement  comme une « mémoire victimaire » (ce que j’appellerais pour ma part une mémoire nationaliste québécoise) correspond à une expérience encore partagée par bon nombre de Franco-Québécois. Si cette mémoire nationaliste fait intervenir dans sa construction, comme toute mémoire collective, des mythes, un imaginaire (qui, étant parfois porteurs de ressentiment, peuvent certes être aliénants), elle n’en traduit pas moins, pensons-nous, une certaine vérité vécue historiquement. On ne peut simplement la biffer d’un trait de plume. S’il est légitime de s’attendre à ce que les Québécois francophones fassent preuve d’ouverture à l’égard des anglophones et des autres groupes ethniques (et de leurs mémoires), il l’est tout autant de souhaiter que ces derniers (et en particulier les nouveaux arrivants) s’efforcent de comprendre la mémoire collective des Québécois francophones, dans ses aspects divers et souvent contradictoires, à défaut de pouvoir toujours la partager. »
 
Aujourd’hui, j’ajouterais qu’il faut néanmoins fixer une limite à la volonté d’accueil, de compréhension d’autrui de la part des Québécois francophones. Comme l’écrit l’historien Jean-Paul Coupal, « Ce n'est pas à nous à passer des examens d'histoire de l'Algérie, du Maroc, de Haïti ou de Chine pour être en état d'accueillir les immigrants! » 
 
Il faudrait par contre s’assurer que les nouveaux Québécois soient mieux informés de la complexité de l’histoire québécoise. Je ne sais pas quels cours d’histoire reçoivent les nouveaux venus, mais j’espère bien qu’ils ne s’agit pas seulement de séances de formation dispensées sous les auspices du gouvernement fédéral.
 
C’est entendu. La société d’accueil a le devoir d’offrir aux nouveaux citoyens des moyens (cours de langue et d’histoire, éducation à la citoyenneté, etc.) rendant plus aisée leur intégration. Si, en ton temps, tu avais pu bénéficier de tels cours, ton regard sur la société québécoise, j’en suis sûr, aurait été différent.
 
Mais celui qui immigre dans un pays a aussi des devoirs. « Ces gens qui ont quitté leurs pays respectifs vivent dans un nouveau pays auquel ils doivent participer. Ce ne sont pas des Algériens vivant au Québec, des Marocains vivant au Québec, des Haïtiens vivant au Québec, des Chinois vivant au Québec. Ce sont des Québécois, peu importe leurs origines, et ce fait doit désormais passer avant tout autre. »
 

Ils doivent en premier lieu s’informer sur la situation du pays d’accueil. Donc, prendre connaissance des enjeux politiques, historiques, sociaux de ce qui sera pour eux une nouvelle patrie. Ils devraient le faire de la manière la plus impartiale qui soit, surtout dans un pays ou sont en concurrence deux conception de l’existence nationale. Tu m’aurais sans doute dit que je suis trop exigeant. Tous les immigrants ne sont pas passés par l’université… Peut-être. Mais, j’estime qu’ils doivent au minimum faire preuve d’ouverture et d’une certaine impartialité, au moins au début.

Enfin, bon nombre de Québécois réagissent fort mal aux « accusations vicieuses et indécentes » (Coupal) que certains représentants des communautés ethniques et certains anglophones lancent à tout propos, notamment dans le cadre de ce débat sur la charte des valeurs. Ils y voient un grand manque de respect. J’en fais partie, je dois te le dire. Lorsque je lis, sous la plume du journaliste Jean-Pierre Bonhomme, qu’« une nouvelle organisation socio-politique », le CRITIQ (Canadian Rights in Quebec) a été créée récemment dont l’objectif est « la reconversion de Montréal en « City-State », c’est-à-dire en Cité-État, soit une sorte de province indépendante du Québec » et qu’il « y aura donc un territoire urbain évolué, (Montréal), et un territoire campagnard, (le reste du Québec) », je fulmine. Tant que les communautés ethniques, ou certains de leurs membres, seront solidaires d’entreprises de ce genre, qui évoquent les tentatives d’assimilation que l’on a connues depuis l’Union, il sera très difficile de créer un climat de confiance entre les Québécois « de souche » et les diverses communautés du Québec.

Parce qu'il faut bien conclure...

