Le Meilleur des mondes chinois

Jacques Dufresne

Il suffisait jadis, pour susciter la méfiance vis-à-vis d’une innovation technique ou d’une nouvelle tendance, de dire qu’elles conduisaient au Meilleur des mondes. Ce n’est plus le cas. Ce livre n'est plus un épouvantail : on l’a trop souvent évoqué sans l’avoir lu, et quand on le lit aujourd’hui on est de moins en moins choqué parce que la société imaginée par l’auteur ressemble de plus en plus à la société réelle. D’où le besoin que nous avons ressenti d’en présenter un résumé et une interprétation dans le portail Homo Vivens.

La société du Meilleur des mondes est caractérisée notamment par l’absence de passé et par un système de castes rendu possible par le contrôle étatique de la procréation. La révolution culturelle a coupé les Chinois de leur passé ce qui explique pourquoi la sélection artificielle avec le QI comme critère n’est pas un tabou chez eux comme c’est encore un peu le cas en Occident. D’où le fait qu'’ils semblent vouloir devenir chefs de file dans ce domaine. Leur but immédiat est de fabriquer des alphas, nom de la caste dirigeante dans le Meilleur des mondes, ce sera ensuite  un jeu d’enfant que de fabriquer des bêtas et des deltas.

 Selon le journal Le Monde du  7 mars 2013, la Chine vient de lancer un grand programme de séquençage de l'ADN de surdoués. Deux mille deux cents individus porteurs d'un quotient intellectuel au moins égal à 160 - c'est le niveau atteint par Jacques Attali - vont être séquencés. Ce programme sera réalisé par le Beijing Genomics Institute (BGI), qui est le plus important centre de séquençage de l'ADN du monde. L'objectif des Chinois est de déterminer les variants génétiques favorisant l'intelligence, en comparant le génome des surdoués à celui d'individus à QI moyen.

Quand on sait comment la Chine a réussi à limiter le nombre d’enfants à un par famille, on voit mal pourquoi elle s’interdirait une pratique génétique qui la rendrait encore plus concurrentielle par rapport aux Occidentaux : « La part génétique de l'intelligence, ajoute Le Monde,  reste un sujet tabou, ce qui amuse beaucoup les Chinois. "Les gens pensent que c'est un sujet controversé, spécialement les Occidentaux. Ce n'est pas le cas en Chine", a déclaré au Wall Street Journal Zhao Bowen, petit génie de 20 ans qui signa son premier article dans Nature à 15 ans et qui est le patron de ce programme. »

Il y a dix ans à peine un tel projet aurait provoqué un sourire sceptique chez les personnes les plus éclairées : ces personnes savaient qu’il n’existe pas de gène de l’intelligence comparable au gène de la trisomie par exemple. Dans l’article du Monde, Laurent Alexandre situe bien la question : « Le plan précis du câblage cérébral - nous avons 100 milliards de neurones, chacun porteur de milliers de connexions neuronales (les synapses) - n'existe pas dans nos chromosomes. Notre ADN a une action plus subtile : il donne à nos neurones une boîte à outils, plus ou moins bonne, leur permettant de bâtir un réseau de connexions plastiques et dynamiques. Le cerveau possède donc la capacité de se recâbler en réaction à l'expérience et se bâtit grâce à un mélange de déterminisme génétique, de réponse à l'environnement et de hasard.

Le génome joue toutefois un rôle fondamental dans la construction de notre cerveau : un chimpanzé ne fera jamais d'études supérieures - même avec les meilleurs professeurs - parce que son patrimoine génétique ne le permet pas. Chez l'homme, une étude publiée en 2011 dans Molecular Psychiatry évaluait la part génétique de l'intelligence à 50 %.»

 Une porte vers la sélection par le QI s’ouvre tout de même ainsi. On sait d’avance que le résultat ne sera pas magique, mais on peut espérer, par des études comparées, découvrir des marqueurs c’est-à-dire des signes simples d’événements complexes qui, sans qu'on sache pourquoi, réduisent le quotient intellectuel et d’autres qui l’accroissent. On dispose d’autre part d’outils d’analyse qui, à partir d’une goutte de sang, peuvent repérer de tels marqueurs.

Il n’en fallait pas plus aux Chinois pour passer à l’action.

L’article du Monde est un résumé d’un article plus substantiel paru quelques semaines auparavant dans le Wall Street Journal. On y signale la difficulté de l’opération du BGI (Bejing Genomics Institute). À titre d'exemple: on a étudié plusieurs facteurs dont de nombreux gènes déterminant la taille d’un être humain. « Des tentatives pour trouver des gènes liés à la taille n’ont commencé à donner des résultats fiables qu’à partir de l’étude de 10 000 échantillons d'ADN. En étudiant de plus en plus d’échantillons les chercheurs ont finalement pu identifier environ 1000 variations génétiques expliquant pourquoi certaines personnes sont plus grandes que d’autres. »

Par comparaison, l’une des plus grandes recherches à ce jour sur le rapport entre le QI et le génome a porté sur environ 5 000 personnes choisies dans l’ensemble de la population. Les scientifiques disent qu’il faudra étudier plusieurs dizaines de milliers de personnes pour identifier le premier gène ayant un effet déterminant le QI. »

Face à cette difficulté le raisonnement des gens du BGI est le suivant. Des participants ayant en commun un QI de 160 sont l’équivalent de participants mesurant 6 pieds 9 pouces. Il devrait être plus facile dans ces conditions de repérer des gènes actifs.

Et que ferons-nous si les puissances de l'Asie souhaitent asseoir leur hégémonie en optimisant le génome de leurs concitoyens grâce aux manipulations génétiques, bientôt au point? Dans la compétition économique entre l'Asie et l'Occident, disposer d'armées d'ingénieurs et de scientifiques à très haut quotient intellectuel serait un avantage géopolitique considérable. La guerre des cerveaux a commencé! L'éducation nationale - qui est le ministère où s'élabore "la politique du cerveau" - n'est pas préparée à affronter ces sujets.

Images: Site de Anne Van Kessel Ik denk, dus ik ben

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