Il me faut maintenant conclure cette trop longue lettre. Le fait, pour le gouvernement québécois, d’avoir présenté ce projet, d’avoir donc choisi de provoquer ce moloch qu’est le système multiculturaliste canadien – gouvernements et partis politiques, médias, intellectuels et universitaires préposés aux questions ethniques, groupes de pression des communautés culturelles – est, je le répète, une preuve de courage. Bien peu ont osé, ces dernières années, s’en prendre de front à ce complexe ethnico-industriel. Comme disait l’autre, «Pauline Marois, elle a des couilles»… Neuf fois sur dix, nos gouvernements préfèrent se cantonner à la gestion à la petite semaine, en laissant à leurs successeurs le soin de trancher les questions difficiles. Voir un gouvernement, soutenu par une bonne partie de sa population, foncer comme un taureau sur tout l’appareil conceptuel échafaudé par les spécialistes universitaires et gouvernementaux de l’ethnicité, c'est, je dois le dire, quelque chose d’assez surprenant et de rafraîchissant.
 
Dans la lettre du Chanoine que je cite en annexe, lettre écrite durant la guerre, quelques phrases retiennent mon attention par leur justesse. « Mais cet énorme travail de rapprochement (entre Canadiens français et immigrants) et de conquête (des immigrants) ne peut être fait, vous le sentez bien, artificiellement. Il devrait être la conséquence naturelle de notre puissance d’attraction. En d’autres termes, les immigrants ne peuvent s’orienter vers le groupe français que si nous leur apparaissons dans notre province, comme le groupe le plus fort, le plus chargé de civilisation et d’avenir. »
 
La question que pose Groulx, ne serait-elle pas à la racine de l’anxiété, de l’angoisse qu’éprouvent bien des Québécois francophones? Depuis quelques années, nous ne sommes plus « nés pour un p’tit pain ». Nous mettons de l’avant nos réussites (Bombardier, Céline Dion, le Cirque du Soleil, Robert Lepage) et nous en sommes fiers. Nous nous voyons et nous présentons de plus en plus comme un peuple de « winners ». Et pourtant… Sans le dire, nous nous posons peut-être des questions. Si nous sommes si extraordinaires, pourquoi « notre puissance d’attraction » est-elle si faible, pourquoi les immigrants continuent-ils à nous bouder ? Certes, les politologue, les sociologues, les historiens ont leurs réponses toutes faites à cet état de fait. N’empêche… Et si nous n’apparaissions pas, au yeux des immigrants, « comme le groupe le plus fort, le plus chargé de civilisation et d’avenir ». Et si notre culture n’était pas, au fond, si extraordinaire à leurs yeux… Je ne saurais trancher sur ces profondeurs de notre psyché collective mais j’ose tout de même soulever la question.
 
 ANNEXE 


Extrait d’une lettre de Lionel Groulx adressée au père Charles Charlebois, o.m.i., le 12 juillet 1941
 
« (…) Vous avez bien raison de vous inquiéter au sujet de ce vaste problème des immigrants. Un peuple qui aurait le moindre souci de ses intérêts nationaux, se serait depuis longtemps appliqué à la conquête de ces nouveaux venus qui, avec nos trente pour cent de population, nous donneraient la majorité du nombre au Canada.  Une longue expérience aurait dû nous apprendre à nous tourner de ce côté-là, à y chercher notre appui, bien plutôt que vers les anglophones de qui nous n’obtiendrons jamais que des miettes, à moins de découvrir l’art d’arracher les gros morceaux. Mais cet énorme travail de rapprochement et de conquête ne peut être fait, vous le sentez bien, artificiellement. Il devrait être la conséquence naturelle de notre puissance d’attraction. En d’autres termes, les immigrants ne peuvent s’orienter vers le groupe français que si nous leur apparaissons dans notre province, comme le groupe le plus fort, le plus chargé de civilisation et d’avenir. Leur offrons-nous ce spectacle dynamique ? Je doute que nos société nationales, elles seules, avec la modicité de leurs moyens, puissent entreprendre, avec chance de succès, un travail de cette envergure. Il y faudrait la collaboration de notre État québécois. Mais là encore qu’attendre de gouvernants dont l’un des principaux soucis est de pousser les autochtones vers la culture anglaise ? Quelle inquiétude de nos intérêts majeurs espérer attendre de pauvres esprits enfermés dans la mystique du parti d’abord et qui ne servent vrai(ment) la nationalité, le bien commun, que lorsque parti et bien commun arrivent par hasard à se rencontrer ? Vous les entendez, du reste, par le temps qui court, bien plus empressés à dépenser leur lyrisme pour glorifier la générosité de l’Angleterre à l’égard de notre petite race, que pour nous rappeler nos devoirs essentiels de peuple français sur ce continent. Cette dernière besogne, ils la laissent à l’impérialiste M. King. Hélas, les politiciens, nos frères ennemis depuis si longtemps, continuent à nous composer le plus clair de nos misères. Dieu nous suscitera-t-il le chef qui mettra fin à cette lugubre tragédie ? (…)




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